"Notre sœur, puisses-tu devenir des milliers de myriades" (Genèse
24 , 60)
Le 13 Eloul dernier (17 septembre), une foule nombreuse se pressait devant une petite synagogue
de Har Homa, à Jérusalem. On inaugurait, dans le Mikveh attenant,
un lieu d'accueil pour les parentes et amies des jeunes futures mariées
qui, selon une tradition séfarade et orientale, les accompagnent au
Mikveh (bain rituel) la veille de leur mariage.
L'émotion se lisait sur tous les visages car ce lieu d'accueil était
dédié à la mémoire de Nava Apelbaum.
13 Eloul : rappelez-vous, il y deux
ans jour pour jour, l'attentat du café Hillel à Jérusalem
où 16 personnes avaient trouvé une mort atroce. Parmi ces victimes
se trouvaient le docteur David Apelbaum, responsable du service des urgences à l'hôpital
Shaare Tsedek et sa fille Nava, 20 ans, qui devait se marier le lendemain;
dernier rendez-vous d'un père avec sa fille avant qu'elle ne quitte
la maison familiale. La mort de ce médecin connu qui était toujours
le premier à arriver sur les lieux des attentats (ô ironie du
sort!) et de la jeune fiancée assassinée la veille de son mariage
avait provoqué un véritable choc émotionnel dans le pays.
Le visage souriant de Nava nous avait tous bouleversés.
Les mois passaient, mais cette tragédie restait présente dans
toutes les mémoires, et surtout dans celle d'une des responsables du
Mikveh de Har Homa, Félicia Goldszal, qui cherchait comment perpétuer
le souvenir de Nava dans une action ou une œuvre tournées vers
la vie.
C'est alors qu'elle eut l'idée d'aménager une des pièces
du Mikveh de Har Homa en un véritable "salon" qui accueillerait
les futures mariées et les femmes de leur famille qui les accompagnent
pour leur premier bain rituel la veille de leur mariage. C'est en effet une
grande réjouissance: les femmes apportent des pâtisseries, des
sucreries, des fruits, on chante, on danse, on s'embrasse, on se félicite…
Curieusement, aucun lieu d'accueil
n'est en général prévu
pour ce genre de réunion et l'idée de Félicia était
doublement excellente: réaliser ce petit "salon" et y associer
le souvenir d'une autre fiancée qui elle aussi était allée
au Mikveh avant ce rendez-vous fatal au café Hillel.
Avec l'accord et la participation
de la mère de Nava, et sous les auspices
du Fonds "One Family" (dont la finalité est de "reconstruire
les vies brisées"), le projet prit rapidement corps. Les donateurs
furent nombreux et enthousiasmés par cette idée.
Har Homa est une banlieue nouvelle
de Jérusalem, construite sur une
colline, et située près du kibboutz Ramat Rahel et de Bethlehem.
Tout est neuf à Har Homa, y compris cette petite synagogue et le Mikveh
qui la jouxte. Les murs de ce dernier sont revêtus de céramique
blanche étincelante ourlée de bleu et les installations y sont
ultra-modernes.
Le petit "salon" de Nava tranche sur toute cette blancheur. Le sol
est en marbre rose ponctué de petits losanges vert foncé. Une
banquette également en marbre rose court le long de deux murs à angle
droit et, au-dessus de ces deux banquettes, deux très grands panneaux
de céramique vous sautent au visage dès l'entrée. On reste
saisi par la force et la vie qui s'en dégagent. Des grenades rouge vif
se détachent sur un fond de branches vertes parcourues d'ombres grisées.
Deux jeunes femmes céramistes, Vera Davidson et Dafna Galia, ont réalisé ces
panneaux à partir de photographies prises par un artiste, le docteur
Menahem Granat, qui a une passion pour les grenades qui figurent pratiquement
sur toutes ses photographies!
Sur le panneau de droite, plus petit,
une seule grenade se détache
sur fond de branchage: on peut imaginer que c'est Nava, seule, éternelle
fiancée attendant son ‘hatan (fiancé)..
Le choix du sujet de ces panneaux
ne s'est paraît-il pas imposé immédiatement
mais il est finalement très symbolique. La grenade, ce sont les mitsvoth
(les bonnes actions), mais aussi l'abondance et avec ce rouge intense, on échappe à la
mièvrerie de certains décors qui veulent vous faire croire que
la vie est "un long fleuve tranquille".
Le souvenir de Nava sera doublement
associé à toutes les jeunes
fiancées car sa robe de mariée a été transformée
en houpa (le dais nuptial que l'on place au-dessus des mariés pendant
la cérémonie du mariage). Elle a déjà été utilisée
trois fois et devrait être déposée dans l'enceinte du tombeau
de Rahel à Bethlehem où les familles qui le souhaitent pourront
l'emprunter.
Revenons une dernière fois à Har Homa. Sur une petite console,
on peut feuilleter le livre rédigé par les parents et amis de
Nava, dont les témoignages sont très émouvants.
On sort de cet endroit la gorge
serrée mais avec le sentiment que la
vie est toujours la plus forte et que certaines morts nous accompagneront à jamais.