1 - L’histoire d’Amos
Amos Avraham naquit dans le rêve sioniste. Ses parents étaient des Juifs d’Inde, descendants de commerçants israélites qui s’étaient rendus dans le Sud de l’Inde à l’époque du règne du Roi Salomon. Pendant des millénaires, ils prièrent pour un retour à Sion. Dès l’établissement de l’Etat d’Israël, les parents d’Amos, et pratiquement toute leur communauté, décidèrent de s’y rendre. « Pourquoi vinrent-ils ?, se remémore la mère d’Amos, « Par amour de la Terre d’Israël . »
Le père d’Amos établit une ferme au milieu du désert, dans le Mochav Nevatim. Il y planta des champs d’artichauts et des vergers d’abricots. Amos, désireux de suivre les pas de son père, étudia dans un lycée spécialisé en agriculture. Après avoir servi trois ans dans l’armée d’Israël comme parachutiste, Amos et deux de ses amis, empressés de travailler la terre, s’installèrent dans un kibboutz.
Néanmoins, le travail de la terre ne constituait que la moitié du rêve d’Amos. Il aspirait à commencer quelque chose de nouveau, à faire vivre une terre désolée, à faire fleurir le désert. En 1992, avec ses amis, il s’adressa au gouvernement israélien, lui soumettant ses projets. Le gouvernement les envoya dans la terre désertique des dunes sableuses du Gouch Katif.
Ils y installèrent leurs fermes. Bien que les Arabes autochtones aient méprisé cette région comme étant « la terre maudite de El G’erara », à cause des pluies rarissimes et du fait que rien ne poussait sur cette terre stérile, les pionniers juifs inaugurèrent de nouvelles méthodes. Ils construisirent des serres qui résisteraient au froid hivernal et instaurèrent le système d’irrigation « au goutte à goutte » qui est aujourd’hui utilisé dans le monde entier. Aujourd’hui, Amos possède 20 dunams (environ 2 hectares) de serres dans lesquelles il fait pousser des concombres organiques et des poivrons rouges pour l’exportation et des tomates destinées au marché israélien.
En 1997, Amos épousa Sarah Jaffe qui avait fait son aliya de Californie, en compagnie de son père et sa mère, pédiatres. La même année, les fermes des trois amis devinrent le village officiel de Tel Katifa.
Au début, il fut très difficile d’attirer là d’autres résidents. La vie y était difficile. Les fermiers vivaient dans des caravanes. Il n’y avait pas d’électricité en dehors du générateur qui fonctionnait une partie de la journée ; le gaz étant trop cher pour qu’on en fasse un usage ininterrompu. La pression de l’eau était si faible que lorsque les serres étaient arrosées, les maisons n’avaient pas d’eau.
Aujourd’hui Tel Katifa comprend 24 familles, incluant des immigrants éthiopiens et russes, des juifs religieux et des juifs laïcs, des Achkenazim et des Sephardim. Ils vivent ensemble dans une harmonie paisible qui semble échapper au reste de la société israélienne mais demeure un des privilèges du Gouch Katif. Malgré les menaces d’expulsion imminentes, deux familles se sont installées là en juin dernier.
Après avoir vécu six ans dans une caravane et la naissance de trois enfants, Amos et Sarah ont commencé à construire la maison de leur rêve. La maison était à moitié bâtie quand le gouvernement a annoncé le retrait unilatéral de Gaza. « Que pouvions-nous faire ? demande Sarah en haussant les épaules, nous avons fini la maison . »
Il y a dix mois, ils ont emménagé. La maison est aérée et spacieuse, avec des murs blancs que soulignent des briques aux angles, de hauts plafonds, un sol de carrelage et de nombreuses et grandes fenêtres qui donnent sur un paysage de dunes et de serres tant aimé. Une grande photo dans la salle à manger évoque leur scène favorite : les serres d’Amos.
Amos est un homme avare de paroles. Quand il parle, il le fait si doucement que son interlocuteur doit se pencher vers lui pour l’entendre. Il croit que le travail de ses mains, consistant à faire émerger de la nourriture d’un sable aride, est son véritable moyen d’expression.
Sarah, 28 ans porte une longue jupe et un T shirt orange, la couleur officielle de la lutte en faveur du Gouch Katif. Elle n’élève pas la voix même dans le tintamarre de la demi douzaine d’enfants des voisins qui jouent dans son salon.
Sarah désigne la fenêtre de sa salle à manger qui s’ouvre sur une étendue de maisons arabes et fait remarquer : « Quand je suis venue ici, il y a huit ans, vous ne voyiez pas d’ici une seule maison, un seul bâtiment. Ce n’est pas comme si nous étions venus et leur avions pris leur terre. Il n’y avait rien ici. Maintenant les faubourgs de Dir El Bala’h s’étendent jusqu’à nous.
Amos emploie environ dix travailleurs arabes. Ils sont préoccupés par la perspective de notre départ. Ils disent à Amos : « Prends-nous avec toi. On veut aller où tu iras.» La police palestinienne, maintenant elle ne vient plus ici, (depuis l’échec d’Oslo), mais elle avait l’habitude de faire des tours ici, de battre les travailleurs arabes et de leur extorquer de l’argent. Ils ont peur de ce qui va leur arriver quand nous partirons. »
Il y a peu de temps, Condoleeza Rice a annoncé que les maisons du Gouch Katif seraient détruites. Cela inclut la maison de quatre pièces toute neuve et rutilante des Avraham. Comment Sarah ressent-elle la perspective de voir le bulldozer raser la maison de ses rêves ? La douce Sarah répond sans rancœur : « Je préfère la voir détruite que de voir des terroristes vivre dans ma maison. »
Après une minute de réflexion, elle ajoute : « A part cela, la ferme a bien plus de valeur que la maison. Mon mari a travaillé 13 ans pour construire sa ferme. Il n’en tirera aucune compensation. Il n’a que 37 ans, il est assez jeune pour tout recommencer. Mais il y a beaucoup de personnes plus âgées au Gouch Katif. Ce sont eux les plus inquiets. Comment des gens qui ont atteint la cinquantaine peuvent-ils tout recommencer ? »
Je lui demande ce qu’elle pense de ses compatriotes israéliens dont 53%, selon les derniers sondages, sont favorables au désengagement. « Ceux qui approuvent l’expulsion ne comprennent pas de quoi il s’agit, dit-elle, déroutée. Ce serait différent s’il y avait une sorte d’échange. Mais un retrait unilatéral ? Cela revient à faire un cadeau aux Palestiniens. »
Que vont-ils faire lorsque l’armée viendra les chasser ?
« Hé bien, on ne va quand même pas monter de plein gré dans le car. Je pense qu’ils devront nous porter. »
Elle s’interrompt puis ajoute : « Amos a été appelé comme réserviste cet été. Son unité est celle qui est supposée procéder à l’évacuation. Il a appelé l’armée et a demandé : « Vous attendez de moi que j’évacue ma femme et mes enfants ? » Deux semaines plus tard, il a reçu une lettre qui annulait son ordre de mission.
« Vous savez, continue-t-elle, bon nombre de soldats stationnés ici sont très soucieux. Ils ont tissé un véritable lien avec la communauté. Ils sont invités aux repas du Chabbat chaque fois qu’ils sont libres. Les jeunes leur ont construit une espèce de club. On l’achalande en gâteaux faits maison et en boissons. Les soldats y laissent des lettres de remerciement. Ils écrivent : « ne les laissez pas vous emmener. Soyez forts. Nous sommes avec vous. »
Les Avraham n’ont fait aucun préparatif de départ. « Vous ne pouvez en même temps travailler contre et le planifier, déclare Sarah, ce serait une contradiction totale. »
Et comment travaille-t-elle contre ?
« Par une résistance spirituelle. Toutes les femmes récitent les Tehilim (les Psaumes) tous les jours. Environ une fois par mois, nous avons une immense manifestation de prières dans tout le Gouch Katif. Des rabbins, d’ici et de tout Israël, viennent et donnent des cours sur la foi et sur l’histoire du Peuple Juif. Nous avons vécu tant de décrets pires encore. Regardez Pourim. Un décret royal visait à tuer chaque homme, chaque femme et chaque enfant. Qui aurait cru qu’en un seul jour, tout ce plan serait renversé ? »
Traduction et Adaptation de Cathy Coën