L'histoire des Juifs d'Angleterre
présente certaines similitudes avec
l'histoire des Juifs de France (influence néfaste des Croisades, expulsions,
rappels, influence du milieu non-juif ambiant…) mais aussi certaines
particularités dues à un contexte différent. Voici un
rapide survol de l'histoire de cette communauté, ainsi que quelques
conseils de visite du quartier juif de Londres.
La Communauté juive au Moyen-Age
L'histoire des Juifs d'Angleterre
commence essentiellement en 1066, après
la conquête de l'Angleterre par le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant.
Celui-ci, devenu roi d'Angleterre, va encourager les Juifs de Rouen à venir
s'installer à Londres. De petites communautés juives vont progressivement
voir le jour dans de nombreuses villes de l'Angleterre médiévale.
Comme ce fut le cas au Moyen-Age
dans toute la chrétienté,
les Juifs vont se trouver exclus de presque toutes les professions artisanales
et agricoles et ne vont être tolérés que comme usuriers
ou prêteurs sur gages , activités qui étaient interdites
aux Chrétiens. Les Juifs étaient les sujets du roi qui leur imposait
des taxes très lourdes. La communauté va cependant prospérer
jusqu'au 12ème siécle.
Les Croisades et les prêches violents contre les Infidèles vont
très vite assombrir cette relative prospérité. En 1189,
on refusa aux Juifs le droit d'assister au couronnement du roi Richard Ier
("Cœur de Lion") et de nombreuses échauffourées
provoquèrent la mort d'une trentaine de Juifs. Plusieurs attaques vont
alors se déclencher contre les Juifs de Londres et d'autres villes d'Angleterre.
L'épisode le plus tragique eut lieu à York en 1190 où la
plupart des Juifs de la ville se suicidèrent dans la tour du château
où ils s'étaient réfugiés, plutôt que de
se laisser massacrer ou convertir de force. La situation ne fit qu'empirer:
confiscation des biens, humiliations (port d'une étoile jaune imposée
aux Juifs d'Oxford en 1222), assassinats (un étudiant, Robert de Reading
qui s'était converti au judaïsme et avait épousé une
juive fut brûlé vif). Le roi Edouard Ier fit arrêter et
emprisonner 600 Juifs dans la Tour de Londres.Deux cent soixante dix d'entre
eux furent pendus et leurs biens confisqués. On estime qu'en 1290 il
y avait un peu moins de 3000 Juifs en Angleterre. Finalement, le roi les expulsa
tous et s'empara de leurs maisons et de tous leurs biens.
Après l'expulsion
Entre 1290 et 1656, il n'y eut aucune
communauté juive officielle en
Angleterre. Quelques individus pratiquaient cependant la religion juive en
secret.
Lorsque les Juifs furent expulsés d'Espagne en 1492, un certain nombre
d'entre eux se réfugièrent au Portugal. Mais en 1535, l'Inquisition
gagna également le Portugal et quiconque était soupçonné de
pratiquer la religion juive était menacé du bûcher.
A partir de 1540, des réfugiés de l'Inquisition portugaise s'installèrent à Londres
et à Bristol
Comme les Marannes d'Espagne, ils allaient à l'église mais continuaient à pratiquer
secrètement le judaïsme. Ils risquaient en effet, selon la loi
anglaise, d'être brûlés vifs s'ils avaient vécu ouvertement
en Juifs.
Le cas de la famille Anes est particulièrement édifiant. La
famille Anes vécut une vie juive clandestine de 1540 à 1630.
Dunstan Anes était négociant en épices et fut nommé fournisseur
de la Reine Elizabeth Ière. Son gendre, le docteur Rodrigo Lopes, devint
le médecin de la Reine . Cependant, en 1594, le Dr Lopes fut accusé d'avoir
voulu empoisonner celle-ci et fut exécuté à Tyburn. Christopher
Marlowe dans "Le Juif de Malte" et Shakespeare dans "Le Marchand
de Venise" ont tous deux créé des personnages inspirés
par la condition des Juifs en Angleterre au 16ème siècle.
Le retour des Juifs en Angleterre
Il faut attendre le milieu du 17ème siècle pour que les Juifs
soient officiellement autorisés à revenir en Angleterre. En 1655,
rabbi Menasseh ben Israël, une personnalité marquante de la communauté juive
d'Amsterdam, se rend à Londres pour rencontrer le Lord Protecteur, Olivier
Cromwell, et lui demander de mettre un terme au bannissement des Juifs. Celui-ci
va se montrer favorable à cette requête car il est convaincu,
sur le plan économique, de l'influence positive que pourront avoir les
commerçants juifs sur l'économie anglaise, et, sur le plan religieux,
de l'importance des Juifs si l'on veut que les prophéties s'accomplissent
et qu' advienne le "second royaume", l'un des fondements du courant
millénariste, issu de la Réforme, auxquels se rattachent les
Puritains (et que l'on retrouve actuellement chez les Chrétiens évangéliques).
Cromwell va réunir une conférence à Whitehall, et les
juges vont y décréter que rien ne s'oppose plus juridiquement à ce
que les Juifs résident en Angleterre. Après un débat animé,
Cromwell va autoriser, en 1656, les Juifs à se réunir pour prier
et à disposer d' un cimetière.
Les Juifs vont donc pouvoir vivre
leur judaïsme ouvertement et former
une petite communauté.Le fondateur en sera un marchand de vin nommé Antonio
Fernandes Carvajal, qui habitait Londres depuis trente ans. En 1657, il fit
construire une petite synagogue à Creechurch Lane dans le quartier d'Aldgate
(une plaque signale aujourd' hui son emplacement sur un immeuble de l'East
End) et loua un terrain un peu plus à l'Est, destiné à devenir
un cimetière.
La communauté sépharade initiale
Au 18ème siècle, la communauté juive portugaise de Londres
va s'agrandir et prospérer. Le roi Charles II ainsi que ses successeurs
vont poursuivre la politique de protection des Juifs initiée par Cromwell.
Cependant, malgré l' appoint de Juifs venus d'Espagne et du Portugal,
ainsi que de France et des Pays-Bas, on ne dénombre en 1700 que 1000
Juifs sépharades à Londres. Ils vont cependant édifier
en 1702, dans la petite rue de Bevis Marks, une très belle synagogue,
plus grande que celle de Creechurch Lane.
Vers 1720, la communauté va s'accroître
de nouveaux immigrants venus d'Italie et du Maroc.
En 1760, la communauté sépharade va fonder le "Committee
of Deputies" destiné à représenter les intérêts
de la communauté juive auprès du gouvernement. Cette institution
(à laquelle se joindront plus tard des synagogues ashkénazes)
existe toujours sous le nom de "Board of Deputies of British Jews" (dont
Sir Moses Montefiore devait être l'un des plus actifs présidents
au 19èmè siècle).
En 1800, la communauté compte 3000 membres.Les Juifs sépharades
sont souvent des marchands qui commercent avec le Portugal, les Indes et les
Caraïbes. Mais ils sont également médecins, chirurgiens,
apothicaires, notaires, tailleurs de diamants, confiseurs ou marchands ambulants.
Dans un domaine inhabituel, la boxe, il faut citer Daniel Mendoza qui fut champion
d'Angleterre pratiquement chaque année entre 1788 et 1795. Il devint
un véritable héros populaire et fut le premier boxeur à bénéficier
du patronage royal. (Il est d'ailleurs amusant de constater qu'au vingtième
siècle, aux Etats-Unis, dans les années vingt et trente, les
Juifs tenaient le haut du pavé dans le monde de la boxe : pas moins
de 27 champions du monde !).
1830 marque une étape importante dans l'intégration des Juifs
sépharades en Angleterre, car c'est à partir de cette date qu'il
fut décidé que, dans les synagogues, les sermons seraient prononcés
en anglais et non plus en portugais.
La communauté ashkénaze initiale
Une petite communauté juive ashkénaze devait également
commencer à se développer en Angleterre vers la fin du 17èmè siècle.
Ses membres venaient essentiellement d'Allemagne, mais ils furent rejoints à partir
de 1770 par une petite vague d'émigrants venant de Pologne. Les nouveaux émigrants
exerçaient le plus souvent de petits métiers : marchands ambulants,
fripiers, vendeurs de bijoux bon marché ou colporteurs. Ce sont ces
derniers qui introduisirent la vie juive dans les provinces anglaises. C'est
ainsi qu'à la fin du 18ème siècle quelques milliers de
Juifs vivaient dans de petites communautés éparpillées
entre la côte Sud de l'Angleterre et les Basses-Terres d'Ecosse, et l'on
vit s'édifier des synagogues dans certaines villes de province.
Les guerres napoléoniennes eurent pour conséquence le développement
de la Royal Navy et les Juifs s'installèrent également dans les
villes portuaires de la côte Ouest où ils ouvrirent des magasins
d'accastillage, d'instruments d'optique ou des échoppes de tailleurs.
A la fin du 18ème siècle on comptait 30 000 Juifs en Angleterre.
La lutte pour l'égalité des
droits
Tandis qu'une partie de la population
juive de Londres végétait
dans la pauvreté, une classe bourgeoise composée de marchands,
de financiers et de banquiers commençait à émerger
dès le début du 19ème siècle, à la faveur
des débuts de l'industrialisation. Ses membres étaient très
attirés par le mode de vie anglais et s'intégrèrent très
rapidement dans la société culturelle, politique et économique
anglaise. Ils s'installèrent dans des quartiers plus agréables,
tant à Londres qu’en province.
Ils voulurent, parallèlement, qu'à cette ascension sociale corresponde
une véritable égalité des droits et menèrent un
combat qui connut ses premiers succès avec la nomination en 1855 de
Sir David Salomons à la fonction de Lord Maire de Londres, et surtout,
avec l'admission de Lionel de Rothschild comme Membre du Parlement en 1858.
Sir Nathaniel de Rothschild devait être élevé au titre
de Baron en 1885, et Lord Reading (ex Sir Rufus Israel) nommé vice-roi
des Indes en 1920.
La grande immigration (1881-1914)
Le petit flot d'immigrants venant
d'Europe de l'Est allait devenir une véritable
déferlante à partir de 1880 en raison des difficultés économiques
et des persécutions. En Russie, les Juifs devaient résider dans
une zone qui leur avait été assignée et des populations
juives entières furent ainsi déplacées et parquées
dans ces régions où elles n'avaient le plus souvent pas le droit
de résider dans les villes. De nombreux pogroms, tolérés
sinon initiés par le régime tsariste, éclatèrent
et finalement, un très grand nombre de Juifs quittèrent la Russie,
mais aussi la Galicie et la Roumanie pour émigrer en Amérique.
Ils furent nombreux à s'arrêter en France et en Angleterre. Ce
flux continua sans interruption pendant une trentaine d'années. C'est
ainsi
que la population juive anglaise passa de 60 000 en 1870 à 300 000 en
1914.
La plupart des nouveaux immigrants étaient pratiquement sans ressources.
Ils s'installèrent à Londres, dans l'East End, un quartier pauvre
où les logements étaient insalubres mais bon marché. Certains
s'installèrent dans des villes industrielles en développement.
C'est à cette époque que des communautés juives importantes
virent le jour à Manchester et à Leeds.
La société juive était alors nettement divisée
en deux groupes très distincts. D'une part les familles juives bourgeoises,
installées depuis plusieurs générations, très intégrées,
très anglicisées, relativement à l'aise financièrement,
et habitant des banlieues agréables. Et d'autre part, les Juifs venant
d' Europe de l'Est, parlant yiddish, très attachés à un
judaïsme orthodoxe, pauvres (travaillant dans des "sweatshops" pour
un salaire de misère), logés dans des immeubles insalubres de
l'East End. On remarquera que les immigrants juifs d'Europe Centrale arrivant
en France à la même époque n'ont pas connu un meilleur
sort et n'ont pas été très chaleureusement accueillis
par les "israélites" français qui regardaient avec
dédain ces "Ost Juden" vulgaires et d'une piété dérangeante.
Le tableau initial paraît très sombre, mais entre 1880 et 1920,
de nombreux immigrants réussirent à s'élever dans la société et
l'on vit apparaître une nouvelle classe moyenne originaire d'Europe Centrale
qui commença à adopter les coutumes anglaises et emménagea
elle aussi dans d'agréables banlieues où elle s'intégra
aux communautés plus anciennes existantes. Ils maintinrent toutefois
leur particularisme en refusant les synagogues "anglo-juives"(où les
rabbins sortaient souvent d'une grande université anglaise), préférant
construire leurs propres "’hevroth" et se choisir des rabbins
venant d'Europe Centrale. Toutefois, avec le temps, ils finirent par se conformer
aux usages anglo-juifs en matière de pratique religieuse et de décorum
et par accepter l'autorité du grand-rabbin, gommant ainsi tout particularisme.
Il faut noter, avant de conclure ce rapide survol, que c'est parmi les immigrants
d'Europe Centrale que devaient se recruter les principaux leaders du sionisme
anglais.
L'East End aujourd'hui
Comme nous l'avons vu plus haut,
l'East End était le quartier où les
pauvres immigrants juifs venant d'Europe Centrale s'étaient regroupés à la
fin du 19ème siècle. Comme c'est souvent le cas dans toutes les
villes du monde, le quartier juif que l'on visite est souvent un quartier pauvre,
dont les habitants ne sont plus juifs car ils l'ont quitté dès
que leur situation financière le leur a permis.
Pour moi, l'East End, c'est un peu
Belleville : un quartier dont les habitants ne sont plus juifs mais en majorité arabes, sans grande richesse architecturale,
contrairement au "pletzel" (le Marais), dont les belles demeures
ont retrouvé un éclat que l'on ne soupçonnait pas lorsque
c’était encore un "vrai" quartier juif. Et puis, on
ne peut pas prononcer le nom de Whitechapel sans que le nom de Charlie Chaplin
ne surgisse aussitôt (j'ai fait l'expérience!). On conteste quelquefois
qu'il ait été juif, quoi qu'il en soit, il incarnera à jamais
l'immigrant juif type: pauvre mais plein de ressource, d’espoir et d’humour.
Dans l'East End, ce sont les Pakistanais
qui ont remplacé les habitants
juifs, mais nous vous conseillons cependant, à l'occasion d'un séjour à Londres,
de participer à une des visites guidées de cet ancien quartier
juif. Un guide diplômé vous fera parcourir à pied les rues
de la City et de Whitechapel où subsistent quelques vestiges de l'importante
présence juive dans l'East End au 19ème siècle et au début
du 20ème. Ces "Walking Tours" ont lieu depuis des années
tous les mercredis matin à 11 H 30 qu'il pleuve, neige ou vente. Le
rendez-vous est au métro"Tower Hill" et il faut prévoir
environ 2 heures de visite (téléphoner au 020-7624-3978)
Le point fort de la matinée est la visite de la synagogue portugaise
de Bevis Marks, en plein cœur de la City. Elle date de 1702, ce qui en
fait la plus ancienne synagogue de Londres. Elle ressemble étonnamment à la
synagogue portugaise d'Amsterdam et a été merveilleusement préservée.
Mis à part l'installation de l'électricité, rien n'y a
changé depuis trois siècles. Les vieux bancs sombres patinés
par les siècles sont très inconfortables mais il est émouvant
d'y lire des noms tels que Montefiore ou Mendes. La synagogue est fonctionnelle:
un office de sha'harith a lieu tous les matins et les fidèles qui y
participent travaillent presque tous dans la City. Nous avons eu la chance,
lors de notre visite de nous trouver en compagnie d'un médecin de Natanya,
qui avait également été 'hazan pendant trois ans en Angleterre
et qui a voulu tester l’acoustique de la synagogue. Il a entonné un "adon
olam" sur une mélodie séfarade qui nous a tous beaucoup émus.
Au cours de la visite, vous verrez également les immeubles délabrés
où logeaient les immigrants d'Europe Centrale, dont plusieurs poursuivirent
leur route jusqu'en Amérique.
On peut encore lire des inscriptions en hébreu sur un édifice
qui servit de soupe populaire.
La population actuelle n'est plus
juive, nous l'avons déjà vu,
mais pakistanaise, et votre guide vous emmènera certainement rue Fournier,
une petite rue bordée de maisons austères construites par des
Huguenots (protestants) venus se réfugier en Angleterre au 17ème
siècle, après la révocation de l'Edit de Nantes. Au bout
de cette rue se dresse un vaste édifice qui fut le temple des Huguenots,
puis devint une synagogue, et sert actuellement de mosquée. Signe des
temps, la prochaine vague d'"immigrants" s'annonce déjà:
il s'agit de riches "yuppies" qui achètent à prix d'or
ces petites maisons huguenotes.
Si vous disposez encore de quelques
heures, vous pourrez visiter le musée
juif de Camden
très agréablement aménagé et qui possède
de véritables trésors.(The Jewish Museum -
129-131 Albert Street - Camden Town - London NW1 7NB )