Avant de pouvoir espérer résoudre les problèmes d’écologie de l’ère technologique, il faut en chercher les racines. C’est dans l’attitude fondamentale à l’égard de notre vie que ces problèmes résident principalement– dans notre choix des priorités. L’intérêt personnel constitue la priorité des priorités dans la société laïque. Un quelconque sens de la responsabilité – s’il existe tant soit peu - envers le monde dans son ensemble est tout à fait secondaire.
Un exemple caractéristique permet d’illustrer notre propos. Dans une certaine industrie, il est courant d’utiliser un processus de fabrication qui est hautement économique mais qui, en même temps, prend part à la destruction de la couche protectrice d’ozone de l’atmosphère. Si nous devions suggérer au directeur d’une société appartenant à cette industrie d’employer un autre procédé réduisant la pollution mais plus coûteux, il répondrait : « Je suis responsable tout d’abord devant mes actionnaires. Je n’ai pas le droit de réduire leurs bénéfices afin de préserver la qualité de l’atmosphère d’ici cinquante ans. » Du point de vue laïque, il est difficile de réfuter cet argument.
LE POINT DE VUE LAÏC
Les efforts actuels pour endiguer ce courant se focalisent principalement sur une législation tentant d’imposer des contraintes au public. Mais cette conception est d’un effet très limité – et même parfois conduit à des ratés en raison de l’encombrante bureaucratie qu’elle nécessite (1). Les campagnes auxiliaires de propagande dans le but de recruter le soutien du public sont en général inefficaces parce qu’une base rationnelle leur fait défaut. Il est difficile de vaincre l’esprit de « Après nous le déluge ! ».
LE POINT DE VUE DE LA TORAH
La Torah s’attaque à ce problème en nous aidant à changer notre motivation intérieure. De façon précise, « Toute la Torah concourt à l’harmonie sociale
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». Et « [Etre plein d’égards envers les désirs de son prochain] – c’est là toute la Torah.
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» La Torah façonne la personnalité humaine sur deux plans. Elle agit au niveau cognitif en fournissant une idéologie et une vision du monde rationnelles et bien intégrées contribuant à une harmonie sociale. Elle travaille conformément à des principes béhavioristes en imposant un ensemble de règlements prescrivant la ligne de conduite exigée dans des situations données. Elle tend à développer la conscience de l’origine divine du code de conduite fixé par la loi juive et, par là, alimente la motivation interne et réduit d’autant le besoin de mesures coercitives imposées de l’extérieur et de la bureaucratie concomitante.
Que dit l’idéologie de la Torah au sujet de notre problème ?
Quand D.ieu créa le premier couple, Il les bénit en leur disant : « Remplissez la terre et conquérez-la »
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. Une conquête peut impliquer deux buts différents. Dans notre cas, s’agissait-il d’en tirer profit ou de la développer ? Quelle était l’intention du Créateur ? Nos Sages répondent à cette question dans un midrach :
Quand D.ieu créa le premier homme, il lui fit faire le tour de tous les arbres du Jardin d’Eden et lui dit : « Vois mon œuvre, combien sont-ils beaux et de premier choix...Fais attention de ne pas abîmer et détruire Mon monde car si tu le détériores, il n’y aura personne après toi pour le réparer. »
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On voit ici que la Torah considère que l’homme est chargé de gérer le monde de manière ordonnée et convenable. C’est pourquoi, nulle question de se mettre de côté et d’assister à la destruction du monde.
LE PROBLEME DE LA SURCONSOMMATION
Le problème écologique est dû à une autre cause. Il y a deux cents ans, l’économiste Thomas Malthus avait publié une thèse selon laquelle une bombe à retardement se trouve logée dans le genre humain. La population mondiale se multiplie à un taux sans cesse croissant et la production alimentaire ne peut absolument pas se maintenir à son niveau. Bien que ce raisonnement soit rationnel, il est hautement spécieux. Selon des recherches plus récentes, il s’avère que ce n’est pas du tout le problème essentiel. La consommation moyenne d’énergie par personne est un facteur de plus grande importance. Elle s’accroît à un rythme beaucoup plus grand que celui de la population, comme cela est indiqué par les données suivantes :
En l’espace de trente ans, la population mondiale a doublé alors que, pendant la même période, la consommation d’énergie par personne a été multipliée par huit. On peut ajouter à cela que, en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest, dix pour cent de la population consomment 50% de l’énergie mondiale.
A ce point-là donc, c’est cette consommation excessive qui constitue un danger pour le monde. Non seulement elle épuise les réserves d’énergie mondiales mais aussi provoque le réchauffement de l’atmosphère.
Cette surconsommation se manifeste également dans notre manière d’utiliser les matières premières. On peut même la découvrir dans nos habitudes alimentaires. A noter que la production d’un kilo de bœuf nécessite seize kilos de céréales
(6)
. Les gens sont au courant de cela ; le problème est qu’ils ne sont pas prêts à agir en conséquence.
LA MANIERE DONT LA TORAH ABORDE LE PROBLEME
Tout ceci montre que le nœud du problème réside dans une conception égoïste du monde conduisant à enfler la consommation individuelle au-delà de ce qui est essentiel. En ce qui concerne cette question, la Torah nous ordonne d’être « saints » ou, en d’autres mots, de se garder d’aimer son propre confort et d’éviter le luxe.
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(« Saint » en hébreu se dit
kadoch, ce qui signifie « consacré à un idéal »)
«Idées nobles ! », pourra-t-on dire, « mais comment les mettre en pratique ? » La Hala’ha, la loi juive répond à cette objection. La Hala’ha est un ensemble d’exigences strictes et détaillées que la Torah pose sur le Juif. La Hala’ha ne s’intéresse pas une vision individuelle du monde et ses impératifs n’en sont nullement affectés. Au contraire, en guidant les actions du Juif et de ce fait en modelant son caractère selon les principes de la psychologie béhavioriste, la Hala’ha soutient l’idéologie, en permettant à celle-ci de développer une vision du monde telle que l’homme l’appréhende et de là, à nouveau, de former son comportement.
Pour ce qui concerne la qualité de l’environnement, et cela comme dans tous les domaines de la vie, ce ne sont pas seulement des objectifs suprêmes que la Torah réclame. Elle met la Hala’ha au service de ses nobles concepts, transformant ainsi la vision abstraite en un principe de fonctionnement en société. Elle fait cela à deux niveaux : premièrement, au moyen de lois nous inculquant la conscience de nos obligations envers la société et l’environnement ; deuxièmement, par l’intermédiaire d’autres mitsvot qui nous forment à la maîtrise de soi et par conséquent à la sainteté et à l’acceptation du service divin. Ces mitsvot modifient notre tendance à l’égoïsme et nous enseignent à nous laisser guider par des idéaux et non pas simplement par des désirs.
Examinons un certain nombre de commandements de la Torah dont le prolongement est écologique.
PREJUDICES CAUSES AUX VOISINS
En nous ordonnant : « aimer notre prochain comme vous-mêmes », la Torah nous a donné un principe qui est vraiment grand
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mais qui serait resté purement utopique s’il n’était pas ancré dans la
Hala’ha. Un des domaines hala’hiques qui nous apprend à aimer notre prochain et à être concernés par son bien-être est celui des « préjudices causés aux voisins ». C’est un vaste sujet de discussion qui a aussi une influence considérable sur l’écologie.
La Torah traite longuement de la responsabilité des propriétaires pour les dégâts provoqués par leurs biens, même parfois indirectement ou également par un objet qui ne leur appartient pas techniquement.
Dans le cas d’un objet immobile, de tels dommages sont classifiés comme « dégâts causés par un trou ». La responsabilité retombe sur celui qui a creusé un trou dans le domaine public ou qui l’a découvert. Dans cette catégorie figurent des dommages provoqués par une peau de banane jetée dans la rue ou des déchets dangereux abandonnés dans le domaine public. Lorsque l’objet est transporté par des forces naturelles, telles que le vent, il entre dans la catégorie du « feu »
(11)
, incluant des dommages provoqués par la pollution de l’air ou des voies navigables.
De façon étonnante, il nous est déconseillé d’occasionner à son prochain la perte d’un avantage même s’il ne peut pas légalement porter plainte
(12)
. « On ne doit pas assécher son puits alors que d’autres en ont besoin » est un principe qui figure dans la Michna
(13)
. Un Juif a même pour obligation d’empêcher des dégâts dus à une force extérieure et qui menacent son voisin
(14)
.
Les Sages du Talmud élargissent ces règles à des perturbations psychologiques telles que le fait d’être en butte aux remontrances d’un voisin, les bruits, etc...Quiconque endurant de tels désagréments peut faire appel devant les tribunaux afin d’obliger son voisin à les interrompre. Ceci peut inclure la suppression de la cause du bruit bien que celui-ci ne soit dû qu’indirectement à la cause et même si cela occasionne au propriétaire une perte financière
(17)
. En se fondant sur ces règles, le Rivach établit le principe directeur suivant : « On n’a pas le droit de protéger sa propriété de dégâts si on provoque par cela des dommages à la propriété d’autrui. »
(16)
Ce principe peut servir de ligne directrice à la législation moderne pour le contrôle de la pollution.
Selon la loi juive, une action juridique est susceptible d’être intentée dans le cas de quatre nuisances particulières: la fumée, les odeurs de vidange, la poussière et les produits similaires comme les aérosols, et les vibrations
(17)
. Même s’il avait donné initialement son consentement, le voisin, gêné par ce type de nuisances, peut l’annuler. Il s’agit là de formes de pollution qui représentent une source de grande inquiétude à ce jour. En particulier, la ‘
Hala’ha limite la distance à laquelle doivent se trouver certains processus industriels par rapport aux agglomérations afin d’y empêcher la pollution de l’air. Parmi ces processus sont inclus les aires de battage (à cause de la balle de grain), les abattoirs, les tanneries (en raison de l’odeur) et les fourneaux (à cause des fumées)
(18)
. L’emplacement des tanneries est explicitement limité aux zones-est des villes, en considération du type de vents les plus répandus dans la Terre d’ Israël.
(19)
Nous avons déjà mentionné la valeur que la Torah accorde à la beauté. Il est donc évident que de détériorer l’aspect esthétique de lieux publics, comme par exemple d’y abandonner des détritus, fait partie également de l’interdiction de causer des dégâts – dans l’esprit de la Hala’ha du moins si ce n’est dans la lettre. Nous avons trouvé au moins un exemple de cette législation : à Jérusalem, les fourneaux étaient défendus en raison de la fumée qui noircissaient les façades des maisons « et c’est une honte »
(20)
.
Tous les exemples cités précédemment ne représentent qu’un faible aperçu de plus d’une centaine de paragraphes dans le Code de la Loi juive
(21)
qui traitent des dégâts, la plupart écologiques, causés aux voisins. Celui qui étudie ces lois et les applique dans la vie de tous les jours devient responsable et sensible à ce problème et ne traitera pas à la légère les dégradations de l’environnement. Il prendra garde de ne pas occasionner de dommages en général et de dommages d’ordre écologique, en particulier.
UNE REVOLUTION PSYCHOLOGIQUE
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En recherchant les origines des problèmes de destructions écologiques, à savoir si elles sont le fait de l’industrie ou bien des consommateurs, on ne peut que constater qu’elles résident principalement dans l’égoïsme des gens. Lorsque l’intérêt personnel est au sommet des priorités et que chacun essaie d’étendre la sphère de sa propre puissance, les sphères en expansion sont tenues de se heurter et engendrent ainsi de la pénurie et des conflits. Cela favorise une situation dans laquelle l’homme semble se diriger inévitablement vers une dégradation massive de l’environnement – à moins qu’il ne trouve une solution de rechange à cette orientation centrée essentiellement sur lui-même.
C’est là où la Torah intervient. Elle s’attache à éliminer la cause principale de conflit en fournissant un objectif commun à tous les hommes : nous transformer en loyaux serviteurs de D.ieu. Un tel serviteur veillera à acquérir les outils dont il a besoin pour réussir son travail – mais pas plus. En conséquence, il ne s’évertuera pas à étendre sa sphère d’influence de manière illimitée.
Une telle vision du monde transforme également toute la création en un moyen en vue du service de D.ieu ainsi qu’en un partenaire à ce service. En définitive, elle fera entièrement partie d’un seul système, dont tous les composants contribuent au but commun. Si « les mitsvot ont été données pour affiner le genre humain »
(23)
, alors la Torah et ses mitsvot traitent, de la manière la plus fondamentale, les problèmes de qualité de l’environnement. Elles détiennent aussi l’unique solution au problème de l’écologie : un remodelage du caractère humain.
Peut-être est-ce là le message se dégageant de la vision d’Ezéchiel
(24)
lorsqu’il lui fut montré un océan pollué dont la faune et la flore étaient au bord de la mort
(25)
. Puis un mince filet d’eau émergea sous le seuil du Temple – « l’eau signifie Torah »
(26)
et le Temple n’est pas autre chose que le sanctuaire de la Torah
(27)
. Au fur et à mesure, ces eaux s’enflent jusqu’à devenir un torrent sur les rives duquel poussent toutes sortes d’arbres fruitiers dont les feuilles ne se fanent pas et dont les fruits ne s’épuisent jamais. Lorsque elles atteignent l’océan, ses eaux polluées sont assainies et les poissons et la vie marine retrouvent la santé.
Nous avons ici la vision d’un paradis écologique créé par l’intermédiaire de la Torah.
Cet article est un extrait de A Compendium of sources of Halacha and the Environment ( Un abrégé de sources de Hala’ha et d’environnement), édité par Canfei Nesharim au printemps 5765. Pour plus de renseignements sur Canfei Nesharim et les aspects de la Hala’ha au sujet de la protection de l’environnement, visitez le site www.canfeinesharim.org
Traduction et Adaptation de Claude Krasetzki
NOTES
1. M. Gerstenfeld, Environment and Confusion (Academon, Jerusalem, 1994).
2. Talmud Bavli Gittin 59b, sur Proverbes 3:17.
3. Talmud Bavli Chabbath 31a (cf. ci-dessus, essai 12, note 3).
4. Genèse 1:28.
5. Midrach raba Ecclésiaste 7:13 sur verset reëh.
6. F.M. Lappe, Diet for a Small Planet, Ballentine (NY, 1975); pp.11, 382.
7. Lévitique 19:2 et Commentaire de Maïmonide sur Talmud Bavli Yebamoth 20a.
8. Lévitique 19:18.
9. Talmud de Jérusalem Nedarim 9:4.
10. Michna Baba Kama 1:1 et commentaires ad loc.; ibid chap. 3.
11 Citation de locution
12. Talmud Bavli Yebamoth 44a; (Michna Yebamoth 4:11).
13. Selon Semag (neg. #229) et Meiri (Talmud Bavli Yebamoth 44al’interdiction est basée sur bal tach’hit.
14. Talmud Bavli Baba Metzi'a 31a; Choul’han Arou’h 259:9.
15. Talmud Bavli Baba Bathra 23a; Choul’han Arou’h 155:39.
16. Responsa Rivach #196.
17. Choul’han Arou’h 155:36.
18. Michna Baba Bathra 2:8-9; Choul’han Arou’h 155:22-23.
19. Citation de locution.
20. Rachi Talmud Bavli Bava Kama 82b.
21. Choul’han Arou’h #153-6.
22. Les idées dans ce paragraphe sont essentiellement de R. A. Carmell, "Judaism and the Quality of the Environment", (judaïsme et la qualité de l’environnement) dans Challenge, A. Carmell & C. Domb, eds., (Feldheim, 1976); pp.500-525.
23. MR I 44:1.
24. Ezéchiel 47:1-12.
25. Le prophète se réfère aux eaux de la mer qui sont “guéries”; ceci implique qu’elles avaient été contaminées; sa vision concernant les animaux à proximité de l’eau: “Ils vivront” suppose qu’ils étaient presque morts. Le mot hébreu employé pour décrire l’eau “non guérie” est “moutsa-im”, de même origine que “tsoah” = excréments, suggérant de nouveau la pollution (Cf. Rois II 10:27).
26. Talmud Bavli Baba Kama 17a.
27. Le but d’un bâtiment est indiqué par ce qu’il contient au plus profond de lui. Dans le Sanctuaire, la Torah et les Tables de la Loi se trouvaient dans le Saint des Saints. Cf. Rav S.R. Hirsch sur Exode 25:21.