Deux personnages, en dehors de Jacob,
dominent respectivement les parachas de Miqets, Vayigach et Vayéhi,
Joseph et Juda.
Si Joseph par beaucoup d’aspects intellectuels et spirituels ressemble à son
père et à ses ancêtres Abraham et Isaac, Juda inaugure
dans ces trois sections, une nouvelle personnalité, l’homme politique.
Jusqu’à la paracha de Miqets, les rivalités que nous décrit
la Torah sont manichéennes ; il y a toujours le bon et le mauvais :
Abel et Caïn, Noé et son environnement, Abraham et le Pharaon ou
Abimelekh, Isaac et Ismaël, Jacob et Esaü. Ici, on constate en fait
une complémentarité qui, certes par moment, est une controverse,
mais qui ne se traduit jamais par une animosité ou par une quelconque
violence.
Rappelons brièvement les données concernant Joseph et Juda qui
vont nous aider à étayer notre proposition.
Joseph a fait preuve d’un certain orgueil auprès de ses frères,
D.ieu le met à l’épreuve en prolongeant son séjour
en prison de deux années après l’épisode des rêves
de l’échanson et du panetier. Joseph a espéré sa
libération de l’échanson qui a oublié sa promesse.
Il a ainsi porté ses espérances sur un orgueilleux plutôt
que sur D.ieu Lui-même et de ce fait, il a été puni.
Joseph est un conseiller d’exception : brillant planificateur, économiste, homme d’idées. Mais son pouvoir n’est pas hégémonique.
Appelé par le Pharaon à interpréter ses deux rêves,
grâce tout de même à l’échanson, il apporte
une explication et un mode d’action qui a séduit le souverain
d’Egypte. Bien sûr, ce dernier comme ses conseillers avaient vu
qu’il y avait dans ces rêves, des périodes de sept ans,
de prospérité et de famine, mais ce qu’ils n’avaient
pas compris, c’était l’imminence de ces évènements.
En effet, les deux rêves apparaissaient comme une redondance incompréhensible.
Contrairement à d’autres écrits, une redondance dans la
Torah est toujours porteuse d’informations.
De fait, Joseph indique par là au Pharaon qu’il faut faire vite
et agir en conséquence. Il démontre ainsi ses dons d’économiste
et de planificateur, peut-être le premier dans l’Histoire des hommes.
De plus, il met en place un système de prélèvement dont
la modernité est saisissante : un cinquième de la récolte
doit être engrangé et répondre à toutes les conditions
de conservation. Pourquoi un cinquième ? Un septième aurait peut-être
suffi. Non, Joseph a tenu compte, et on le verra plus tard, des imprévoyances
de la population, d’une partie de celle-ci (les prêtres) non assujettie
et des aléas qui pourraient survenir. Rappelons, qu’en moyenne,
sur l’ensemble des pays démocratiques développés,
la moyenne (il ne s’agit pas de la tranche marginale pour ceux d’entre
nous qui ont de hauts revenus) des prélèvements directs sur les
revenus sont d’environ 20%. Il fait montre, là aussi, de compétences
fiscales incontestables.
Allons plus loin, une fois que ses
frères sont installés à Goshen
avec leur père, il instaure, mais uniquement au sein du peuple d’Israël,
une sorte de redistribution des revenus (à chaque famille selon ses
besoins). Pourquoi seulement au sein d’Israël? Probablement, parce
que Joseph considérait que l’aristocratie égyptienne n’était
pas mûre, spirituellement et politiquement, à accepter cela. Si
Joseph est un homme d’idées, il prouve par là qu’il
n’est pas un idéologue.
Par ailleurs, Joseph est aussi un
homme de Torah qui, dans un environnement difficile, a respecté les mitsvoth. Au moment où son père
lui demande d’aller voir ses frères à Sichem pour s’assurer
que tout allait bien, ils étaient tous deux en train d’étudier
la Torah.
Or quand ses frères reviennent en Canaan pour annoncer à Jacob
que Joseph vit et est prince d’Egypte, il ne les croit pas, ils lui ont
déjà menti. Il ne comprend que quand il voit les chariots dont
la racine en hébreu est commune au mot génisse qui apparaît
dans la paracha de Choftim qui était celle que précisément,
ils étudiaient.
Tout cela prouve donc que Joseph était un homme d’études
de la Torah. Mais pas seulement ; il étudiait aussi les sciences profanes, économiques
et sociales. Il était un conseiller remarquable, on dirait aujourd’hui
un brillant haut fonctionnaire. Toutefois, et malgré ses titres de prince
et de vice-roi, ainsi que la confiance qu’il avait auprès du Pharaon,
il n’exerçait pas le pouvoir politique suprême. N’oublions
pas qu’il a dû demander l’autorisation à ce dernier
d’aller en Egypte pour enterrer son père Jacob.
QU’EN EST-IL DE JUDA
?
Juda s’est interposé face à ses frères, en l’absence
de Ruben, pour sauver Joseph une deuxième fois et accepter le compromis
qui consistait à ce qu’il fût vendu aux marchands madianites.
De cet épisode, son « leadership » s’est progressivement
imposé à ses frères.
D’abord dans la mêlée, lorsque Joseph les accuse d’espionnage,
laissant l’aîné Ruben leur reprocher la faute commise envers
Joseph. Puis argumentant auprès de Jacob pour lui faire accepter que
Benjamin les accompagne en Egypte et ainsi répondre à la demande
de « l’homme d’Egypte », prenant le risque de perdre
sa vie dans le « Olam Aba » (le monde à venir). Puis face à Joseph
dans la rencontre cruciale où ce dernier cherche à garder Benjamin
accusé d’avoir volé la coupe qui a été mise
dans son sac.
Dans un premier temps, Juda accepte,
par avance, la sentence de Joseph. Dans un deuxième temps, il se fait l’avocat de Benjamin, évoquant
les épreuves subies par leur père. Le récit de la Torah
décrit une atmosphère apparemment modérée, par
contre, le récit du Midrach montre une discussion violente : « les
yeux de Juda sont trempés de sang, les frères derrière
lui piétinent le sol de leurs pieds » face à ce qui leur
semble être de la part de Joseph, des finasseries. Juda démonte
un à un les arguments de Joseph, et prouve par là même,
la sincérité de tous les frères, dans leur amour envers
Benjamin. Cela compense plus qu’il n’en faut, aux yeux de Joseph,
la haine passée. Il cède sous l’émotion et se dévoile.
Alors que Joseph est le gardien de la Torah écrite, Jacob fait de Juda le promoteur de la Torah orale dans le futur d’Israël.
Juda a donc acquis dans cette controverse
les titres de noblesse que va lui accorder son père Jacob en l’envoyant en quelque sorte en éclaireur
pour bâtir la première yechiva (maison d’études)
dans le pays de Goshen. Alors que Joseph, à la suite de son père,
est le gardien de la Torah écrite, Jacob fait de Juda le promoteur de
la Torah orale dans le futur d’Israël.
L’HOMME D’ETUDES
ET LE POLITIQUE
Ces trois parachas sont édifiantes par le fait qu’elles mettent
en avant un des principes fondamentaux de la démocratie : la séparation
du prophète et du roi, de l’intellectuel et du politique, donc
de la nécessité d’une opposition face au pouvoir.
De fait, Jacob dans son héritage, à la fin de ses jours, dit
de Juda « rouges seront les yeux de vin et blanches les dents de lait »,
ce qui met en relief sa convivialité, le partage du vin et le sourire
aux lèvres propres aux hommes politiques modernes. Enfin, le troisième
patriarche donne à Juda, l’onction de la royauté d’Israël.
De lui, descendront les rois et le messie.
Quant à Joseph, Jacob dit de lui « fils fertile sur l’œil.
Des filles marchent sur la muraille. ». Sa vision est lointaine, il convainc
par son charisme. « Rocher d’Israël », il est le garant
de la liberté, du spirituel et de la morale.
Le fonctionnement des sociétés a montré tout au long
de l’Histoire que toute dérogation au principe de séparation
conduit à la dictature et au régime totalitaire. Le XXème
siècle l’a amplement illustré.
Malheureusement, ce début
de XXIème siècle voit resurgir à nouveau un ancien totalitarisme
où le religieux se confond avec le pouvoir. L’espoir réside
dans l’implosion de ce type de régime par la résistance
et le soulèvement final des croyants sincères, des démocrates
et des intellectuels qui subissent ce mode de gouvernement.