La langue de Moïse
Dans le Chapitre II de la Parachat Chémoth, la Torah relate que Moïse grandit. Qu’il sortit de la maison du Pharaon pour aller à la rencontre de ses frères. Qu’il constata la souffrance qu’endurait son peuple. Qu’il vit un Egyptien en train de frapper un Hébreu, et que, ne pouvant supporter cette vision le frappa et le tua.
Cette histoire saisissante ne trouve pas ici son épilogue.
La Torah relate que le lendemain, Moïse sortit de nouveau à la rencontre de ses frères. Que cette fois, ce furent deux Juifs qu’il trouva en train de se battre. Que Moïse s’avança vers l’agresseur et lui demanda, pourquoi il frappait injustement son frère.
Insolemment ce dernier lui répondit (Exode 2-14) : « Qui t’a nommé prince ou juge ? As-tu l’intention de me tuer comme tu as tué l’Egyptien ? »
Le texte biblique continue en disant que Moïse prit peur et déclara : « Maintenant, la chose est connue ».
Rachi explique que par là, Moïse se disait que son action de la veille n’était plus un secret pour personne et qu’il devait désormais redouter la réaction des égyptiens.
Cela ne tarda pas à être vérifié. Le verset qui suit nous montre le Pharaon condamnant Moïse à mort pour l’action qu’il avait commise.
Les doutes de Moïse
Rachi cite par la suite le commentaire d’un Midrash. Il voit dans la déclaration de Moïse, une exclamation de « satisfaction ». Le sentiment que quelque chose d’incompréhensible venait d’être résolu : « Maintenant, je comprends ce qui, de tout temps, me paraissait incompréhensible ».
Le Midrash explique que Moïse ne comprenait pas pourquoi le peuple juif devait subir un si pénible esclavage alors que les soixante-dix autres nations vivaient librement.
Mais, dit Moïse, « Je comprends maintenant, pourquoi le peuple juif se trouve dans un état propice à ce genre de dérive ».
Dans son commentaire sur la peur de Moïse, Rachi est plus explicite. Il écrit :
« Le Midrash explique que Moïse eut peur car il venait de découvrir en Israël des impies, des médisants ».
Lachone har'a, un fléau pour les hommes
Il est intéressant de noter que Moïse, lui-même, ne put échapper complètement à l’influence du monde dans lequel il vivait.
Il succomba, dans une certaine mesure évidemment, au Lachon har'a, à la médisance.
Ainsi, après avoir été chargé par D.ieu d’annoncer au peuple juif sa délivrance future, Moïse émet une réserve quand aux chances de réussite de cette périlleuse entreprise.
Il est persuadé que les enfants d’Israël ne verront pas en lui un prophète. Il dit alors à D.ieu (Exode 4-1) : « Et voilà, ils ne me croiront pas et n’entendront pas ma voix, car ils diront : D.ieu ne t’est pas apparu ».
La remarque de Moïse fut entendue et acceptée puisque que D.ieu donna à Moïse deux signes pour prouver au peuple juif qu’il est réellement son envoyé.
Des signes qui parlent
Le premier d’entre eux consiste en la transformation de son bâton en serpent. En guise de second signe, D.ieu demanda à Moïse de mettre sa main sur son sein. Lorsqu’il l’en sortit, elle était frappée par la lèpre.
Ces deux signes sont extrêmement frappants. Mais pourquoi avoir choisi de les centrer autour de symboles aussi forts que le serpent et la lèpre ?
Rachi explique que D.ieu voulut ainsi faire entendre à Moïse qu’il avait été médisant envers Israël.
Avoir soutenu que le peuple hébreu ne pourrait entendre l’annonce qu’il lui serait faite de sa prochaine délivrance était pour D.ieu un manque de considération inacceptable. C’était de la médisance.
Ce faisant, Moïse succombait dans une certaine mesure au Lachon ha'ra. Il se comportait donc de façon identique à celui qui dans la tradition est l’archétype même de ce fléau : le serpent.
De même, la lèpre est la plaie qui, dans la tradition juive, touche celui qui médit. (Il serait trop long dans le cadre de cette étude d’expliquer pourquoi le serpent et la lèpre sont intimement liés à ce mal).
Dans son commentaire sur le verset (Exode 4-6) Rachi écrit :
« Par cela aussi (la lèpre), D.ieu indiquait de façon allusive (à Moïse) qu’il avait médit en disant (à propos des enfants d’Israël) : « Ils ne me croiront pas ».
C’est pourquoi il le frappa par la lèpre, comme d’ailleurs Myriam avait été frappée par la lèpre du fait de la médisance ».
Le commentaire de Rachi sur le verset (Exode 4-8) est édifiant.
« Lorsque tu leur diras : J’ai été frappé par la lèpre pour avoir été médisant à votre égard, ils te croiront, car ils savent que ceux qui tentent de leur faire du mal, sont frappés par la lèpre, comme le Pharaon et Avimélèkh, du fait de Sarah ».
Ces quelques lignes de Rachi font froid dans le dos!!!
Elles comparent Moïse au Pharaon et à Avimélèkh. Ceci nous emplit de tremblement sur la gravité de la médisance.
Moïse, pour avoir constaté que le peuple d’Israël ne le croirait pas, est comparé au Pharaon et à Avimélèkh.
C’est donc la médisance qui est à l’origine de la catastrophe qu’était en train de vivre le peuple juif en Egypte.
En d’autres termes, le fait de parler d’autrui d’une manière qui ne lui convient pas est à l’origine de l’asservissement d’Israël et entraîne les nations dans des extrémités difficiles à imaginer.
Par la médisance, l’appréhension du monde dans lequel nous vivons est faussée.
La médisance, la description du monde qui nous entoure de façon fausse ou inappropriée est à l’origine de toutes les erreurs, mêmes les plus abominables, telles que le meurtre de ses propres enfants.
Faisons donc tous attention au Lachon ha'ra, à la médisance, ou à toute sorte de « désinformation », ou « négationnisme » en tout genre, qui peuvent aujourd'hui encore mener le monde au bords d'un abîme sans fond.