Ce mois est nommé d’après l’antique dieu du soleil babylonien (1).
Si je devais choisir un nom pour les mois juifs, je ne suis pas sure que ce serait le premier nom qui me viendrait à l’esprit.
En fait, cela semble même être à l’opposé du concept du calendrier hébraïque. Chaque mois nous offre une opportunité de nous développer et nous renouveler. Le culte d’une idole issue de la culture païenne est limitatif. Invoquer le nom d’une figure centrale d’un culte qui adore le soleil comme source de toutes les énergies semble quelque peu rétrograde. Cela nous ramène au temps de la préhistoire, bien avant que notre ancêtre Abraham saisisse la signification réelle de la nature et qu’il réalise l’existence d’une main Divine cachée qui lui confère son unité, l’élégance de ses formes et sa finalité.
Le culte du soleil est peut-être d’origine préhistorique, mais il est toujours d’actualité. Bien que plus personne n’utilise ce terme de nos jours (à l’exception des vacanciers les plus passionnés), cela n’empêche pas que la relation que nous entretenons avec la nature ne soit pas si éloignée de celle qu’avaient les adorateurs païens du soleil. Nous avons encore dans l’idée que la nature possède ses propres lois fonctionnant de manière autonome et immuable. Nous employons des axiomes délimitant le "possible" et l’"impossible" comme si la nature n’était soumise à aucune autre force que la sienne.
Il n’est pas difficile d’en comprendre la raison. La Nature, qui trouve sa parfaite illustration dans le soleil, est une force plutôt impressionnante. Bien que le soleil se trouve à une distance incommensurable de la terre, toute personne ayant déjà souffert d’un sérieux coup de soleil sait le peu d’importance que revêt cet éloignement face à l’immense quantité de chaleur, d’énergie et de lumière qu’il génère. Lorsque nous exploitons cette énergie pour le bien ou pour le mal, nous avons le sentiment d’avoir maîtrisé des forces qui dépassent largement les nôtres. Nous nous concoctons une mixture épouvantable en mélangeant le culte de la nature à celui de nous-mêmes. Nous nous en servons pour détruire la planète sur laquelle nous vivons, les personnes avec lesquelles nous la partageons ainsi que notre propre intégrité spirituelle.
Le signe zodiacal de ce mois est le Cancer, le crabe, qui représente une certaine approche de la vie. Les anciens mystiques évoquaient la manière dont la chaleur des longs jours d’été se collaient à nous tout en nous enveloppant de son ennui au point que nous ayons le sentiment de ne rien pouvoir faire sans être forcés de reconnaître son emprise. Notre confiance en la science, la technologie et la nature sans la perception de D-ieu comme la Source qui les sous-tend, ronge notre âme, jusqu’à être dévorée par la sensation de pouvoir qu’elles procurent. Même lorsque nous recherchons D-ieu, ce que nous voyons est assombri par notre incapacité à penser d’une manière qui dépasse les contraintes du monde physique.
LE 17 TAMMOUZ
Cinq tragédies eurent lieu durant ce mois. Chacune d’entre elles nous donne un aperçu sur le gouffre au-dessus duquel nous nous penchons lorsque nous estimons que tout est à notre portée et sous notre contrôle.
La première et la plus connue de ces tragédies fut la destruction de ce qui est, sans conteste, l’objet le plus précieux qu’un être humain ait jamais pu posséder, les Tables de la Loi, écrites de la propre main de D-ieu. Par quel concours de circonstances ce désastre a-t-il pu survenir ?
D-ieu donna les Dix Commandements le six Sivan. Le sept, Moïse gravit le Mont Sinaï pour apprendre les détails et les différents niveaux de signification de la totalité de la Torah. Il dit au peuple qu’il serait de retour 40 jours plus tard. Il n’inclut pas dans son compte le jour où il gravit la montagne car la journée était déjà bien entamée (dans le calendrier hébraïque, un nouveau jour débute lorsque le soleil se couche sur la journée précédente). Le peuple supposa au contraire que le jour de son départ figurait dans son compte. Cette tragique méprise technique eut de graves conséquences.
Lorsque l’aube se leva sur le 16 Tammouz, une nation entière retint son souffle dans l’attente de recevoir les Tables de la Loi et de commencer à étudier ses préceptes de vérité. Ce fut l’un des événements les plus marquants que l’on puisse attendre. Pour nous, la vérité est une « idée globale », mais, de par la nature même des choses, la seule manière possible d’y accéder se situe au-delà des limites de l’intelligence et de l’expérience humaines.
Pour comprendre ce qu’il se passa ensuite, il nous faut d’abord préciser quelques points. La Torah fut donnée aux hommes qui sont des êtres pleins de complexités et de contradictions. Nous voulons dépasser nos limites, mais nous aimons aussi maintenir le contrôle et être en terrain connu. Nous voulons connaître D.ieu, mais nous préfèrerions le rendre "plus petit" plutôt que nous ne devenions "plus grands."
Notre aptitude à visualiser ce qui dépasse le simple moment que nous sommes en train de vivre nous incite à aspirer à un monde meilleur et à désirer faire partie de ceux qui ont rendu cet avenir possible. Evaluer les potentialités nous exhorte à faire des sacrifices pour ce en quoi nous croyons. La même capacité à visualiser au-delà du moment présent peut également nous permettre de voir les choses à travers le filtre d’un pragmatisme erroné. Nous pensons être simplement réalistes et prédire la manière dont les choses sont censées évoluer, lorsque nous tombons dans le piège de l’"épouvantabilisation". Au fur et à mesure que notre imagerie devient de plus en plus vivante et précise, nous sommes paralysés par le désespoir ou la peur. Les images que nous évoquons constituent la source de nos pires moments de terreur silencieuse.
Lorsque notre imagerie mentale est en accord avec la vision de la réalité de D.ieu, elle peut nous mener à ce l’on appelle l’inspiration Divine, le "roua’h ha-kodech". Cette situation ne peut avoir lieu que lorsque nous ne bloquons pas le dévoilement de Sa vérité avec notre propre vision des choses (qui est parfois si subtile que nous pouvons ignorer jusqu’à son existence). Lorsque nos propres filtres sont en place, cela génère un chaos intérieur, nos terreurs favorisent les pensées fantasmagoriques et la crainte du futur.
Comme la source de la vision erronée que nous projetons se trouve en nous, elle est appelée dans le Talmud "le Satan" qui signifie littéralement "l’accusateur". Ce dernier est, bien entendu, quelqu’un qui nous est, à tous, très familier : l’incarnation de notre monde intérieur tel que D.ieu seul peut le voir.
" Le Satan leur montra Moïse, mort, gisant dans un cercueil," nous rapporte le Talmud.
Lorsque Moïse ne se présenta pas au moment où le peuple s’attendait à le voir, l’image que les Juifs perçurent fut celui d’une perte suprême. Ils se retrouvaient sans guide. Ils étaient au cœur d’un désert, en route vers une destination inconnue. Leur voyage était alimenté par la vision de Moïse, son inspiration Divine, les miracles qu’il avait provoqués. Dès lors, plus rien n’avait de sens. Il était impossible de survivre dans cet environnement plus de quelques jours au mieux. Tout cela est absolument exact, si vous êtes un adorateur du soleil et que vous pensez que le domaine du possible n’est, par définition, que celui qui coexiste, dans une confortable harmonie, avec les axiomes établis par votre capacité à décrire les lois physiques qui gouvernent notre monde.
TROIS REACTIONS
Les Juifs dans le désert réagirent face à cette crise de trois façons différentes :
Si ce que D.ieu faisait était "trop grand" pour avoir un sens à leurs yeux, ils Le couperaient à la bonne taille pour Le forcer à entrer dans leur panthéon de dieux...
Un groupe de personnes, ceux qui faisaient partie du camp des Egyptiens ainsi que ceux qui désiraient prendre part à l’aventure spirituelle des Juifs mais qui voulaient également "trouver un sens" à chaque chose, eurent recours à la béquille sur laquelle ils s’étaient appuyée tout au long de leur histoire. Si ce que D.ieu faisait était "trop grand" pour avoir un sens à leurs yeux, ils Le couperaient à la bonne taille pour Le forcer à entrer dans leur panthéon de dieux qui correspondaient à diverses forces.
Ils pensaient, sans aucun doute, pouvoir capter l’énergie, l’utiliser à leurs fins et poursuivre leur vie sans rien rechercher au-delà d’eux-mêmes et de leur ensemble d’axiomes. Ils firent pression sur Aaron pour qu’il modèle une représentation de leur autonomie spirituelle, un veau qui symbolisait à la fois la nouveauté et la jeunesse et qui avait le potentiel de devenir un jour un bœuf, le plus fort des animaux domestiques. Ils se perçurent eux-mêmes comme investis d’un pouvoir et se persuadèrent que croire en un symbole fait de la main de l’homme pouvait réellement susciter une force spirituelle. A une époque où l’idolâtrie était si répandue, cette manière de penser "avait un sens".
Aaron ne réalisa pas jusqu’où la réflexion de ce groupe l’avait mené. Il demanda au peuple de lui remettre son or et ses bijoux, espérant ainsi gagner du temps. Par le biais de forces occultes, l’un des idolâtres prit à sa charge la responsabilité de créer un symbole et fabriqua le veau d’or légendaire. Il paraissait vivant, réel et les idolâtres crurent avoir réussi à fabriquer un symbole investi d’immenses pouvoirs spirituels (une situation peut-être similaire aux shintoïstes japonais de la deuxième guerre mondiale qui croyaient que leur empereur était l’incarnation de D.ieu et que leurs drapeaux possédaient une énergie propre).
DEUXIEME GROUPE
le deuxième groupe se composait de Juifs de naissance et de convertis sincères. Lorsqu’ils entendirent D.ieu proclamer : "Vous n’aurez pas d’autres dieux devant Moi", quelque chose tout au fond d’eux fut remué. Ils désiraient la vérité, plus encore que le confort, et la simple pensée de toute forme d’idolâtrie ou du moindre acte pouvant les empêcher de connaître et de servir D.ieu leur étaient parfaitement odieux.
S’ils étaient restés livrés à eux-mêmes, ils seraient sans doute parvenus à tenir jusqu’au retour de Moïse, quitte à lui faire part ensuite de leurs craintes que l’esprit prophétique lui avait fait défaut puisqu’il n’avait pas tenu sa promesse. Lorsqu’il aurait expliqué son erreur, l’atmosphère aurait été plus claire et leur voyage pour Israël aurait pu se poursuivre comme prévu.
Cependant, ils n’étaient pas seuls. Le premier groupe les influença, ainsi que leur propre conscience. Tout leur paraissait plat et irréel. Ils se réfugièrent dans le cynisme envers Aaron et les Lévites en leur reprochant de rester fidèles à leur dirigeant "mort" plutôt que de "se montrer responsables", de "reprendre le contrôle des événements" et de "faire preuve de réalisme" et, en même temps, ils raillèrent les idolâtres passionnés et tournèrent en ridicule leurs actes de dévotion.
TROISIEME GROUPE
Le troisième groupe se composait de personnes qui se rendirent compte qu’ils étaient témoins de la trahison de tout un peuple envers tout ce que D.ieu leur avait montré : les plaies, le partage de la mer, les Dix Commandements, la manne qui tombait du ciel.
Leur illusion fut de croire qu’il n’y avait aucun espoir, le peuple juif était condamné.
D.ieu les avait forcés à voir au-delà de leur horizon limité. Les personnes de ce troisième groupe ne rejetterait jamais ce que leurs propres yeux avaient vu, ni ne se réfugieraient dans le scepticisme pour remplacer la vérité. Toutefois, eux aussi, furent victimes d’une illusion, bien plus pernicieuse que les autres. Leur illusion fut de croire qu’il n’y avait aucun espoir, le peuple juif était condamné. Inutile de tourner autour du pot : le peuple qu’ils aimaient suffoquait sous la pression du nœud coulant qu’il avait lui-même passé autour de son cou, son erreur était irréparable.
Ils cédèrent à la pire des illusions qui s’offrent à nous : celle qui consiste à dire que la force du mal engendrée par la faute est plus grande que celle du bien générée par la techouva (retour vers D.ieu). Eux aussi, attribuèrent trop de force au veau d’or. Ils auraient du l’avoir perçu comme du métal précieux tordu en une forme intéressante qui retient l’attention de ceux qui ne savent pas réfléchir.
Lorsque Moïse descendit de la montagne, il comprit toute la situation au premier regard. Il agit en un clin d’œil et laissa les Tables (qui, de toutes façons, étaient tellement lourdes qu’il fallait un miracle pour qu’il puisse les porter) se fracasser au sol. La "structure" en pierre des Tables se brisa et la luminescence spirituelle de leur message s’envola vers son Créateur.
A-t-il eu raison d’agir ainsi ?
Le Talmud nous dit qu’il n’y a pas le moindre doute en la matière : Il a eu raison ! Cet acte équivaut à déchirer un contrat de mariage avant que quiconque puisse accuser de manière formelle une jeune mariée d’avoir trahi son mari. S’il nous était impossible de nous élever au-dessus d’un comportement consistant à adorer la nature, à se soumettre à la tyrannie des choix conçus par l’homme et à pouvoir détruire le lien authentique auquel nous sommes destinés, alors qu’il en soit ainsi ! Ce n’est pas comme si nous avions rejeté les Tables, nous ne les avions jamais reçues. Ce geste tempéra la gravité de la tragédie, ce qui laissa la porte ouverte au pardon.
AUTRES EVENEMENTS
Quatre autres événements traumatisants eurent lieu, par la suite, au cours de l’histoire, nous forçant à réfléchir à ce que nous sommes et à ce que nous voulons être. A un certain degré, chaque événement est un rappel de la tragédie qui eut lieu le 17 Tammouz.
1. Les Romains placèrent une idole dans le sanctuaire du Saint Temple.
Aucun sacrilège ne pouvait être plus vulgaire. D.ieu permit que cela arrive parce qu’Il voulait que nous puissions voir où nous menait la voie que nous avions choisie. Entre temps, nous avions perdu notre identité collective et enterré notre conscience dans des batailles sans fin. Chacun des groupes opposants croyaient sincèrement en sa cause, pensait être en possession d’un droit moral de régner et écarta D.ieu de sa vision des choses en s’attaquant les uns, les autres avec une sauvagerie croissante. Les Romains menaient leur vie publique de cette manière depuis des années. Ils croyaient tout contrôler, maîtriser la nature et être puissants. Nous avons eu l’opportunité de constater où cette route mène : à l’horreur de la désacralisation du sanctuaire.
2. Une brèche fut ouverte dans les murailles qui entouraient Jérusalem.
Cet événement est rapporté dans le Talmud comme le commencement du siège de Jérusalem. Une brèche dans la muraille constitua le début de la fin. Cette tragédie ne fut possible que parce que notre foi était morcelée et, par conséquent, nous ne fûmes plus en mesure de compter sur la protection Divine dont nous avions joui de par le passé. Concrètement, cela signifie que si nous souhaitons renoncer à la confiance qui nous lie à D.ieu pour la remplacer par une foi en nous-mêmes ou en la nature, nous devons être prêts à en payer le prix.
3. Les offrandes quotidiennes ne purent plus se poursuivre.
A l’époque des deux Temples, l’une des conséquences de la bataille pour Jérusalem fut de mettre un terme au service tel qu’il avait été conduit durant des centaines d’années. La signification symbolique des sacrifices (qui sont appelés korban, qui rapprochent, selon leur acception hébraïque) est qu’il nous appartient, si nous le voulons, d’élever le monde vers D.ieu et de ne pas créer d’illusions qui L’éclipsent afin de rendre ce qui "convient" plus confortable.
4. Les Romains brûlèrent des rouleaux de la Torah.
Ils croyaient aux lois faites par l’homme et non à celles prescrites par D.ieu.
Le mois de Tammouz est-il donc "un mauvais mois " ? Loin de là. C’est un mois de challenge et de confrontation. Sans challenge, il n’y a pas d’évolution. Sans confrontation, il n’y a pas moyen de percevoir les choses telles qu’elles sont.
Le trois du mois de Tammouz, un événement se déroula qui eut raison de toutes les lois de la nature. Josué menait les Juifs à la bataille à Givon contre leurs ennemis, les Amoréens. A la fin du jour, la bataille n’était pas encore véritablement arrivée à son terme. A ce moment, les Juifs semblaient être sur le point de l’emporter, mais si la bataille devait s’arrêter inévitablement à la tombée de la nuit, la victoire ne serait pas assurée et, le matin suivant, ils devraient faire face à un ennemi qui aurait retrouvé de nouvelles forces. Chaque instant était donc précieux.
Un miracle eut lieu : le soleil ne se coucha pas. Le jour se poursuivit douze heures de plus.
Les lois de la nature furent brisées, la bataille fut gagnée et, du moins pour l’instant, personne n’adora le soleil, mais seulement son saint, infini, insondable Créateur.
Traduction et Adaptation de Ra'hel Katz
Notes
1. Voir Ezéchiel 8:12 - 18,et « Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament » du Prof. J. B. Kramer, Pritchard Press, p. 55.