Q. : Ayant récemment commencé de travailler pour le compte d'une organisation d'intérêt public et à but non lucratif, j'ai été étonné de constater que certains de ses collaborateurs n'étaient pas respectueux de l'éthique. Bien que la personne à la tête de notre organisation soit une référence éminente pour la moralité publique et la conscience sociale, je l'ai surprise à plusieurs reprises, lors de réunions, à proférer des mensonges éhontés, et j'ai été scandalisé de l'entendre, au cours de banquets, prononcer des appréciations désobligeantes sur les noirs et d'autres gens. Comment un tel dirigeant peut-il ne pas être à la hauteur de sa réputation ?
Y a-t-il quelque chose que je puisse faire à ce sujet ? Je ne voudrais pas apparaître comme chargé d'une mission moralisatrice, mais j'aimerais que l'honneur et la loyauté soient les estampilles de toute personne investie d'une mission d'intérêt public. Faut-il que je rende compte au Conseil d'administration du comportement de mon patron, ou dois-je simplement me mettre à la recherche d'un autre emploi, là où les gens mentent mais sans inciter en même temps les autres à la perfection morale ?
R.
La réponse que le judaïsme propose dans votre cas est claire, mais elle constitue aussi une épreuve.
La tradition juive insiste sur le fait que la Torah n'a pas été donnée à des anges mais à des êtres humains. D.ieu sait que nous sommes imparfaits, et Il nous a donné la Torah pour aider à notre amélioration. Les dirigeants spirituels, malgré leurs lourdes responsabilités qui devraient les inciter à servir d'exemples, ne font pas exception ; ils ont les mêmes impulsions humaines que tous les autres hommes.
Un des commandements de la Torah stipule : " Tu ne haïras pas ton frère en ton cœur ; tu réprimanderas ton semblable, et tu ne porteras pas sur lui de péché " (Lévitique 19, 17). Nous avons le devoir de considérer nos problèmes en face et de ne pas les éluder. Ce commandement comporte beaucoup de résultats bénéfiques.
Tout d'abord, il offre à celui que l'on soupçonne la possibilité de s'expliquer. Des d'actes peuvent paraître inconvenants ou immoraux, et s'appuyer pourtant sur des raisons valables. Cet aspect est renforcé par une autre directive de la Torah : " Tu jugeras ton semblable avec justesse " (Lévitique 19, 15). Selon la tradition juive, cela inclut l'octroi du bénéfice du doute.
En deuxième lieu, une réprimande pondérée est un acte de bonté. Elle aide celui qui la reçoit à devenir conscient de ses défauts et peut ouvrir la voie vers son amélioration.
Enfin, cette pratique permet d'éviter que persistent et s'aggravent les mauvais sentiments parmi les gens. Elle permet à ceux-ci d'étaler leurs problèmes au grand jour et de les résoudre, ainsi que l'indique explicitement le verset.
Il nous faut garder bien présent à l'esprit qu'une réprimande ne peut être efficace que si elle est sincère, si celui qui la formule veut vraiment entendre la version de l'autre personne, et s'il veut sincèrement qu'elle soit profitable. Cela est vrai pour quiconque, et surtout dans le cas d'une personne respectée qui occupe une position de direction morale.
Il convient d'entrer en matière sans agressivité, et de s'exprimer d'une manière neutre en disant, par exemple : " J'ai été surpris par ce que vous avez dit sur le compte d'Untel au cours de notre réunion. " Ou bien : " Je sais que vos propos au sujet des Noirs n'étaient qu'une blague, mais j'ai pensé qu'il fallait que vous sachiez qu'ils m'ont mis très mal à l'aise. "
Il serait injuste de dénoncer l'intéressé au Conseil d'Administration sans avoir entendu sa version des faits. Et même après avoir entendu sa version, sollicitée de manière pondérée comme dit plus haut, on devra se demander s'il servira à quelque chose de porter l'affaire aux sommets de la hiérarchie.
Il n'existe aucune obligation d'aborder le sujet avec son patron si l'on pense que cela risquera de compromettre sa situation ou la relation que l'on a avec lui, ou si l'on trouve cette démarche gênante. Mais tout cela n'est que théorique : On sera étonné de voir à quel point l'opinion que l'on a de lui aura changé après que l'on aura entendu sa version des faits, ou après qu'il aura eu la possibilité de justifier ce qu'il a dit ou fait.
Sources : Talmud - Berakhoth 25b ; Chevou'oth 30a.
Q. : Lors de la "restructuration" de la société qui m'emploie, on m'a averti qu'il ne me restait plus que deux mois à passer dans l'entreprise. Je négocie actuellement pour son compte avec un éventuel futur client qui se trouve être un ami. Je suis persuadé qu'il s'attend à travailler, s'il devient notre client, avec des gens qu'il connaît chez nous, dont la plupart sont sur le point d'être licenciés. Ai-je le droit de lui faire connaître que le départ de beaucoup d'entre nous est imminent ?
R.
Il convient de distinguer ici entre plusieurs sortes de relations : celles de l'entreprise avec le client, vos propres relations avec le client, et vos propres relations avec l'entreprise.
Votre employeur n'agit pas envers le client d'une manière contraire à l'éthique en ne l'informant pas que l'entreprise est sur le point d'être réorganisée, dès lors qu'il est en mesure d'exécuter ses obligations et qu'il n'a pas promis ou laissé entendre qu'il chargera de l'exécution du contrat des collaborateurs nommément désignés.
Aussi longtemps que vous représentez votre employeur, vous devez le faire en toute loyauté. Cela signifie que vous ne devez pas, dans vos contacts avec le client, compromettre les intérêts de l'entreprise. Les géants moraux de la Bible ont été exemplaires de loyauté en tant qu'employés. Jacob a fait remarquer aux filles de Laban : " Et vous, vous savez que c'est de toute ma force que j'ai servi votre père " (Genèse 31, 6.). Et Joseph, quand il a été soumis à la tentation par la femme de son employeur, a commencé par répondre que ce serait un péché envers celui-ci, avant même que ce le soit envers D.ieu. (Genèse 39, 8-9.)
Cependant, en demandant à un collaborateur sur le point de le quitter de négocier en son nom avec un ami personnel, votre patron vous met, c'est le moins qu'on puisse dire, dans une position embarrassante. Vous devrez dire à votre patron que vous vous sentez mal à l'aise de devoir représenter l'entreprise dans de telles conditions, et lui demander de désigner quelqu'un d'autre. Vous pouvez invoquer des raisons personnelles (le fait que le client est un ami), des raisons professionnelles (vous ne voulez pas compromettre votre crédibilité), ou simplement le fait que vous l'avez déjà presque quitté.
Il est vrai que, quand vous informerez votre ami que quelqu'un d'autre que vous va négocier avec lui, il pourra en inférer qu'il y a quelque part "anguille sous roche". Mais vous n'êtes pas tenu de donner explicitement au client l'impression que vous resterez dans l'entreprise, et vous n'avez aucune raison d'accepter cette mission, compte tenu de la situation incommode où elle vous met. Les explications, ce sera à votre patron de les donner.
Mais il se peut, bien sûr, que si vous refusez de travailler sur ce contrat vous perdiez immédiatement votre emploi…
Q. : Les clients de ma clinique de chiropraxie peuvent obtenir une réduction en souscrivant un contrat de dix séances. J'ai l'habitude de rembourser les patients pour les visites qu'ils n'ont pas faites, mais il m'arrive d'être convaincu qu'un client donné a vraiment besoin, d'un point de vue strictement médical, d'un traitement complet. Quand cela arrive, est-ce que j'ai le droit de refuser le remboursement et de dire au patient qu'il devra terminer sa série ? Il est cependant entendu que je ne tiendrai ce langage que lorsqu'il en ira de l'intérêt du patient sur un plan strictement médical.
R.
Bien que les membres des professions médicales aient tendance à se considérer comme des patrons, il faut rappeler qu'ils ne sont, en définitive, que des salariés, engagés par les patients pour les soins qu'ils souhaitent obtenir. Quand l'un d'eux déclare ne pas vouloir finir le traitement, cela revient à dire qu'il congédie le praticien auquel il a fait appel.
La loi juive est très protectrice du salarié, et beaucoup de lois le protègent contre toutes formes d'exploitation par son employeur. Par exemple, l'ouvrier renvoyé n'est pas rémunéré au prorata du travail effectivement réalisé. Si son emploi actuel l'a privé d'occasions de gagner de l'argent, son dédommagement doit en tenir compte. Vous avez donc le droit d'adopter une politique de remboursement qui tienne compte de cette réglementation, et faire payer, par exemple, pour les visites effectuées comme si elles étaient des visites isolées et non des parties d'un ensemble.
Mais vous ne pouvez pas obliger quelqu'un à vous embaucher. De même, si une personne est employée pour une durée préalablement définie d'un commun accord, comme dans le cas dans votre contrat de dix séances, l'employeur - ici le client - n'est tenu à aucune obligation de continuer de respecter le contrat s'il décide de ne plus vouloir de ce travail ou s'il éprouve de l'antipathie pour le salarié. Son seul devoir est de veiller à ce que celui-ci reçoive une juste compensation. Vous n'avez pas le droit d'invoquer le fait que l'argent a été versé à l'avance pour priver le patient de son droit de choisir ou de refuser un programme de soins.
Une autre considération est à prendre en compte dans votre cas. La relation entre le fournisseur d'un traitement médical et son patient a besoin d'être basée sur la confiance. L'utilisation de sanctions monétaires comme un moyen de mettre en œuvre vos opinions médicales est de nature à éroder la confiance de vos patients en votre jugement professionnel. Même les chiropracteurs devraient éviter ce genre de comportement manipulateur.
Sources : Choul'han 'aroukh, 'Hochèn michpat, 333
Traduction et adaptation de Jacques KOHN