Une légende bien connue raconte que les rabbins s’emparèrent
un jour du yetser hara, le mauvais penchant de l’homme, et l’enfermèrent
dans une grande jarre. Ils envisagèrent de le tuer, mais il s’aperçurent
alors que plus personne dans le royaume ne se rendait à son travail,
et que même les poules ne pondaient plus. Ils se résignèrent à le
libérer.
La conclusion d’un autre texte est que « Si ce n’était à cause
du yetser hara, personne ne construirait de maison, ne se marierait, n’aurait
des enfants et n’apprendrait un métier ».
On voit donc que, malgré ce que le sens des mots implique, le yetser
hara n’est pas un instinct destructeur auquel nous sommes tous soumis.
Dans les deux exemples que nous rapportons, on voit qu’il s’agit
plutôt de forces intérieures qui proviennent du niveau le plus
bas de notre « moi ». Ces forces en elles-mêmes ne peuvent être
qualifiées de mauvaises ; en fait, elles sont nécessaires et
utiles à la vie humaine. Mais lorsque votre « surmoi » vous
dicte d’essayer de contrôler ou d’étouffer ces forces,
ou si ces forces prennent une ampleur exagérée, vous allez devoir
vous préparer à une lutte sans merci.
Le yetser hara fera tout
ce qui est en son pouvoir pour corrompre votre « moi » le plus élevé et
vous persuader de vous laisser aller à vos tentations. Le but n’est
donc pas de détruire le yetser hara mais de le contrôler et de
le canaliser vers le bien. Ben Zoma pose la question : « Qui est fort
? » et sa réponse est : « Celui qui contrôle ses mauvais
penchants ».
La personnalité de
chacun est unique, et donc, vous et moi sommes en proie à des désirs
qui possèdent une nature et des nuances
qui leur sont propres. Votre yetser hara est en tous points adapté à vos
désirs particuliers. Il est parfaitement délimité pour
vous opposer les défis spécifiques que vous devrez surmonter
pour pouvoir vous élever spirituellement. Et de même qu’il
existe un éventail infini de personnalités humaines, le yetser
hara peut revêtir une variété infinie de formes, mais
dans tous les cas, il sera parfaitement adapté à la typologie
spirituelle de chaque individu. Le yetser hara est un compagnon inséparable
de votre âme
dont toutes les facettes lui sont familières. Il est donc utile d’apprendre à se
familiariser avec le sien.
Connaissez-vous le vôtre ? Savez-vous reconnaître ces pulsions
intérieures qui vous poussent à faire ce que vous ne devriez
pas faire, ou vous retiennent de faire ce que vous devriez faire ?
Votre yetser hara peut
vous inciter à commettre des actes que vous
ne devriez vraiment pas commettre. « Vas-y », dit-il « Qui
s’en soucie. Qui s’en apercevra ? Tu ne fais de tort à personne.
Tu y as bien droit ». Il va vous flatter, vous cajoler, vous séduire,
faire tout ce qu’il faut pour vous persuader de sauter le pas.
Ou alors, votre yetser
hara sera la voix qui vous dissuade de faire ce que vous devriez faire. « Ne te fais pas de souci », vous dira-t-il. « Qu’as-tu à gagner
dans tout ça ? C’est sûrement le tour de quelqu’un
d’autre ». Ou de manière encore plus négative : « Ce
n’est pas pour toi, n’essaye même pas. Tu vas échouer,
ce n’est même pas la peine de commencer ».
UNE JUSTESSE APPARENTE
Le Gaon de Vilna écrit que le yetser
hara n’essaiera pas de vous
persuader de faire quelque chose de totalement interdit, car dans ce cas, vous
ne mordriez pas à l’hameçon. Il essaiera plutôt de
vous convaincre de faire un tout petit pas sur la mauvaise voie, en vous persuadant
que ce petit écart est en fait une action tout à fait honorable.
Ainsi, le yetser hara n’essaiera pas de convaincre une personne qui mange
cacher de se mettre sans transition à manger du porc, car il ne parviendrait
pas à forcer ses défenses. Par contre, il pourra tenter de convaincre
cette même personne de manger de la viande rôtie au Seder de Pessah
(ce qui est fortement déconseillé pour les Ashkénazim)
en lui murmurant « C’est tellement meilleur pour un repas de fête
! ». Si le yetser hara arrive à ses fins pour cette petite entorse,
il essaiera d’entraîner cette personne de plus en plus loin sur
le chemin de la transgression.
Le rabbi Yosef Hurwitz
de Novadork nous met en garde contre la manière
dont le yetser hara procède en exploitant ce qu’il appelle une « justesse
apparente ». Il prend pour exemple Caïn, qui finit par tuer son
frère Abel. Son premier pas vers cet acte terrible fut sa réaction
devant le rejet par Dieu de son sacrifice, alors qu’Il avait accepté celui
d’Abel. Caïn voulait que son sacrifice fût lui aussi accepté,
et il faisait ainsi preuve d’une jalousie positive et fondée.
Mais il s’agissait quand même de jalousie, et c’est ce qui
permit au yetser hara de trouver une faille d’une apparente justesse.
Caïn fut ensuite entraîné jusqu’à ce qu’il
commette le premier fratricide.
Certains maîtres du Moussar (enseignements basés sur la morale)
parlent de triompher de votre yetser hara. D’autres pensent qu’il
faut l’apprivoiser, ou canaliser son énergie. De quelque manière
qu’on l’aborde, il ne faut pas sous-estimer l’adversaire.
Sachez que l’ennemi est rusé, incontrôlé, trompeur.
Il n’obéit pas aux mêmes règles que nous. Et plus
nous parvenons à composer avec lui, plus subtile est sa résistance.
C’est un vieux renard.
Le yetser hara s’arrange toujours pour ne pas nous faciliter la tâche.
Lorsqu’il était enfant, le futur maître du Hassidisme Eliezer
de Dzikov se fit réprimander par son père, rav Naftali de Ropshitz,
pour une bêtise qu’il avait commise. « Mais que puis-je faire
si mon yetser hara m’entraîne ? » demanda l’enfant.
«
Eh bien, prends exemple sur ton yetser hara » lui répondit son
père, « Regarde avec quelle constance il accomplit sa tâche ».
«
Oui, » dit l’enfant, « mais lui, il n’a pas de yetser
hara pour le perturber ! ».
LE MONSTRE EFFRAYANT
Les maîtres du Moussar insistent pour que vous preniez conscience de
la nature de votre yetser hara et de la manière dont il se manifeste
dans votre vie. Ils veulent que vous sachiez qu’il peut faire irruption à tout
moment et que la lutte pour le surmonter est l’affaire d’une vie.
Ils veulent que chacun de nous apprenne à composer intelligemment avec
son propre yetser hara.
Et ils nous avertissent
que, malgré tous nos efforts (et jamais une
civilisation n’a été plus inventive et efficace que la
nôtre à cet égard), notre « moi » le plus bas,
avec son instinct de conservation et autres pulsions de tout ordre, n’est
pas disposé à se laisser anesthésier ou matraquer. Tous
ces efforts ne servent qu’à repousser provisoirement ce psycho-terroriste
rusé vers sa caverne où il se nourrit de notre sottise en attendant
sa victoire et notre chute. A chaque coup que nous lui portons, sa force souterraine
grandit jusqu’à ce qu’il réapparaisse au grand jour,
soit comme un monstre à la démarche lourde, soit comme un gaz
toxique se faufilant dans les failles de la personne que nous croyons être.
Traduction et Adaptation de Monique Siac