En Septembre 1939, l’invasion de la Pologne par Adolf Hitler marquait
le début de la Deuxième Guerre Mondiale. Une semaine plus tard,
Charlie Chaplin commençait le tournage de la plus audacieuse satire
politique de tous les temps : « Le Dictateur ». Elle l’était
d’autant plus qu’on s’y moquait d’Hitler et du nazisme à un
moment où l’Amérique était encore officiellement
en paix avec l’Allemagne. Chaplin avait appris comment les Juifs étaient
traités dans l’Allemagne hitlérienne et il tenait absolument à ce
que son film se fasse.
«
J’étais bien décidé à faire mon film et à montrer
Hitler sous un jour ridicule » disait Chaplin.
On dit même que par le biais de la satire, Chaplin put révéler
au public américain le caractère néfaste d’Hitler
et du nazisme, et encourager ainsi les Etats-Unis à entrer en guerre
et à combattre cette idéologie perverse. Le président
Franklin D.Roosevelt aurait même chargé un envoyé personnel
d’aller encourager Chaplin à mener son projet à bien.
Faisons maintenant un saut jusqu’en 2006. Nous voyons que le monde est
une fois encore au bord d’une explosion d’antisémitisme,
de racisme et de haine. Serions-nous prêts à accueillir un nouveau
film satirique qui permettrait de démasquer ceux qui font régner
l’intolérance et la haine dans le monde ?
Des voix s’élèvent pour dire que tel est bien le but d’un
film qui vient de sortir sur les écrans : « Borat : leçons
culturelles sur l’Amérique pour profit Glorieuse Nation Kazakhstan ».
L’auteur du film est le comédien juif Sacha Baron Cohen, et son
héros, Borat, est un journaliste lubrique, misogyne et antisémite,
issu d’un village du Kazakhstan, qui, en compagnie de son réalisateur
obèse et hirsute, part pour les Etats-Unis tourner un documentaire sur
le mode de vie américain, destiné à leurs concitoyens.
Il quitte son village dans une carriole juste avant « la Course aux Juifs »,
le festival kazakh traditionnel vaguement inspiré des courses de taureaux
qui ont lieu chaque année en Espagne.
A peine arrivé à New York, Borat se sent tout de suite comme
chez lui. Il se débarbouille dans la cuvette des WC, essaie, dans le
métro, de prendre dans ses bras des étrangers qui réagissent
violemment, transporte avec lui, dans une valise, un poulet vivant qu’il
fait surgir aux moments les plus inopportuns et se comporte en public avec
une vulgarité intrépide. Il part ensuite pour le Sud des Etat-Unis
où il se retrouve dans un rodéo, haranguant les spectateurs en
leur disant : « Nous soutenons votre combat terroriste ! ». Alors
qu’ils se trouvent dans une pension de famille tenue par un couple de
Juifs âgés et aimables, Borat et son acolyte voient deux cafards
qu’ils s’imaginent être leurs hôtes transformés
en insectes, à qui ils jettent de l’argent avant de déguerpir
en toute hâte. Dans une armurerie, ils demandent au patron sans méfiance
quel serait le meilleur calibre de fusil pour tuer un Juif. « Du neuf
millimètres » leur répond-il avec une terrible candeur.
Lors d’une autre de ses escapades, Borat visite, au Texas, un ranch
dont le propriétaire est antisémite au point d’être
persuadé que la solution finale d’Hitler était une nécessité pour
l’Allemagne. Il laisse entendre ensuite (avec l’approbation de
Borat) qu’il ne verrait pas d’obstacle à exploiter un ranch
où l’on pourrait tirer « d’abord sur des cerfs…puis
sur des Juifs », dixit Borat.
La satire est un procédé efficace utilisé dans les comédies
pour démasquer le ridicule du comportement de certains personnages.
La Ligue Anti-Diffamation, bien que se disant préoccupée par « l’antisémitisme
délirant exprimé par le héros et par le caractère
stéréotypé de certains personnages » espère
néanmoins que le public comprendra la technique utilisée par
Baron Cohen, qui consiste à « utiliser l’humour pour démasquer
l’aspect absurde et irrationnel de l’antisémitisme et d’autres
phobies dues à l’ignorance et à la peur ». Il faut
reconnaître que Borat parvient parfois à atteindre ce but.
Une bonne satire parvient à faire changer le regard que les gens portent sur le monde
Mais une satire vraiment réussie, de la même veine que celle
de Charlie Chaplin, va encore plus loin. Elle parvient à faire changer
le regard que les gens portent sur le monde, et même à modifier
leurs convictions et leurs actions. Et cela, Borat n’y parvient absolument
pas.
Borat se cantonne à un humour de bas étage qui s’abaisse à un
niveau qui frise le grotesque. Il cède à la tendance que l’on
retrouve trop souvent dans les comédies modernes qui consiste à croire
que la vulgarité plaît à la majorité des spectateurs.
En préférant des blagues de potaches à une satire percutante
et profonde, Borat passe à côté d’une occasion en
or. Au lieu de sortir du cinéma en réalisant à quel point
les racistes et leurs idées sont ridicules et dangereux, les spectateurs
vont probablement sortir en se demandant pourquoi la scène la plus longue
du film est celle où l’on voit Borat et son réalisateur
se bagarrer au cours d’un congrès d’agents d’assurances.
Le président iranien appelle à l’élimination de
l’Etat d’Israël. Les attaques contre les Juifs se multiplient
de façon alarmante. Les défenseurs d’Israël essayent
d’éveiller l’attention du monde mais ne parviennent pas à grand-chose
malgré leurs efforts. Il serait temps de trouver d’autres moyens
de faire passer le message, et la satire est sans doute ce qui conviendrait
le mieux. Malheureusement, nous sommes en 2006, et nous n’avons que Borat,
alors que ce dont nous aurions réellement besoin, c’est d’un
Chaplin.
Traduction et Adaptation de Monique SIAC