Cette parasha commence par le huitième jour de consécration
du Tabernacle.
Tout d'abord, Moshé demande à Aaron
d'offrir un veau comme sacrifice expiatoire, pour faire pardonner semble-t-il
la faute du veau d'or.
Ensuite, il demande aux enfants
d'Israël d'offrir en sacrifice un bouc,
qui selon les commentateurs bibliques (voir Targoum Yeroushalmi) viendrait
expier la vente de Joseph. En effet, les frères de Joseph avaient trempé sa
tunique dans le sang d'un bouc pour faire croire à leur père
qu'il avait été dévoré par une bête sauvage,
et dissimuler ainsi la vente de leur frère comme esclave.
Ainsi, deux fautes majeures du peuple
Juif devaient être pardonnées
en ce jour mémorable.
"
Aaron leva ses mains vers le peuple et les bénit; il descendit (après)
avoir procédé à l'offrande d'expiation, à l'holocauste
et aux offrandes de paix. Moshé et Aaron vinrent à la tente d'assignation,
ils sortirent et bénirent le peuple, et la gloire de l'Eternel apparut à tout
le peuple. Un feu sortit de devant l'Eternel et consuma sur l'autel l'holocauste
et les graisses; le peuple vit, ils prièrent et tombèrent
sur leurs faces. [Lévitique 9:22-24]
Plus de doute pour le peuple : D-ieu
avait répondu à la prière
de tous, et apparemment, les fautes évoquées précédemment
leur étaient complètement pardonnées.
UNE TRAGÉDIE
S'ENSUIT
Mais subitement, un événement dramatique va survenir :
Les fils d'Aaron,
Nadav et Avihou, prirent chacun leur encensoir, y mirent du feu, y
placèrent de l'encens et apportèrent devant l'Eternel
un feu étranger qu'Il ne leur avait pas ordonné (d'apporter).
Un feu sortit de devant l'Eternel, les consuma et ils moururent devant l'Eternel.
Moïse dit à Aaron : c'est ce que l'Eternel a dit en disant : Je
serai sanctifié par Mes proches et face à tout le peuple Je serai
honoré; Aaron resta silencieux. [Lévitique 10:1-3]
De nombreuses questions se posent
sur cet événement tragique.
Quelle était la faute de Nadav et Avihou? Quelle était la raison
de leur étrange comportement? Quel était le sens de la réponse
de Moshé?
Nombreux sont les avis concernant
le comportement de Nadav et Avihou. Tous (ou presque) sont d'accord pour
dire qu'une faute a été commise.
Ils diffèrent en fait sur la nature et la cause de la faute.
Selon certains, leur faute, fut
d'être entré ivre dans le sanctuaire.
Ces commentateurs s'appuient sur le sujet qui suit immédiatement cet épisode
: Aaron reçoit l'ordre de ne pas boire d'alcool avant d'entrer dans
le Temple pour le Service.
L'Eternel parla à Aaron
en disant : 'du vin et de la liqueur forte ne bois pas, ni toi ni tes
fils quand vous viendrez dans la tente d'assignation,
et vous ne mourrez pas'. [Lévitique 10:8-9]
La logique est la suivante : cette
mise en garde de ne pas entrer dans le Temple après avoir bu de l'alcool, est mentionnée ici, juste
après la mort des fils d'Aaron, car eux sont entrés ivres dans
le Temple et sont morts à cause de cela. On peut dire également
que leur erreur d'avoir amené, sans en avoir reçu l'ordre, une
offrande d'encens, a été "commandée" par leur ébriété.
A cause des effets de l'alcool, ils ont perdu le contrôle de leurs actes,
l'intégrité de leur conscience, et l'on comprend à présent
l'utilisation de l'expression "feu étranger".
Selon d'autres, le fait qu'ils n'étaient pas mariés et donc
sans enfant a entraîné leur décès.
Rabbi Levi a dit, "ils étaient vaniteux; de nombreuses femmes les
attendaient ardemment (pour devenir leurs épouses). Mais que disaient-ils?
Notre oncle paternel est roi, notre oncle maternel est chef de tribu, notre
père est Grand Prêtre, et nous, nous sommes ses deux assistants.
Quelle femme peut être digne de nous?" [Vayikra Rabbah 20:10]
Cette source donne une image différente de Nadav et Avihou. Ils paraissent
particulièrement prétentieux et il nous est difficile d'admettre
que ces deux personnages étaient des leaders spirituels.
Une autre source associe leur chute
au fait d'avoir accompli un commandement de la Torah en présence de leurs maîtres, Moshé et Aaron,
sans demander au préalable leur opinion. On peut le voir à travers
le texte :
... ils apportèrent devant l'Eternel un feu étranger qu'Il ne
leur avait pas ordonné (d'apporter)... [Lévitique
10:1]
Jusqu'à présent, nous avons identifié ce "Il" à D-ieu.
Le Sforno suggère qu'il ne s'agit pas de D-ieu, mais de Moshé.
Ainsi, leur faute serait d'avoir apporté un sacrifice sans prélablement
demander à Moshé si cela était opportun.
L'opinion, sans doute la moins élogieuse les concernant, est exprimée
dans ce passage du Talmud :
Moïse et Aaron marchaient, Nadav et Avihou étaient derrière
eux, et tout Israël derrière eux. Nadav dit à Avihou : "quand
ces deux vieux vont-ils mourir pour que toi et moi nous dirigions cette génération?".
D-ieu leur dit alors : "nous verrons qui enterrera qui". [Sanhedrine
52a]
Les avis diffèrent quant à l'identification de la faute, mais
l'image qui ressort de toutes ces sources est celle de deux personnes qui désiraient
tirer le meilleur parti de leur position.
LE DEBUT DE LA FIN
Quelle était l'origine de leur déclin, le commencement de
leur fin?
Au mont Sinaï, avant le don de la Torah, D-ieu donne des instructions à Moshé :
Et à Moïse, (D-ieu) dit : "monte vers l'Eternel, toi et Aaron,
Nadav et Avihou, et soixante-dix des anciens d'Israël, et vous vous prosternerez
de loin"... Moïse monta avec Aaron, Nadav et Avihou, et soixante-dix
des anciens d'Israël. Ils virent le D-ieu d'Israël et sous Ses pieds,
il y avait comme une brique de saphir et comme l'apparence des cieux pour la
pureté. Et vers les nobles des enfants d'Israël, Il (D-ieu) n'envoya
pas Sa main; ils contemplèrent D-ieu, ils mangèrent et burent. [Exode 24:1,9-11]
Ce passage énigmatique peut détenir
la clef qui nous permettra de comprendre l'offense de Nadav et Avihou.
Ils sont séparés du reste de la nation, se trouvant devant les
anciens d'Israël et juste derrière Moshé et Aaron. Ils devaient
certainement déjà penser, avant même le don de la Torah,
qu'ils étaient désignés comme les futurs dirigeants d'Israël.
Aux côtés de Moshé et Aaron, ils étaient aux "premières
loges" et pouvaient mieux que quiconque, contempler la magnificence divine.
Toutefois, le but de cette ascension était de se tenir loin et de se
prosterner. Au lieu de cela, ils restèrent debout et contemplèrent.
Le Midrash souligne le contraste
entre leur comportement et celui de Moshé lorsqu'il
vit le Buisson Ardent :
Rav Hoshéa Rabba dit : 'il est bon que Moïse ait caché son
visage'. Le Saint Béni soit-Il lui dit : 'J'ai voulu Me révéler à toi,
et tu M'as respecté en couvrant ton visage. Par ta vie, tu seras avec
Moi sur la montagne durant quarante jours et quarante nuits sans manger ni
boire, et tu bénéficieras du rayonnement de la Shekhina... ' [Shémot Rabbah 3:1]
Le Midrash déclare que Nadav et Avihou ont abusé de leur position
privilégiée. Au lieu de se prosterner, ou de couvrir leur visage,
ils ont regardé la Divinité.
Moshé, pour avoir détourné son regard, devient semblable à un
ange, n'ayant besoin ni de nourriture ni de boisson. Par contre, Nadav et Avihou, "contemplèrent
D-ieu, ils mangèrent et burent". Étrangement, la conséquence
de cette expérience religieuse extatique fut de boire et de manger.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que la fois suivante où la
Torah mentionne des personnes ayant "bu et mangé", c'est durant
l'épisode du veau d'or! On peut émettre l'hypothèse que
le comportement destructeur manifesté au moment du veau d'or a pour
modèle celui de Nadav et Avihou.
LE VIN D'ADAM ET EVE
Après avoir constaté les méfaits de l'ivresse durant l'épisode
du veau d'or, comment Nadav et Avihou ont-ils pu se permettre de boire à nouveau
durant la cérémonie de consécration, et offrir ainsi un "feu étranger"?
Le Zohar explique que le vin bu
par Nadav et Avihou était le vin que
Noé, mais aussi Adam et Eve, avaient bu!
Cet enseignement suit l'opinion
désignant l'Arbre de la Connaissance
du Bien et du Mal comme étant une vigne, le péché d'Adam
et Eve étant d'avoir consommé ce vin interdit.
Le Leshem, un des plus grands ouvrages
kabbalistiques des dernières
générations, (écrit par Rav Shlomo Elyashiv, grand-père
du célèbre décisionnaire actuel Rav Shalom Yossef Elyashiv),
explique que Nadav et Avihou étaient de grands chefs religieux, et ils
essayaient d'apporter le pardon pour la faute d'Adam. C'est la raison pour
laquelle ils ont utilisé les "raisins d'Adam". Ils souhaitaient
faire pardonner son péché.
Cette dernière explication nous permet de voir Nadav et Avihou sous
un nouvel angle. Ils n'étaient pas, comme nous pouvions le supposer,
des impies égoïstes, mais au contraire des géants spirituels
essayant de réparer le monde.
Reconsidérons leurs actions en ce huitième jour d'inauguration
du Tabernacle. En ce jour, jour qui représente le métaphysique
(le chiffre 8 symbolise ce qui est au-delà de la nature, représentée
par le chiffre 7), leur père est invité à offrir un veau
destiné à expier la faute du veau d'or. Le peuple offrira un
bouc pour expier la vente de Joseph. La seule grande faute qui n'a pas encore été pardonnée
est celle d'Adam et Eve dans le Jardin d'Eden. Si cette faute était également
pardonnée, un Nouveau Monde pourrait voir le jour.
Adam a bu et s'est caché de D-ieu. Nadav et Avihou ont bu après
avoir regardé D-ieu. Au moment de l'inauguration du Tabernacle, quand
le feu céleste est descendu, les enfants d'Israël ont couvert leur
visage, comme l'avaient fait Moshé, Aaron et les Anciens sur le mont
Sinaï. Nadav et Avihou ont estimé que cette génération
avait besoin d'une nouvelle approche, celle qui aurait dû être
exprimée dans le Jardin d'Eden : plutôt que de se cacher de D-ieu,
ils ont préféré "voir" D-ieu et Lui faire face.
Ils ont offert en retour au feu céleste, un feu qui n'a pas été ordonné.
Mais D-ieu les a pris également.
Ainsi, on comprend mieux les différentes opinions décrites précédemment
concernant leur faute : ils voulaient un changement de direction et d'approche
pour cette génération. Cela explique leurs spéculations
de devenir les futurs dirigeants de la nation. Ils s'estimaient investis d'une
mission historique qui allait donner au monde un ordre nouveau, et ils n'avaient
donc ni temps ni énergie à consacrer à une épouse
ou à des enfants.
JUSTE UNE FAUTE
Le Midrash Tan'houma enseigne :
La mort des fils d'Aaron
est mentionnée à quatre reprises et
chaque fois, leur péché est également mentionné,
ceci pour t'enseigner que c'était leur seule et unique faute. [Tan'houma
A'haré Mote 6:6]
Ce Midrash renforce l'idée que Nadav et Avihou n'étaient pas
des impies, des "arrivistes" égocentriques. Ils n'avaient
commis qu'une seule faute. Cette approche nous permet de comprendre les propos
de Moshé adressés à Aaron immédiatement aprés
leur mort :
Moïse dit à Aaron : c'est ce que l'Eternel a dit en disant : Je
serai sanctifié par Mes proches et face à tout le peuple Je serai
honoré; Aaron resta silencieux. [Lévitique 10:3]
Moshé décrit Nadav et Avihou comme ceux qui sont proches de
D-ieu. Rashi précise la pensée de Moshé : "ceux qui étaient
les plus proches de D-ieu". Moshé pensait que lui-même ou
Aaron devait mourir lors de l'inauguration du Tabernacle, mais finalement les âmes
qui ont été rappelées étaient celles de Nadav et
Avihou. Selon le Midrash cité par Rashi, Moshé dit alors à Aaron "Et
maintenant je vois qu'ils étaient plus grands que toi et moi".
Bien sûr, on pourrait dire que Moshé cherchait simplement à réconforter
son frère, et ses mots étaient comme une oraison funèbre.
Mais c'eût été contraire au caractère de Moshé,
symbole de vérité. De plus, un autre verset dans Shemot semble
confirmer les propos de Moshé :
"
Je Me révèlerai là-bas aux enfants d'Israël, et (le
Tabernacle) sera sanctifié par Ma gloire". [Exode
29:43]
Rashi, en citant le Midrash, explique
qu'il ne faut pas lire "par Ma
gloire" mais "par ceux qui M'honorent", en faisant référence à Nadav
et Avihou :
Ne lis pas "par Ma gloire" mais "par Mes honorés" c'est-à-dire
par ceux des Miens les plus respectables. Ici (l'Eternel) lui fait allusion à la
mort des fils d'Aaron, le jour où fut dressé (le Tabernacle)
et c'est ce qu'a dit Moshé : "c'est ce que l'Eternel a dit quand
Il a dit : par ceux qui Me sont proches Je serai sanctifié".
Selon le Midrash, Moshé savait que l'inauguration du Tabernacle coûterait
la vie à un grand personnage, un des dirigeants du peuple. Effectivement,
deux des leaders ont perdu la vie. Le texte précise "devant D-ieu".
Nadav et Avihou sont morts tout près de D-ieu si l'on peut s'exprimer
ainsi. Leur âme était complète.
PARALLÈLES
FASCINANTS
Selon un
enseignement mystique, connu sous le nom de Sod Ha'Ibour, l'âme
peut investir un autre corps afin de réaliser une grande action. Il
ne s'agit pas du principe de réincarnation, où l'âme a
besoin d'être perfectionnée, complétée. Dans le
Sod Ha'Ibur, l'âme est complète, mais "l'hôte" a
besoin d'une élévation spirituelle. Le Ari zal enseignait que
Nadav et Avihou étaient entrés dans le corps de Pin'has lorsqu'il
a affronté Zimri. (voir le chapitre 25 de Bamidbar).
Quelle est l'origine de cet enseignement?
Comme nous l'avons vu précédemment,
une des raisons pour lesquelles ils sont morts, c'est d'avoir agi sans se référer
auparavant à leur maître Moshé. Pin'has, lui aussi, a agi
sans consulter Moshé (mais dans son cas, c'était ce qu'il fallait
faire). On nous enseigne aussi que Pin'has, c'était Eliya (le prophète
Elie), tous les deux partageaient la même âme.
En regardant de plus près le comportement d'Elie, on trouve quelques
parallèles intéressants avec Nadav et Avihou. L'épisode
probablement le plus célèbre de la vie d'Elie a été la
confrontation avec les faux prophètes sur le mont Carmel. Là-bas,
le prophète Elie offrit un sacrifice, en dehors du Temple, un véritable "feu étranger".
Un feu céleste consuma alors le sacrifice du prophète Elie, et
les faux prophètes perdirent ainsi leur confrontation.
Le parallèle avec Nadav et Avihou et le feu descendant du ciel est
fascinant, mais à une différence près : Elie accomplissait
l'ordre de D-ieu.
Elie s'avança en disant : "Eternel! D-ieu d'Avraham d'Isaac et
d'Israël! qu'il devienne manifeste aujourd'hui que Tu es la divinité d'Israël,
que je suis Ton serviteur, et que c'est par Ton ordre que j'ai fait toutes
ces choses [Rois I 18:36]
La suite du texte est également très intéressante
:
Le feu de l'Eternel jaillit alors, consuma la victime, le bois,
les pierres, la terre, et absorba l'eau de la tranchée. Tout le peuple à cette
vue tomba sur sa face et s'écria : "L'Eternel est le vrai D-ieu!
L'Eternel est le vrai D-ieu!"...Puis, Elie dit à A'hav (roi d'Israël
qui s'adonnait au culte de Baal) : "Va, mange et bois" [Rois I, 18:38-41]
Elie est monté au ciel dans un tourbillon de feu, transporté par
un char de feu, attelé de chevaux de feu (Rois II, 2:11). Dans la tradition
juive, Elie est devenu un ange, et rend visite à chacun d'entre nous,
le soir du seder de Pessa'h. Lorsqu'il entre et prend une petite gorgée
de vin, il nous rappelle que la délivrance est imminente, et que pour être
délivré nous devons obtenir le pardon pour la faute d'Adam et
Eve, d'avoir bu le vin des raisins interdits. Il nous rappelle ainsi l'enseignement
de Nadav et Avihou.
Le plan originel de D-ieu lorsqu'il
a créé l'homme, était
d'établir avec ce dernier un "partenariat". Lorsque Adam s'est
intoxiqué, ses capacités créatrices se sont altérées.
Nadav et Avihou ont cherché non seulement à expier cette faute,
mais aussi à rétablir le partenariat. Ils espéraient remonter
le temps, revenir au moment qui précédait la faute, en impliquant
D-ieu de façon active et en retrouvant le pouvoir et la créativité de
l'homme.
Ce fut l'attitude de Pin'has lorsqu'il
a "défendu" D-ieu.
Il devint actif, indépendant et un partenaire de la Volonté divine.
Finalement, sur le mont Carmel, Elie accomplit le partenariat le plus parfait
avec D-ieu et Sa volonté, et ayant réalisé sa mission,
la mission de Nadav, Avihou et Pin'has, il put monter au ciel, totalement accompli.