Pour le magazine "Time", c'est un chef d'oeuvre. Et c'est bien à cause
de cela que le "Munich" de Spielberg, un film brillant sur le plan
purement cinématographique, est une véritable tragédie
sur le plan culturel et politique.
Par une incroyable ironie du sort,
des millions de spectateurs vont recevoir un message diamétralement opposé au sens véritable de
Munich et des événements qui devaient conduire à la tragédie
que Spielberg avait si justement rendue dans la "Liste de Schindler".
L' Histoire a désormais associé à tout jamais le nom
de la capitale bavaroise à l'échec de toute politique d'apaisement.C
'est à Munich qu' Hitler fonda le parti nazi et c'est également
là que furent signés en Septembre 1938 les accords de Munich
de sinistre mémoire. L'Angleterre et la France, par lâcheté,
se soumirent docilement aux exigences de l' Allemagne et se bercèrent
de l'illusion que leurs "discussions amicales" leur garantiraient "la
paix pour notre temps", selon les paroles célèbres du Premier
ministre anglais Neville Chamberlain. Le monde allait rapidement apprendre
que l'apaisement n'était qu'une stratégie erronée que
Heywood Broun
traduisait ironiquement ainsi: "Si l'on donne tous les jours des steaks à un
tigre, il finira par devenir végétarien".
Hitler interpréta très justement l'absence de ripostes à ses
exigences grandissantes comme une somme de faiblesses nationales et, moins
d'un an plus tard, il attaquait la Pologne, marquant ainsi le début
de la Deuxième Guerre Mondiale. Les historiens font remonter l'origine
de la Shoah à la passivité qui prévalut à Munich.
N'est-il pas étonnant dès lors que ce soit ce même Munich
qui se retrouve au coeur du film de Spielberg, qui relate les affres de la
dure réplique israélienne au lâche assassinat de 11 de
ses athlètes olympiques par des terroristes palestiniens ?
Spielberg explique pourquoi il éprouve le besoin de traiter de manière
impartiale les suites du massacre de Munich: "C'est parce que le pire
ennemi n'est ni le Palestinien ni l'Israélien. Le pire ennemi, dans
la région, c'est l'intransigeance". Quelle "hutzpah"!
Veut-il parler de l'intransigeance d'Israël qui continue à offrir
terre, paix et compromis à ses voisins arabes après chaque guerre
déclenchée en vue de l'anéantir ? Ou bien de l'intransigence
d'un peuple qui a décidé que sa politique nationale ne s'inspirerait
pas de la couardise de Chamberlain mais plutôt de la détermination
des Alliés qui ont combattu de front l'iniquité, jusqu'à la
victoire finale qui a sauvé l'humanité de la barbarie universelle
?
Autre ironie du sort: le Spielberg
plein d'états d'âme quand
il s'agit de la "liste de Golda" des assassins palestiniens à supprimer
est le même homme qui dans la "Liste de Schindler" alertait
le monde entier sur les horribles conséquences qu'entraîne la
passivité face au mal.
Un monde qui abdique le recours à une liste de Golda en arrive à une liste de Schindler.
Il y a une réplique dans "Munich" dont Spielberg déclare
qu'elle est la clé du film et qui constitue peut-être la pire
distorsion du film sur le plan de la vérité. Au cours d'une scène
qui n'a jamais eu lieu, Golda Meir justifie la mission qu'elle confie aux agents
chargés de faire justice par les mots suivants: "Toute civilisation
doit parfois faire des compromis avec ses propres valeurs". Golda n'a
jamais prononcé ces paroles car elle savait que tenir pour responsables
des tueurs agissant sur ordres ne constitue pas un compromis avec des valeurs
civilisées, mais bien le seul moyen d'assurer la survie de la civilisation.
Un monde qui abdique le recours à une liste de Golda en arrive à une
liste de Schindler.
DE LA PUBLICITE, MAIS PAS DE CHATIMENT.
Ce que Spielberg ne nous dit pas
dans sa profession de foi d'équivalence
morale (le thème évident et maintes fois exprimé du film
est bien résumé par Warren Bell: "lorsque les bons se mettent à tuer
les méchants, ils deviennent aussi méchants que les méchants
eux-mêmes") c'est comment le monde a réagi au massacre de
Munich dont nous savons maintenant qu'il a marqué le début de
la couverture médiatique du terrorisme. Avery Brundage, le président
du Comité Olympique International ( le même leader "courageux" qui
avait insisté pour envoyer une délégation américaine
aux "Jeux de Hitler" à Berlin en 1936) s'est exprimé après
le carnage en insistant sur le fait que la considération la plus importante était
maintenant de "sauver les Jeux".
Le message délivré par le microcosme que représentaient
les Jeux Olympiques était clair: on fait de la publicité aux
terroristes mais on ne les punit pas. On peut déplorer discrètement
les victimes juives mais leur mort ne nécessite pas que l'on prenne
des mesures pour éviter d'autres attentats.
Golda Meir a chargé un groupe d'Israéliens de faire ce que,
pour la deuxième fois en une génération, le monde a refusé de
faire. Et, contrairement à la vision mensongère du "Munich" de
Spielberg, les héros de cette opération n'étaient pas
rongés par ce genre de culpabilité dont les libéraux de
Hollywood pensent qu'elle doit accompagner tout acte prouvant aux criminels
que le mal est inacceptable. Lorsque l'Allemagne relâcha certains des
terroristes deux mois plus tard, Golda dit qu'elle se sentait "littéralement
malade par la capitulation de l'Allemagne" et par la constatation "qu'il
n'y avait plus un seul terroriste emprisonné où que ce soit dans
le monde. Tout le monde a cédé". Israël a compris que
le "châtiment du crime" n'est pas seulement un commandement
biblique; c'est la seule réponse au Munich de Chamberlain qui mène
inexorablement aux massacres perpétrés par les Nazis.
UN HEROS DECHU
Après avoir vu "Munich", je suis sorti profondément
attristé, parce que Steven Spielberg avait toujours été un
de mes héros. Il nous avait si souvent rendus fiers par son identification
avec son peuple. Je l'avais rencontré il y a quelques années
et je lui avais fait part d' une réflexion qu'il ne s'était jamais
faite, me dit-il. Alors qu'il tournait la "Liste de Schindler" en
Pologne, il mettait la dernière main au montage de "Jurassic Park".
J'espérais qu'il n'avait pas manqué de remarquer le rapport qu'il
y avait entre ces deux films. Selon toute logique, les Juifs auraient dû disparaître
au cours de siècles de persécutions culminant avec la Shoah,
tout comme les dinosaures avaient disparu depuis des millions d'années.
Mais il restait des survivants. Et ces survivants défilaient devant
la tombe d' Oskar Schindler pour le remercier. Et le miracle, pour le peuple
juif, c'est avant tout d'avoir survécu.
Survivre est la première condition de notre mission historique. Mais
pour le Spielberg de "Munich", et pour Tony Kushner son scénariste,
le "politiquement correct" est le nouveau dieu auquel il faut sacrifier,
même au prix d'un suicide national. Kushner s'est déjà clairement
exprimé sur ce qu'il pense d'Israël: "je regrette que l'Israël
moderne ait jamais vu le jour". Il incarne la tendance actuelle de ceux
qui pensent profondément que la violence ne se justifie jamais et que
seul le dialogue avec nos ennemis permettra de parvenir à la paix.
Certes, Spielberg reconnaît que "Munich" est une "fiction
historique" et qu'il s'est permis de prendre quelques libertés
avec certains faits afin d'augmenter l'impact du film. Mais ce qui est impardonnable,
c'est que le "message moral" basé sur des faits ainsi manipulés
va influencer des millions de spectateurs dans le jugement qu'ils portent sur
l'impasse proche-orientale. Ce message, c'est que les deux parties peuvent
légitimement en appeler à notre sens de la morale. Pourtant,
une seule des parties cherche, non pas à créer un foyer national,
comme le suggère le scénario, mais à anéantir l'autre.
Ainsi que le disait un imam palestinien bien connu : "Il fut un temps
où nous gouvernions le monde, et, par Allah, un jour viendra où nous
règnerons à nouveau sur le monde entier....Nous règnerons
sur l'Amérique, sur l'Angleterre et sur le reste du monde, mais pas
sur les Juifs. Les Juifs ne connaitront pas la tranquillité sous notre
règne. Voyez ce que dit le prophète Mahomet sur le sort qui attend
les Juifs. Les pierres et les arbres supplieront les Musulmans d'en finir avec
les Juifs".
Le film nous montre que les deux
parties sont responsables des "dommages
collatéraux" qui provoquent la mort de civils innocents. Mais on
ne voit pas clairement que, contrairement aux Palestiniens pour qui il s'agit
d'une politique délibérée, pour les Israéliens,
c'est avant tout une conséquence regrettable et non intentionnelle.
Il est dommage que le film n’ait pas retenu un des passages les plus
significatifs du livre de George Jonas, "Vengeance", dont Spielberg
s'est inspiré pour son film. Avant d'envoyer les agents accomplir leur
mission, on les réunit pour leur donner des instructions très
claires: "Si vous arrivez à éliminer tous les noms qui figurent
sur la liste, vous aurez pleinement réussi. Si vous n'en éliminez
que cinq ou six, nous aurons quand même fait passer le message qu'on
ne peut pas faire couler impunément le sang juif, et que nous ne resterons
pas assis passivement comme le monde l'a fait pendant la Shoh. Même si
vous n'en éliminez qu'un ou deux, votre action n'aura pas été vaine.
Mais si vous vous trouvez placés devant l'alternative où vous
pouvez, soit tuer un des assassins mais tuer également un passant innocent,
soit renoncer à votre mission, nous vous donnons l'ordre, dans ce cas-là de
ne rien faire".
Voilà un détail qui résume probablement la différence
essentielle entre les terroristes de Munich et l'équipe d'agents israéliens,
mais il n'a pas été inclus dans le scénario.
"Munich" se termine sur un dernier affront. Le chef de la mission,
qui a perdu toutes ses illusions et ne peut plus supporter l'idéologie
d'un pays qui ose proclamer qu'il n'a plus l'intention de vénérer
l'image du Juif en tant que victime, quitte Israël et va s'installer à Brooklyn.
Et voici qui met fin à l'espoir du peuple juif.
Ceci est une pure invention. Et
c'est pourquoi, quel que soit le message que Spielberg cherche à faire passer à l'écran, il demeure
indéfendable. Je supplie Spielberg, un des plus brillants cinéastes
de notre génération de suivre le conseil de E.T.: "phone
home", retourne vers ton peuple, ce peuple qui continue à honorer
le courage des survivants de Schindler plutôt que de condamner les "liquidateurs" héroïques
des terroristes de Munich.