Chère
Rebbetsen
Feige,
Ma femme et
moi sommes arrivés à la conclusion que nous ne voulons
pas avoir d’enfants. Nous n’avons tout simplement pas le désir
d’en avoir et aucun de nous n’a vraiment la fibre parentale. Nous
savons que nous sommes supposés mettre des enfants au monde, rejeter
notre tradition et nos enseignements nous met donc mal à l’aise.
Ce qui nous préoccupe avant tout : quel genre de parents serions-nous
? Ma femme a grandi avec un sérieux manque affectif (en partie parce
que sa mère était trop occupée à élever
huit enfants toute seule) et ce contexte familial lui cause encore des problèmes émotionnels
aujourd’hui. Nous ne voudrions pas reproduire la même chose avec
nos enfants.
Qu’en
pensez-vous
?
Sincèrement vôtre,
MZ
Cher lecteur,
Vos soucis et vos hésitations concernant une famille sont totalement
légitimes, étant donné ce que vous percevez tous deux
comme une absence de sentiments parentaux et étant donné le bagage
insuffisant que votre femme a reçu sur le plan émotionnel.
On peut affirmer sans le
moindre doute que les enfants de parents abusifs reproduiront généralement ce comportement en élevant leurs
propres enfants. Toutefois, aussi peu probable que cela puisse paraître,
ce fait est loin d’être irrémédiable.
Nous ne sommes pas des
rats dans une boîte de Skinner, conditionnés
et programmés de telle sorte que le choix n’a plus aucune valeur.
L’apanage de tout être humain est le libre arbitre, la capacité de
pouvoir choisir ses réactions indépendamment de ses expériences
passées. Nous avons tous le pouvoir de briser les schémas existants.
De nombreuses personnes ayant soufferts d’abus parentaux sont d’ailleurs
parvenues à compenser ce déficit, en déployant de grands
efforts et en intensifiant leur vigilance face aux besoins de leurs enfants.
Le fait d’être attentif permet à des réactions délibérées
et précises de se mettre en place, ce qui nous donne le potentiel de
sortir de la pathologie pour intégrer une catégorie saine. Notre éducation
ne détermine donc pas forcément, ni ne dicte les termes de notre
existence. Nous ne sommes pas des rats dans une boîte de Skinner, conditionnés
et programmés de telle sorte que le choix n’a plus aucune valeur.
Rita, une étoile montante de l’opéra, a passé un
repas le vendredi soir en notre compagnie. En partageant avec nous les divers
détails de son mariage prochain, elle a exprimé le désir
de ne pas avoir d’enfants. Elle nous a expliqué que sa mère
avait souffert d’une maladie dégénérative et avait été absente
pendant les années fondamentales de son enfance. Inquiète, quant à la
probabilité d’un facteur génétique, Rita ne souhaitait
pas imposer une mère émotionnellement compromise à la
génération suivante.
En regardant cette jeune
femme belle, intelligente et talentueuse, je n’ai
pu m’empêcher de lui poser la question qui s’imposait : En
rétrospective, vu la déficience parentale de sa mère,
n’aurait-il pas mieux valu qu’elle ne voit pas le jour ? Aurait-elle
préféré que sa mère décide de ne pas avoir
d’enfants ?
Mon beau-frère, professeur de droit éminent, a présenté l’hypothèse
suivante à l’un de ses cours d’éthique : « Une
prostituée incarcérée souffrant de maladie vénérienne
est tombée enceinte. Le père est un alcoolique dont les chances
de réhabilitation sont inexistantes. Recommanderiez-vous l’avortement
? »
La classe a conclu à l’unanimité que l’avortement était
souhaitable. Le Professeur Twerski les a alors informé que leur verdict
aurait tué Beethoven.
Il est clair que seul D.ieu
dans Son insondable sagesse, peut entrevoir la raison cachée des évènements que nous vivons. Si nous écrivions
le script, des enfants naîtraient sûrement aux nombreux parents
qui languissent désespérément et dépensent tant
d’efforts pour en avoir. Si cela ne se produit pas et bien que cela soit
douloureux à entendre, c’est que D.ieu a décidé que
les dons et les talents de ces personnes doivent s’exprimer autrement,
par des voix différentes. D.ieu a de toute évidence d’autres
projets concernant leur contribution à la vie.
Vous mentionnez également l’absence de fibre parentale. Bien
des familles ne ressentaient pas le désir, ni la nécessité d’avoir
des enfants, mais le fait de les avoir a changé toute l’équation.
Ils ont vu s’éveiller en eux les sentiments et l’intuition
que tout parent ressent et qui leur étaient jusqu’à lors
inconnus.
Dans la société narcissique qui est la nôtre, il est important
d’évaluer, honnêtement et objectivement, où réside
la vérité. En se laissant porter par l’air du temps, il
est facile de rationaliser et d’interpréter la tendance à ne
pas s’encombrer, à rester libre, à se plonger et à se
concentrer uniquement sur nous-même, comme étant animée
d’intérêts idéalistes et altruistes favorisant la
compétence et l’adéquation. Notre culture est préoccupée
uniquement par le soi. Tout ce qui endigue cette poursuite est considéré comme
une contrainte et doit être évité.
Il est clair qu’être parent est une tâche accaparante et
pleines de défis, qui consume temps, énergie et investissement.
Avec l’apparition d’une famille, la vie change radicalement et
requière de nombreux ajustements. Indubitablement, il existe des couples
jusqu’alors sans enfant qui « jouissent » de ce statu quo
et qui ne souhaitent pas ébranler leur confortable navire. Certains
défendront leur position en invoquant la surpopulation et les intérêts écologiques.
Dans ce cas, ils peuvent mettre l’honnêteté de leur position à l’épreuve
en considérant l’adoption. De nombreux enfants dans le monde bénéficieraient
certainement d’un foyer attentionné et aimant.
Mon cher lecteur, vous
laissez entendre intelligemment et à juste titre
que si un juif choisissait délibérément de ne pas avoir
d’enfants, il serait en désaccord avec notre tradition (ceci exclut
tous les cas de santé physique, psychique ou mentale que seule une autorité rabbinique
compétente peut identifier comme étant des contre-indications).
Il faut peu d’efforts pour constater que dans l’ordre naturel tel
que D.ieu le conçoit, la propagation des espèces est mandatée.
De plus, logique et justice dicteraient avec raison que nous transmettions
ce privilège de vie dont nous avons été gratifiés à la
génération suivante.
Une appréhension raisonnable face au rôle formidable de parents
est légitime. Rappelons l’histoire de cette communauté qui,
lors du décès de leur rabbin âgé, s’enquit
des services d’un jeune sage prometteur parmi eux. Le jeune homme refusa
respectueusement prétextant de sa jeunesse et de son inexpérience.
De plus, la pensée que la tâche de dirigeant puisse l’entraîner à égarer
ses concitoyens par des conseils mal avisés le terrorisait.
Les habitants de cette
ville, convaincus de sa stature morale et de ses qualifications exemplaires,
insistèrent qu’il était le meilleur candidat.
Suite à son refus, ils allèrent demander au rabbin vénéré de
la communauté voisine de les départager. Le rabbin entendit les
arguments de la communauté, puis ceux du jeune candidat qui exprima
sa crainte de ne pas faire justice à une tâche tellement ardue.
Le sage se tourna ensuite
vers lui et lui demanda de façon poignante
:
«
Suggérez-vous que cette tâche soit donnée à une
personne qui ne possède pas la crainte et le sens de responsabilité qui
conviennent à un tel travail ? »
La réticence et l’hésitation émanent de la conscience
de la responsabilité parentale et c’est justement ce qui qualifie
un couple par-dessus tout.
En conclusion, retenez
simplement : Qu’attend-on de nous ? De prendre
la vie comme elle vient, de faire de notre mieux et de prier abondamment pour
que le Ciel nous vienne en aide.
Je vous souhaite que tout aille pour le mieux!
Traduction et Adaptation de Tsiporah Trom