Le thème principal de Vayikra est celui des korbanot, les "sacrifices".
Le concept même de "sacrifice" peut paraître surprenant.
En effet, si le Judaïsme croit en un D-ieu Tout-Puissant et Transcendant,
quels peuvent être alors l'intérêt et le but du korbane?
Après tout, pourquoi D-ieu, maître de l'Univers, aurait-Il besoin
de nos sacrifices?
La réponse est claire : D-ieu n'a pas "besoin" de ces sacrifices.
Alors, pourquoi la Torah nous ordonne-t-elle d'offrir des sacrifices, et pourquoi
la Torah décrit-elle ce rituel avec autant de détails?
Maïmonide, dans son livre "le Guide des Egarés", donne
une explication 'rationnelle' concernant les sacrifices : les Juifs, influencés
par d'autres cultures, s'étaient accoutumés à ce type
de croyance et de rituels devenus incontournables, avec toutes leurs déviations
possibles (sacrifices humains ou autres). Plutôt que de permettre ces
rites païens, la Torah préfère légiférer et
ordonne aux hommes d'apporter des sacrifices. D-ieu, quant à Lui, n'a
aucun besoin de ces sacrifices.
Cette interprétation permet de répondre à la question
initiale : "Pourquoi les sacrifices?". Mais elle laisse un "goût
d'insatisfaction", car si les sacrifices étaient simplement un
arrangement, une commodité pour répondre au niveau relativement
bas de la communauté d'alors, pourquoi dans ce cas, la Torah traite-t-elle
ce sujet avec autant de détails?
En outre, pourquoi ces lois auraient-elles
perduré durant le Deuxième
Temple, alors que les Juifs ne subissaient aucune influence païenne, et
avaient quitté l'Egypte depuis si longtemps que la civilisation et les
rituels de l'Egypte antique n'avaient plus d'emprise sur eux?
Finalement, la réponse de Maïmonide ne fait que soulever des interrogations
supplémentaires. De plus, Maïmonide lui-même, dans l'un de
ses ouvrages, le Mishné Torah, fait référence aux sacrifices
comme étant un 'Hok, une loi irrationnelle, qui n'a aucune explication.
En en donnant une, Rambam se contredit lui-même!
UNE VUE DIFFERENTE
Na'hmanide, dans son commentaire sur la Torah, attaque cette approche avec
vigueur, arguant principalement que les sacrifices sont bien antérieurs à l'influence
païenne. Le sacrifice de Caïn en est un parfait exemple. De plus,
le korbane est décrit comme "plaisant" à D-ieu. Si
le sacrifice n'était qu'une simple concession à une nature
humaine fragile, en quoi ce sacrifice serait-il alors plaisant aux yeux
de D-ieu?
Nous pourrions avancer que D-ieu regarde non pas le korbane,
mais plutôt
ce qu'il représente : un moyen pour l'Homme de rechercher une relation
avec Lui. Mais cet argument semble contredire les versets traitant des sacrifices.
La position de Na'hmanide est la
suivante : les diverses actions nécessaires à l'homme
pour l'accomplissement des sacrifices sont étroitement liées
aux différents aspects qui lui sont indispensables pour être pardonné :
L'aspect le plus dramatique, l'aspersion du sang, est là pour rappeler à l'homme
qui a fauté, et qui apporte ce sacrifice que c'est son propre sang qui
aurait dû couler. Ce n'est que la miséricorde divine qui va permettre à cette
personne d'obtenir le pardon. Selon cette approche, ce n'est pas D-ieu qui "a
besoin" du sacrifice, mais plutôt l'Homme qui a besoin d'être
réhabilité.
Le sang de l'animal qui est aspergé est aussi une évocation
frappante de la vulnérabilité de l'Homme. Cette expérience
de "côtoyer la mort" est censée être une impulsion
pour l'élévation spirituelle, invitant l'homme à sacrifier
l'animal qui est en lui, et qui l'a entraîné à fauter initialement.
Selon cette approche, le korbane est
une puissante expérience cathartique,
purificatrice qui tient compte de l'aspect psychologique de l'Homme.
SACRIFICES ET LE NOM DE D-IEU
Après avoir donné cette explication Na'hmanide écrit
:
Mais la véritable réponse (Kabbalistique) des korbanot est insaisissable
concernant les korbanot : le nom de D-ieu qui est exclusivement utilisé à propos
des korbanot, n'est pas "El" ni "Elokim".... mais plutôt "Youd
Ké Vav
Ké", le nom unique... pour que personne ne vienne à penser
que le korbane sert à "nourrir" D-ieu.
Na'hmanide nous rappelle que le
nom "Youd Ké Vav
Ké" se
rapporte à l'aspect transcendant de D-ieu; c'est le nom qui indique
que D-ieu est au-delà de l'entendement humain. La Torah utilise ce nom
en faisant référence aux "korbanot" -- et ce, à l'exclusion
de tout autre nom de D-ieu -- soulignant l'incongruité de l'idée
selon laquelle les sacrifices sont faits pour les "besoins de D-ieu".
De plus, le nom de Elokim évoque plutôt un D-ieu de Justice, un
concept que l'esprit humain peut saisir. Si ce nom de D-ieu avait été utilisé pour
les sacrifices, on aurait pu être tenté de croire qu'un "dessous
de table" était possible. Mais lorsque nous constatons que les
sacrifices ont été ordonnés par "Youd Ké Vav
Ké", nous réalisons qu'aucun "pot-de-vin" ne peut être
possible.
De plus, "Youd Ké Vav
Ké" -- le nom qui évoque
unicité et intemporalité -- veut dire "l'Eternel",
soulignant que D-ieu existe en dehors du Temps. Ceci peut nous aider à résoudre
une interrogation évidente concernant le principe même du pardon
et de la rédemption : si un homme a fauté hier, et se repent
aujourd'hui, comment son attitude actuelle peut-elle annuler ce qu'il a fait
hier?
Si nous comprenons que D-ieu existe
en dehors du Temps -- en effet, D-ieu a créé le Temps -- quand nous essayons de rétablir une
relation avec D-ieu, le temps n'est qu'un simple paramètre.
Quand l'homme se connecte au D-ieu
transcendant, "hier" devient
limité face à la perspective humaine qui ne le confine plus.
REPENTANCE, RETOUR
ET RÉDEMPTION
C'est le mystère du "repentir", de la Téshouva (qui
signifie littéralement "retour"), et du pardon. L'Homme
qui se repent, retourne vers D-ieu, et D-ieu lui pardonne.
Ceci explique également pourquoi
le mot korbane est dérivé de
la racine "Kouf Résh Véth", du mot "karev",
qui signifie "se rapprocher". Le korbane est l'acte qui permet à l'Homme
de se rapprocher de D-ieu. La Téshouva n'est pas simplement un retour à D-ieu,
elle est également un retour sur soi, un retour au potentiel de l'Homme,
un retour à l'image de D-ieu qui est en chacun d'entre nous. Quand l'Homme
se repent, il retourne au coeur du divin qu'il y a en lui, à cette image
de D-ieu - Tsélem Elokim - qui constitue son essence.
L'importance du korbane repose
sur la réhabilitation de l'Homme, et
c'est le but recherché. Le judaïsme est une religion qui donne
de l'importance à la vie d'un animal. Le sacrifice d'un animal n'est
pas un témoignage de mépris vis-à-vis des animaux. C'est
une expression de l'importance de la vie humaine : si le prix à payer
pour la réhabilitation d'une personne est la vie d'un animal, alors
ce n'est pas un prix élevé. La solution se trouve dans la réhabilitation
de l'Homme, dans sa découverte de l'image de D-ieu qui est en lui.
Tout comme D-ieu est compatissant,
l'Homme doit être compatissant. Les
gens, cependant, ont une tendance au paganisme, et au lieu de réaliser
un réel et profond changement, ils préfèrent souvent "payer
le prix" financièrement, sans procéder à un changement
interne.
A cause de ce type de comportement, le Temple a été détruit.
Le prophète Osée, parlant au nom de D-ieu, l'a dit clairement
:
"
C'est que Je prends plaisir à la Générosité et
non au sacrifice, Je préfère la connaissance de D-ieu aux
holocaustes." [Osée
6:6]
LA VERITABLE RAISON
Les sacrifices ont été prévus en tant que moyens pour
une fin, un chemin pour trouver son propre "Tsélém Elokim".
Ils étaient censés être la clef qui permettrait à l'Homme
vacillant de se ressaisir, et non une sorte de rituel magique permettant de
calmer un D-ieu en colère.
La Torah, avec son intérêt universel, ordonna les sacrifices
pour que l'expérience religieuse profonde qui était vécue
dans le Temple avec ce sacrifice puisse servir de référence dans
la vie de chacun.
Le judaïsme est une philosophie "religieuse" qui concerne les
domaines à la fois "spirituels" et "matériels".
L'expérience du korbane dans le Temple avait pour objectif d'avoir
un effet de "débordement", affectant chaque aspect de nos vies.
A tel point que lorsque les gens ont compartimenté la religion, plaçant
le rituel au-dessus des préoccupations sociales et morales, le Temple
est dès lors devenu un obstacle plutôt qu'un lieu de salut.
Ce point est clairement mis en évidence par une histoire tragique racontée
dans le Talmud. C'est l'histoire de deux prêtres qui ont fait la course
pour assurer le service divin. L'un d'entre eux a précédé son
ami, et ce dernier a alors enfoncé un couteau dans la poitrine de son
collègue. Il aurait aussi bien pu "poignarder" le Temple lui-même,
car cette histoire décrit clairement une mauvaise utilisation et une
totale incompréhension de la vie religieuse.
Le Temple doit être le symbole de la vie religieuse et non un substitut à une
vie morale. C'est parce que l'Homme s'éloigne de lui-même et de
D-ieu que les sacrifices sont nécessaires. Ceci pour rappeler à l'homme
sa mortalité d'une part, et sa mission de réparer le monde d'autre
part.
L'Homme doit se rappeler que D-ieu
n'a aucun besoin, et que le but de l'Homme sur cette Terre est de forger
un lien avec D-ieu, ce qui peut être accompli
en "imitant" D-ieu. Quand nous échouons dans notre mission,
nous pouvons tenter de nous rapprocher de D-ieu en apportant des sacrifices,
mais ceci ne sera efficace que si nous essayons d'apporter plus de lumière
Divine dans le monde.
Comment? En révélant l'image de D-ieu qui est en nous, et en
dévoilant l'image de D-ieu qui se trouve en chaque être humain.
Comme D-ieu Lui-même nous
l'a dit il y a fort longtemps :
"
C'est que Je prends plaisir à la générosité et
non au sacrifice, Je préfère la connaissance de D-ieu aux
holocaustes." [Osée
6:6]