Assis par terre, au beau
milieu de ses pantalons, rollers et livres de classe, Mochico, Moché (Moïse) de son vrai nom, compte les pièces
d’argent qu’il vient de retrouver au fond de son sac :
- Sept, huit, neuf, dix ! Ouiii… C’est bon, j’ai le compte
! s’écrit-il fou de joie. Dix shekels (environ un euro et demi),
j’ai enfin dix shekels !
Il se lève d’un seul bond et sort, laissant derrière
lui un joyeux désordre. Il descend les escaliers quatre à quatre,
et attrape son manteau d’une main rapide :
- Mochico ? appelle maman
l’aspirateur au poing, as-tu déjà vérifié ton
cartable, et toutes les poches de tes vêtements ? Souviens-toi qu’il
ne reste que deux jours avant la Bedicat Hamets (recherche des aliments contenant
du levain)
- Je sais maman ! … ne t’inquiète pas … J’ai
presque fini …
- Mais où vas-tu ? questionne-t-elle interloquée de le voir enfiler
sa veste.
- Je reviens tout de suite…, lance-t-il tout en refermant la porte derrière
lui. … Tout de suite …
Et d’une traite, il court jusqu'à l’épicerie
de son quartier qui se trouve trois rues plus loin.
Ici aussi, comme dans tous
les endroits où l’on prépare
la fête de Pessah (pâque juive) il y a du remue-ménage !
De grosses affiches « Cachère pour Pessah » ont
fleuri un peu partout dans la boutique :
- Bonjour Mochico ! souhaite
le patron de l’épicerie.
- Bonjour Simon ! répond essoufflé le garçonnet. Je voudrais
des « Chococam » ! J’espère qu’il en reste encore …
- Là, devant toi ! montre-t-il de sa main.
- Ils sont toujours à dix Shekel, n’est-ce pas !
- Oui ! répond Simon en souriant, trois pour le prix d’un !
Radieux, le petit sort
les pièces
de sa poche :
- Voilà ! cinq, et puis six, sept, huit, neuf, dix !
Simon recompte derrière l’enfant
:
- Des « Chococam » deux jours avant Pessah ! interroge-t-il en
relevant la tête, tu es sûr que ta maman est d’accord ?
Ne comprenant pas bien la question de Simon, Mochico répond :
- Bien sûr, puisque je les paye avec l’argent que j’économise
depuis Pourim !
Simon sourit encore :
- Dans ce cas, dit-il en lui tendant le ticket de caisse, régale-toi
bien, et surtout partage-les avec tes frères et sœurs et tous
tes copains !
Le petit garçon fronce les sourcils, et sort de l’épicerie
tenant fortement serrés dans ses mains les trois sacs de Chococam.
Sur le chemin du retour, il ne réfléchit plus à rien,
et sans attendre ouvre un des sachets de bonbon. Après avoir prononcé la
bénédiction, il en fourre un dans sa bouche, et le déguste
avec bonheur !
- Mmmmm… Délicieux… pense-t-il tout haut, du chocolat
fondant mélangé à du caramel mou et au milieu une sorte
de petit gâteau ! Mmmmm ! Ce sont les meilleurs bonbons du monde !
Trois sacs pour le prix d’un, ça c’est une affaire ! J’en
ai pour au moins un mois !
Le quatorze Nissan est
enfin arrivé. Tout le Hamets a été chassé de
la maison à coup de savon, de brosse, et de balais. La cérémonie
qui suit ce grand nettoyage est un moment assez rigolo !
A l’aide d’une bougie et d’une plume, et dans le silence
le plus total, le chef de famille parcourt tout le logis afin de s’assurer
qu’il ne reste plus une seule trace de ce Hamets. « Bedicat » en
hébreu signifie « examen ».
- Les enfants, « Bedicat Hamets » ! annonce Papa. Nous commençons
dans une minute !
Mochico arrive le dernier,
car c’est lui qui a été chargé de
déposer des petits morceaux de pain enveloppés de papier alu
dans chacune des chambres de la maison. Cela aussi fait partie de la cérémonie
!
Papa éteint la lumière électrique et la recherche commence.
Myriam et Mochico pouffent derrière lui.
La première étape est la chambre des grandes filles. Bien évidemment
ils ne trouvent que le petit papier plein de miettes de gâteau mal fermé que
le plus jeune a laissé sur le rebord de la fenêtre.
Toute la famille passe
ensuite dans le territoire des garçons. Et au
milieu des petits rires des enfants, Papa, faisant semblant de ne rien trouver,
joue le jeu. Il soulève les vêtements posés sur la chaise,
ouvre et referme l’armoire, se penche sous le lit, la bougie toujours
allumée. Et voilà qu’il aperçoit un nouveau morceau
d’aluminium plein de pain ! Tout comme le premier il le place dans un
sachet en plastique, puis se dirige vers la porte.
Les chuchotements reprennent de plus belle !
Mais le mini drame se produit à l’instant où maman ajustant
l’oreiller de son fils un tout petit peu trop à droite sur le
lit, laisse apparaître, malgré l’obscurité, les « Chococam » de
Mochico. Sans hésitation, Papa les prend et les place avec le reste
du Hamets.
Le sang du garçonnet ne fait qu’un tour et malgré l’interdiction
de parler il s’écrit bouleversé :
- Non ! C’est à moi ! Ce sont mes « Chococam » !
Et tandis que les larmes lui montent aux yeux, une bonne dizaine de « Chut » le
fait taire.
La nuit, au fond de son lit, Mochico ne cesse de se tourner. Malgré les
explications, les promesses et les consolations qu’il a reçu de
ses parents, il ne trouve pas le sommeil, car il ne parvient pas à accepter
d’expédier un mois de bonbons à la poubelle !
Pour son cœur de petit garçon, Hamets ou non, jeter des « Chococam » est
toujours un gaspillage ! Parfaitement du gaspillage ! Et Hachème ne
veut pas que l’on gaspille !
Fort de sa réflexion, il se lève et descend à pas de
loup vers la cuisine, où se trouve le sachet plein de Hamets qui attend
demain matin dix heures pour être brûlé ! Il l’ouvre
avec toutes les précautions possibles et en sort ses Chococam ...
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