Un célèbre verset de la Genèse enseigne que l’homme
a été créé à « l’image de D.ieu ».
Les sages enseignent que
l’âme est « une partie du D.ieu
d’en haut ».
Au Psaume huit, le roi
David célèbre la création
: « Lorsque
je contemple tes cieux, œuvre de ta main, la lune et les étoiles
que tu as formées... » et s’interroge sur la place que peut
tenir l’homme dans un univers aussi majestueux : « Qu’est-ce
donc l’homme, pour que tu penses à lui ? Le fils d’Adam
pour que tu le protèges ? » Le psalmiste répond à cette
inquiétante question de façon magistrale : « Tu l’as
fait presque l’égal des êtres divins, tu l’as couronné de
gloire et de magnificence. Tu lui as donné l’empire sur les oeuvres
de ta main, et mis tout à ses pieds... ». Ici, l’homme est
décrit comme « presque l’égal des êtres divins ».
Cette comparaison entre
l’homme et les créatures célestes
est récurrente.
Le serpent promet à Eve qu’elle sera comme D.ieu lorsqu’elle
aura consommé du fruit de la connaissance du Bien et du Mal.
A plusieurs reprises, les
commentateurs expliquent que l’homme peut être
tenté de croire qu’il existe deux pouvoirs égaux, celui
de D.ieu dans les sphères célestes, et celui des hommes dans
les sphères terrestres.
L’histoire de l’humanité est là pour nous rappeler combien l’être humain a souvent succombé à sa tentation suprême : se prendre pour D.ieu lui même.
Si l’homme est décrit comme presque l’égal des êtres
divins, s’il peut être tenté de se prendre pour D.ieu, c’est
qu’il existe en lui une force extraordinaire lui donnant un pouvoir sur
le reste de la création.
Celle-ci peut être à l’origine de sa grandeur mais aussi
de sa perte s’il l’utilise de façon négative.
De quelle force s’agit-il
?
La spécificité de l’homme, c’est que son intelligence
domine la matière. Ce pouvoir ne s’exprime pas uniquement par
la faculté de transformation du créé - il va beaucoup
plus loin - il s’agit du pouvoir de définir la finalité de
la matière, de déterminer le rôle que celle-ci doit avoir
dans la vie de l’homme. Ce faisant l’homme peut dominer les valeurs
du monde dans lequel il évolue.
Il semble que cette force
soit à l’origine de
la grandeur ou de la perte du genre humain.
La création voulue par D.ieu est accompagnée par un projet divin.
La Torah n’est autre que le projet assigné à la création
par le Créateur. Etre capable de changer la finalité du créé,
c’est donc « se substituer » à D.ieu en proposant
un projet « concurrent » au sien.
En dotant l’homme de cette force, D.ieu a créé l’homme à son
image. Il ne l’a rendu que de très peu inférieur aux êtres
célestes. C’est également ce pouvoir qui peut lui donner
l’illusion de gérer la vie sur terre, qui peut lui donner l’illusion
d’être lui même un Dieu.
La première faute du premier être humain fut l’expression
de cette volonté ancrée en l’homme de définir lui
même les valeurs qui régissent sa vie.
Ne supportant pas de vivre
en porte à faux avec son action, l’homme
a tendance à justifier à posteriori les fautes qu’il commet.
Dés lors, la faute est à l’origine d’un monde différent
de celui voulu par D.ieu, d’un monde qui dépendra directement
de son action.
La faute relègue à un deuxième
plan le
projet de D.ieu.
Cette compréhension nouvelle du concept de création de l’homme à l’image
de D.ieu, ainsi que de la nouvelle approche de la nature de la faute commise
par les premiers êtres humains, vont nous permettre de mieux comprendre
le sens des conséquences dramatiques qu’eut la faute sur le devenir
de l’humanité.
Une des conséquences de la faute est l’obtention par l’homme
de son pain à la sueur de son front. Avant la faute, l’homme se
nourrissait à la table de D.ieu sans avoir besoin d’apprêter
les mets qu’il consommait. Après la faute, le pain ne peut être
obtenu qu’à la sueur de son front.
La conséquence de la faute c’est l’enfoncement dans la faute.
Comment comprendre que
cette faute ait eu cette conséquence
?
Le pain est la matière première la plus indispensable à la
survie de l’homme. Après la faute, il ne peut plus être
obtenu qu’après de nombreux efforts. Ce faisant l’homme
peut avoir l’illusion que c’est lui qui pourvoit à ses besoins.
Il peut oublier que derrière le monde qu’il crée existe
un monde créé par D.ieu.
L’homme vit alors dans un monde qu’il modèle selon son
bon vouloir sans pouvoir prendre conscience de ses erreurs. La conséquence
de la faute c’est l’enfoncement dans la faute.
Nous conclurons en remarquant
que si le pain de la Genèse est celui
qui peut pérenniser la faute, il en est un autre qui en est purifié.
Le roi David (Psaumes,
78-25) dans une très belle parabole décrit
la manière avec laquelle D.ieu octroya la manne aux enfants d’Israël
dans le désert. :
« Il commanda aux nuages d’en haut et ouvrit les portes du ciel
; Il fit pleuvoir sur eux de la manne comme nourriture et leur octroya du blé céleste.
Tous eurent à manger de ce pain de délices ».
Il existe dans le Talmud (Yoma 75b)
une discussion à propos de l’expression « pain
de délices » (lé’hem abirim). Un maître
y soutient qu’abirim a pour sens : forts. Il explique que ce
pain était le
pain des forts, le pain des anges. Une autre opinion voit dans le mot abirim
une allusion à évarim, membres. Elle soutient que la
manne était
un pain entièrement absorbé par les 246 membres du corps de l’homme,
qu’il ne produisait aucun déchet.
Ces deux opinions expriment
le caractère « sacré » de
la manne consommée par la génération des enfants d’Israël
qui vécurent la sortie d’Egypte.
Le niveau de spiritualité de ces personnes était très
important. Les sages enseignent qu’une servante a pu voir lors de la
traversée de la mer rouge ce que n’a pas vu Ezéchiel le
prophète. Par ailleurs, les maîtres nous apprennent que lors du
don de la Torah, les enfants d’Israël atteignirent le niveau de
spiritualité d’Adam avant la faute.
Seule cette génération a pu être nourri par un pain céleste,
par un pain provenant entièrement de D.ieu. Le pain n’était
plus, en ce temps, le fruit de la sueur de l’homme, il était,
de nouveau, un cadeau du ciel.
Du fait de sa proximité avec son Créateur, l’investissement
de l’homme dans le monde de la matière ne devait plus provoquer
d’écran entre le monde de l’homme et le monde de D.ieu.
Dès lors, les efforts nécessaires à sa réalisation
devenaient caducs. Le pain pouvait redevenir un produit venant du ciel et cesser
d’être un produit créé par l’homme.
Le peuple juif a pu, pendant
la période qui précéda son
entrée en terre d’Israël faire disparaître dans une
certaine mesure les séquelles de la faute. Cette rédemption ne
fut possible que grâce à l’enseignement d’Abraham.
Le Talmud (Baba Métsia 86b)
dans un de ses très brefs enseignements
nous apprends que le peuple juif pu bénéficier de la manne dans
le désert grâce au mérite d’Abraham qui servit du « beurre
et du lait » lors du repas qu’il servit aux anges venus lui rendre
visite.
La perfection ultime humaine est atteinte lorsque le projet de l’homme pour l’homme est identique à celui voulu par D.ieu pour l’homme.
Par ailleurs un Midrach
(Béréchit Rabba 48-12) nous apprends
que la manne a pu être octroyée aux enfants d’Israël
dans le désert grâce au mérite d’Abraham qui demanda à Sarah
de « pétrir une pâte afin d’en faire des gâteaux ».
A priori, ces textes semblent
inaccessibles. En quoi le don de « beurre
et de lait », le fait de demander de « pétrir une pâte
pour en faire des gâteaux » est en rapport avec la manne obtenue
par le peuple juif quatre cents ans plus tard ?
Il semble que par ces deux
attentions, Abraham ait cherché à transmettre
aux générations à venir l’idée suivante :
si l’homme a la possibilité de transformer la nature, il n’en
devient pas pour autant son créateur. Il existe un monde de la création
différent du monde de l’homme. Un monde régi par la volonté de
D.ieu. La perfection ultime humaine est atteinte lorsque le projet de l’homme
pour l’homme est identique à celui voulu par D.ieu pour l’homme.
Lorsque Abraham sert du
beurre, il n’oublie pas de présenter
le lait a partir duquel le beurre est créé. Lorsqu’il demande à Sarah
de faire des gâteaux, il met en garde Sarah à veiller à leur
préparation. Il l’enjoint de porter son attention au regard qu’elle
porte sur ce qu’elle confectionne de ses propres mains.
Ce faisant il se protége lui, et son épouse Sarah, contre le
risque de l’oubli du monde créé par D.ieu au profit du
monde transformé par l’homme.
Ce faisant, la transformation
qu’il imprime à la matière
ne lui donnera pas l’illusion qu’il en est le seul maître
et qu’il peut en disposer librement selon sa volonté.