ANALOGIE ENTRE LE MYSTICISME ET LA SCIENCE
La laïcisation du monde de l’homme occidental qui s’est produite lors de la « révolution scientifique » des trois derniers siècles a engendré une profonde fracture entre ses croyances religieuses/mystiques et son optique intellectuelle/scientifique.
Les découvertes spectaculaires qui se sont produites dans la science physique durant le vingtième siècle ne sont toujours pas parvenues à influer profondément sur cet aspect de la Weltanschauung (Vision du monde) fondamentale de l’homme moderne.
Cependant, si l’on explore les ramifications philosophiques de certaines de ces découvertes, ce qui émerge de cette analyse est une perception scientifique de l’univers convergeant, en grande partie, vers l’aspect mystique traditionnel, point central de la foi religieuse.
DUALITé MATIèRE-ENERGIE ET UNITé IMPLICITE DE LA RéALITE PHYSIQUE
En mécanique classique, on établit une distinction fondamentale entre la matière et l’énergie. De la même façon que la matière peut passer à un autre état (par exemple solidification de l’eau en glace), l’énergie qui se manifeste sous des formes variées (électrique, chimique, thermique, gravitationnelle, etc...) peut être transformée en une autre forme (exemple : électricité en chaleur).
Néanmoins, les domaines de la matière et de l’énergie restent complètement disjoints ; chacun conserve son intégrité et est sujet à sa propre loi de conservation. Ce type de dualité entre le physique (matière) séparé de son analogue le spirituel (énergie) est l‘élément central de la physique classique.
La matière et l’énergie ne sont que des manifestations différentes de la même réalité physique sous-jacente.
Par contraste, l’unité complète de l’univers constitue un principe cardinal de la physique moderne. La matière et l’énergie ne sont que des manifestations différentes de la même réalité physique sous-jacente. Ainsi que l’avait prévu la Théorie de la Relativité restreinte d’Einstein, la matière peut être transformée en énergie et réciproquement.
La théorie de l’Electrodynamique quantique en est la démonstration la plus éclatante. Elle dépeint une image de cette réalité sous-jacente – de la nature propre de l’espace lui-même – qui est profondément différente de celle que donne la conception statique de la théorie classique.
L’univers y est vu comme une suite continuelle de transformations au cours desquelles la matière et l’énergie sont spontanément créées et détruites. Bien qu’on ne puisse observer directement cette dialectique fondamentale, on en constate ses effets dans certains phénomènes (1) tels que la polarisation sous vide, le Zitterbewegung (micro-oscillation des particules élémentaires, en particulier les électrons) et le Lamb Shift – phénomène qui a fourni une vérification de la théorie quantique de l’électrodynamique parmi les plus précises de la physique, du point de vue expérimental.
RATSO VESHOV
Cette image concorde de manière frappante avec l’optique de la Torah. Dans le mysticisme juif, on assimile la dialectique ultime de l’univers physique à un processus continuel de Ratso et Shov (2) (Aller et venir « Et les ‘Hayot allaient et venaient » - Ezechiel 1,14).
Le Ratso signifie l’union mystique du fini avec D.ieu – il s’agit tout d’abord de perdre son identité et son sens du «moi » pour finalement faire le vide de tout ce qui est physique et plonger dans la Source transcendante et infinie de l’univers.
Quant au Shov cela veut dire revenir à la réalité physique, redescendre dans l’univers matériel en tant qu’entité distincte suscitée par les ordres de la Volonté divine.
Bien que, dans la perspective de la Torah, il soit possible d’avoir un aperçu bien plus profond de la dynamique du processus décrit (le dessein divin ainsi opposé aux fluctuations inexplicables et spontanées), au niveau phénoménologique, les différentes descriptions qu’on peut faire de cette dialectique ultime sont remarquablement proches les unes des autres.
Evidemment, l’unité extrême de toutes choses telles que les manifestations de la Volonté divine représente l’image centrale du mysticisme juif. Tout comme le potentiel pour l’infini, l’énergie sous forme abstraite et sous forme amorphe - c’est-à-dire, le spirituel et ce qui lui est analogue du point de vue physique - émanent de D.ieu ; de même, le potentiel pour le fini, - c’est-à-dire le matériel - limité et classé en catégories. Par conséquent, le physique et le spirituel - la matière et l’énergie - sont-ils des manifestations de la réalité sous-tendue par la Volonté divine et par là, peuvent-ils être librement échangés et transformés.
Ceci est également presque similaire à la dualité matière-énergie de la Relativité restreinte.
DUALITé SUJET-OBJET
Un cas supplémentaire de dualité qui a pénétré la physique classique est la nette distinction faite entre l’observateur et l’objet observé. En mécanique classique, l’homme -l’observateur- peut être considéré comme complètement séparé de l’objet qu’il observe.
Les interactions entre lui et cet objet sont d’importance secondaire par rapport au processus d’observation. Il y a une disparité flagrante entre sa vie interne et subjective et la réalité externe et objective de l’univers qui l’environne.
C’est en opposition directe avec l’optique de la mécanique quantique. Selon cette dernière, une telle dualité n’a pas cours. L’observateur (le sujet) et l’objet observé ne peuvent être décrits que comme des parties d’un tout. Le processus d’observation lui-même altère l’état du système - les conditions sous lesquelles l’objet même doit être observé. La vie interne et l’univers extérieur, l’homme et son environnement, constituent une entité indissoluble. C’est pourquoi, toute scission aussi parfaite qu’elle soit, toute dualité déforment la situation réelle et de ce fait, le système résultant perd toute signification.
Dans la philosophie mystique juive, on trouve une image similaire, profondément holistique, de l’homme en tant que partie du plénum de la réalité. Dans une certaine mesure, ceci est exprimé par l’apposition microcosme-macrocosme dans laquelle l’univers - le macrocosme - est considéré comme une réflexion et une manifestation de l’archétype - l’homme - alors que simultanément l’homme reflète et exprime la structure de l’univers. (3)
D’après la théorie sous-tendant cette relation réciproque, chaque aspect même de l’univers est la révélation des énergies créatives divines. Pour cette raison, à chaque niveau du processus cosmogonique s’y trouve exprimé le modèle des mêmes énergies divines primordiales - un « homomorphisme » -, et ceci, au niveau de la société humaine ainsi qu’individuelle et au niveau de la totalité de l’univers.
L’ENVIRONNEMENT EXTERIEUR ET INTERIEUR : UNE RELATION REFLEXIVE
L’homme, le sujet interne et son univers, l’objet externe, doivent se synthétiser dans un tout.
Il y a une autre manière importante où le mysticisme juif remet en cause la distinction artificielle faite entre le sujet et l’objet, c’est en représentant l’homme comme quelqu’un qui intériorise son environnement (4).
L’homme ne peut demeurer un observateur indépendant, objectif. Il intériorise une part du mal qui est en lui-même, ce qui rend tout particulièrement difficile les efforts qu’il fait pour surmonter sa nature en ce qu’elle a de plus grossière.
Le caractère de l’environnement dans lequel il vit influe profondément sur sa perception et sur sa compréhension du monde qui l’entoure. D’autre part, les actions de l’homme - la manière dont il se comporte dans le monde - affectent intensément, au niveau physique ainsi que métaphysique, la nature même du monde qui l’environne.
A l’opposé de la plupart des autres systèmes mystiques, le mysticisme juif se caractérise par l’importance donnée à l’action. Les envolées les plus exaltées de spéculation métaphysique, les états les plus sublimes d’union mystique portée à son plus haut degré d’extase, ne font que dénaturer et dévaloriser l’objectif de l’homme s’ils ne sont pas associés avec un Be’Hen – une conséquence constructive et pratique en ce qui concerne la vie et les relations de l’homme dans le présent – c’est-à-dire le monde matériel qui l’entoure.
Qu’il faille le sensibiliser aux relations avec autrui ou lui inculquer de nouveau une plus grande dévotion dans son Créateur par l’intermédiaire des ses actions (mitsvot) dans ce monde, ces deux cas exigent une modification positive de son comportement. L’homme, le sujet interne et son univers, l’objet externe, doivent se synthétiser dans un tout.
CONCLUSION
Comment peut-on utiliser ces idées pour s’en inspirer, se perfectionner et aussi parfaire le monde environnant ? Comment peut-on employer cette manifestation divine par l’entremise de l’ordre naturel des choses qui est de nous rapprocher de D.ieu, par l’entremise de la prière, de l’étude de la Torah et de l’accomplissement des commandements ? C’est à nous de répondre en fin de compte à ces questions.
Résumé de l’article original réimprimé avec l’aimable permission de B’Or HaTorah vol.In (1982) pages 35 à 40.
Traduction et Adaptation de Claude Krasetzki
Notes :
1 Heitler, W. The Quantum Theory of Radiation, troisième édition, Londres; Oxford 1954, pp. 16-27. Schwinger (ed.). Quantum Electrodynamics, New York; Dover, 1958, pp. 209-224. Lamb & Rethreford, Physical Review 72, 241 (1947)
2 Rabbi Menachem Mendel de Loubavitch, Derech Mitzvosecha, New York: Kehot, p. 150; Discourses for Shavuoth, pp. 139-141
3 Midrach Tan’huma, "Pekoudei"; Avot de R. Nathan, Ch. 1 Zohar 1; 8a, 140a, 250b, 11:20a, 48b, 75b,111: 5b, 117a.
4 Rabbi Schneour Zalman de Liadi, Torah Or, New York: Kehot, 1972, pp. 10-11