En un temps où les résurgences de comportements sauvages que
nous croyons d'un autre temps apparaissent, où les instincts les plus
bas et les plus destructeurs peuvent régner en un être humain.
Oui, en un temps où la sauvagerie réapparaît, je pense
qu'il est urgent de cerner les mécanismes psychologiques et sociaux
qui lui ont permis d'émerger.
Il est urgent de comprendre
comment celle-ci a pu se propager. Il faut étudier
la nature du terreau qui - sans en être directement à l'origine
- lui a cependant donné le moyen de prospérer.
Cette réflexion doit mener l'individu et la société à réagir
de façon concrète, judicieuse et réfléchie afin
de trouver les véritables moyens permettant à cette folie humaine
de disparaître.
Les manifestations, les
réactions dans les médias, les pressions
sur le politique sont nécessaires mais insuffisantes. Il est indispensable
de briser l'enfermement de certaines personnes vivant dans des sociétés
parallèles autosuffisantes, permettant à un individu de vivre
sa folie meurtrière et raciste sans être directement inquiété par
son entourage.
Il faut pénétrer ces mondes parallèles afin d'y faire
entrer la lumière de la tolérance, du respect de l'autre, de
la différence, de l'égalité entre tous les êtres
humains, quelque soit leur appartenance ethnique ou religieuse.
Une vigilance sans concession
est indispensable en France et dans les pays démocratiques, afin de veiller à ce que les « droits de
l'homme » - si difficilement acquis dans les sociétés occidentales
- soient respectés et pénètrent réellement les
cœurs de tous.
Il est bon de rappeler ici quelques enseignements du judaïsme qui, depuis
trois milles ans, proclament pour les juifs et, par leur biais, pour l'humanité dans
son ensemble, des idées fortes, seules capables de mener l'humanité au
bonheur auquel elle aspire.
Portons un regard sur la
question de la « Liberté » telle
qu'elle est développée dans le Torah et ses commentaires.
Les premiers chapitres
de l’Exode sont une véritable ode à la
Liberté. Ils relatent l’histoire d’un peuple soumis à un
esclavage abjecte pendant plusieurs centaines d’années, l’histoire
d’un peuple qui a pu accéder à la Liberté, créant
un « traumatisme » planétaire, et livrant un enseignement
de la première importance, à savoir qu’il est possible
de s’affranchir d’un régime totalitaire. Il est possible
de faire voler en éclats un système d’esclavage organisé ayant
fait ses preuves des décennies durant.
QUATRE NIVEAUX DE LIBERTE
Ainsi, une réflexion sur les quatre coupes de vin autour desquelles
s'articulent la soirée du Sédère, la soirée pascale,
va nous permettre de mieux cerner les différentes facettes de ce droit
fondamentale auquel tout être humain aspire : le Liberté.
Les maîtres remarquent que D.ieu dans la Torah emploie quatre formes
verbales différentes pour annoncer la future libération d'Israël.
En l'espace de deux versets
seulement (Ex. 6 – 6,7) D.ieu annonce qu'Il « soustraira » (Véhotséti) le peuple juif aux souffrances des Egyptiens, puis qu'Il le sauvera (Véhitsalti) et le délivrera (Végaalti). Enfin, D.ieu promet qu'Il prendra
(Vélakahti) le peuple juif pour être Son peuple.
Cette multiplicité des formes verbales utilisées par la Torah
est à l'origine de l'obligation rituelle de boire quatre coupes de vin
le soir de Pessah. Chacune de ces coupes devant célébrer une
des formes de notre accession à la liberté.
Cependant, on peut légitimement s'interroger sur la raison d'être
de cette multiplicité de termes évoquant la libération
du peuple juif.
Pourquoi D.ieu n'annoncerait-il
pas cette libération avec une seule
forme verbale ?
Cette remarque a conduit
les maîtres du Judaïsme à expliquer
que la Torah indiquait ici les quatre types de liberté auxquelles l'homme
a droit. Elle évoque par ce biais les différentes facettes de
la Liberté, strictement différentes les unes des autres, et dont
l'obtention de l'une n'implique en rien l'obtention de l'autre.
Mais quelles sont donc
les différentes modalités de « la
Liberté » ?
Les maîtres de la ‘Hassidout décrivent l’être
humain comme le lieu où résident quatre forces essentielles et
différentes l’une de l’autre.
La première est la force corporelle, appelée
dans la terminologie hassidique gouf.
La seconde est la force
sensitive,
dénommée néfech.
La troisième est la force intellectuelle : se’hel.
Enfin, la quatrième, couronnant les trois premières, est appelée
Tsélem Elokim, l’image de D.ieu ; caractéristique qui permet à l’homme
de définir la finalité de son être dans le monde qui l’entoure.
La liberté d’un homme doit être vécue à ces
quatre niveaux.
L’homme est libre de disposer de son corps, de ses sentiments, de son intelligence. Il est donc nécessairement libre de définir la place qu’il estime être la sienne dans le monde.
Le projet divin est de
permettre à l’homme, par l’exercice
de son libre arbitre, et à la lumière des enseignements contenus
dans la Torah, de choisir librement les modes de fonctionnement des modalités
de son être qui seront en adéquation avec le projet de D.ieu pour
l’homme ; projet défini au moment de la création du monde
et de l’homme.
La condition première pour la réussite de ce projet est l’exercice
libre du libre arbitre.
Un homme, une nation, voire
même une civilisation, emprisonnant un homme
en l’empêchant de disposer de son corps selon son bon vouloir,
en l’empêchant de vivre ses émotions à sa guise,
en contrôlant les recherches intellectuelles qu’il tente d’entreprendre,
en contrôlant dés lors, de facto, la représentation de
son Moi, lui fait perdre toute chance d’atteindre la félicité qu’il
recherche.
Par ailleurs, il ne faut
pas que l’exercice de la Liberté puisse
nuire à autrui et à soi même. C’est dans ce difficile
et étroit chemin que se trouve la voie du bonheur.
L’Egypte était le lieu de l’asservissement total de l’être
des hébreux. Les sages voient dans le verset qui suit l’expression
de la souffrance des enfants d’Israël.
« Ils leur rendirent la vie amère
par des travaux pénibles
sur l’argile et la brique,
par des corvées rurales,
outre les autres labeurs
qu’ils leur imposèrent
tyranniquement »
La sortie d’Egypte est considérée comme le moment où les
hébreux accèdent à la liberté, comme le un moment
où ils retrouvent le pouvoir de diriger librement les quatre éléments
constitutifs de leur être.
Les sages veulent que nous
prenions conscience de la mesure de l’événement
de la sortie d’Egypte, de ce qu’est réellement la liberté à laquelle
l’individu a droit. C’est pourquoi, ils ont institué l’obligation
de boire quatre coupes de vin au cours de la soirée pascale, afin que
nous puissions célébrer chacune des facettes de notre liberté retrouvée
en ce moment.
RETOUR SUR L’ESCLAVAGE
Si les sections de l’Exode jusqu’à la Paracha de Ytro évoquent
la notion de Liberté, la paracha qui suit : Michpatim semble faire une
retour en arrière caractérisé, puisque la première
des lois qu’elle évoque concerne les normes concrètes gérant
les lois de…« l’esclavage » !!!
La Paracha qui suit le
don de la Torah, qui suit les dix commandements et la sortie d’Egypte, semble faire comme si de rien était. Elle évoque
la possibilité d’«acquérir » un esclave, les
modalités de son « asservissement » et celles de son « affranchissement ».
Autant de dispositions qu’il va nous falloir commenter à la lumière
des idées mises à jour dans notre étude.
Abordons dans un premier
temps, le thème de « l’esclave
hébreu ».
Les premiers versets de
la section Michpatim statuent que la durée
maximale de l’esclavage d’un hébreu est de six années
et qu’il recouvrira « automatiquement » - c’est à dire
sans avoir à être racheté ou à avoir à payer
quoique ce soit à son « maître » - sa liberté.
Puis, la Torah évoque la possibilité qu’un esclave hébreu
ne désire pas retrouver la liberté, qu’il déclare « aimer
son maître, sa femme et ses enfants » et qu’ainsi il préfère
une vie de servitude à une vie de liberté. La Torah statue qu’en
de telles circonstances, l’esclavage pourra se poursuivre, mais uniquement
jusqu’au Jubilée, et seulement après que l’on ait
procédé à une cérémonie d’un genre
tout à fait particulier :
« Son maître l’amènera
par devant le tribunal,
on le placera prés d’une porte, du poteau,
et son maître lui percera l’oreille avec un poinçon,
et il le servira indéfiniment »
(Exode 21 – 6).
Evidemment ce texte laisse
le lecteur attentif perplexe et doit être
commenté.
UNE REAPPROPRIATION DE LA LIBERTE
L’exigence première que la Torah réclame au sujet est
de veiller constamment, et avec la plus grande attention à toujours
préserver en soi sa qualité de « sujet » et à ne
jamais la perdre, en devant un « objet ».
La Liberté existentielle qui existe en tout être humain, lui
permettant de faire ses choix dans tous les domaines de l’existence,
doit être préservée afin que jamais l’individu n’agisse
dans aucun des registres de son être en suivant ce que d’autres
choisissent pour lui.
Lorsque cela advient, l’être humain perd sa qualité de
sujet et se transforme en objet entre les mains de celui qui a fait le choix à sa
place. Cette idée a largement été développée
par mon père Rabbi David Messas, Grand Rabbin de Paris.
Un individu peut perdre sa qualité de sujet, lorsqu’il se laisse guider dans ses choix de vie par un environnement qui le conditionne sans en vérifier la pertinence.
Dans le même ordre d’idées un individu peut perdre sa qualité de
sujet, lorsqu’il se laisse guider dans ses choix de vie, par ce qu’il
voit, par le spectacle parfois infâme qu’offre le monde environnant,
ou par les idées fausses qui lui sont exposées, lorsqu’il
ne les a pas suffisamment étudiées, afin de vérifier leur
pertinence.
La Torah réclame du sujet qu’il ne se laisse pas entraîner
par ses yeux et par son cœur.
Cette injonction dont la source se trouve dans le livre Bamidbar :
« Et ne vous égariez
pas
à
la suite de votre cœur et de vos yeux
qui vous entraînent à l’infidélité »
(Nombre 15-39)
Ce verset fait partie du « Shéma », des passages de la
Torah que nous lisons matin et soir au cours de la prière lorsque nous
rappelons notre croyance en un D.ieu unique.
Le cœur et les yeux peuvent entraîner l’homme à l’infidélité, à ne
plus agir en tant qu’homme libre, mais en tant qu’homme soumis
aux influences étrangères, donc dans une certaine mesure en tant « qu’esclave ».
Et bien c’est de
cela dont
il est question dans la Paracha Michpatim
Les cas où un hébreu devient esclave sont limités à deux.
Le premier, est celui d’un retour de situation soudain qui plonge un
individu dans la misère :
« Si ton frère près de toi réduit à la misère,
se vend à toi,
ne lui impose point le travail d’un esclave.
C’est comme un mercenaire, comme un hôte, qu’il sera avec
toi…
Car ils sont mes esclaves, à Moi,
qui les ait fait sortir du pays d’Egypte ;
ils ne doivent pas être vendus à la façon des esclaves.
Ne le régente point avec rigueur, crains d’offenser ton D.ieu
! »
(Lévitique 25 – 39, 43)
Le second une effraction
commise que l’individu n’a pas les moyens
de réparer dans l’immédiat :
« Si un voleur est pris sur le fait d’effraction…
Lui (le voleur) cependant doit réparer ;
et s’il ne le peut, il sera vendu pour son vol. »
(Exode 22 – 2)
A chaque fois, on rencontre
une personne en phase de grande détresse,
de perte de repères.
Dans ces conditions, son
nouveau statut sera salutaire. Celui-ci permettra une rencontre entre cette
personne
et une autre qui a gardé son statut
de sujet. Dés lors, par le respect qui lui sera octroyé, contractuellement
et moralement, « le maître » pourra aider la personne en
souffrance à retrouver son statut de sujet.
Il se peut qu’une période de six ans ne soit pas suffisante pour
permettre à un individu de retrouver son « autonomie »,
et qu’à la fin de cette période l’individu réclame
une extension de sa période de rencontre avec autrui avant de s’élancer
seule dans l’aventure de la vie. La Torah l’accepte, mais l’encadre
d’un garde fou supplémentaire. On procède à la cérémonie
décrite précédemment. Celle-ci a été commentée
par Rabbénou Béhayé comme suit :
Le processus de libération du peuple juif en Egypte a débuté lorsque
les enfants d’Israël eurent le courage de prendre un agneau - divinité des égyptiens
d’alors - de le tuer, de prendre son sang et d’en oindre les poteaux
et les linteaux se leurs portes.
Cet acte de courage leur
a valu d’éviter la mort de leurs premiers-nés,
lors de la dixième plaie d’Egypte, puisque l’ange sautait
au dessus des portes où se trouvait ce sang, laissant en vie les premiers-nés
qui se trouvaient dans ces maisons.
C’est donc cet acte de rébellion contre l’oppresseur, cette
brisure du symbole du pouvoir, sous les yeux des tortionnaires, sans craindre
ses représailles éventuelles, qui est à l’origine
du début du processus de libération du peuple juif de l’exil
en Egypte.
C’est donc par cette prise de conscience que l’homme hébreu
devient un sujet et cesse d’être un objet et que la sortie d’Egypte
débuta.
Au moment, où « l’esclave » hébreu, après
avoir passé un certain nombre d’années chez un maître
réclame que sa période de dépendance soit prorogée,
on l’approche de la porte, on lui poinçonne son oreille sur les
poteaux, afin de lui rappeler quel fut l’événement à l’origine
de l’avènement de la Liberté, en espérant ainsi
qu’avec le temps, il sera capable de la retrouver et de la vivre pleinement.
Tel est donc l’idéal de vie selon la Torah pour l’être
humain.
Il s’agit de créer un monde d’hommes libres, à même
de ne pas êtres les esclaves du lustre et des paillettes, et de ne pas
se laisser diriger par toutes sortes de frustrations, à des agissements
incontrôlés et abjectes.
Les individus ayant un
regard sur le monde qui les entoure des plus superficiels ne peuvent accéder à la liberté. Ils sont constamment
soumis à toutes les influences, à tous les préjugés, à tous
les stéréotypes, aux diktats de leur bestialité qui règne
en eux sans partage et les emprisonne dans les geôles de sa volonté la
plus terrifiante.
Le psalmiste nous ordonne :
Ne soyez pas comme le cheval, comme le mulet,
auxquels manque l’intelligence,
qu’il faut retenir par les reines et le mors, - leur parure qu’ils
rognent –
pour qu’ils ne s’approchent pas de toi.
(Psaumes 32-9)
Et le prophète Jérémie compare l’homme qui ne se
pense pas au cheval fou dans la bataille dont personne ne peut plus contrôler
la course :
J’ai prêté attention et j’ai écouté :
ils profèrent des mensonges,
personne parmi eux ne regrette ses mauvaises actions
et ne dit : Qu’ai –je fait ?
Tous, ils reprennent leur course,
tel qu’un cheval qui se précipite au combat
(Jérémie 8-6)
D.ieu attend de nous que
nous soyons des hommes libres qui exercent leur liberté dans
tous les registres de leur être en s’éclairant des paroles
de la Torah et des sages de toutes les générations afin de trouver
notre chemin, non pas par une effet de suivi mais bien par un choix personnel
et profond.
Nous avons évoqué au cours de cette étude le cas de l’esclave
hébreu. La Torah a imaginé un autre statut, celui de l’esclave
dit « cananéen » dont l’étude approfondie nous
livrera des enseignements inattendus et d’une actualité terrifiante.