Un des principaux sujets de cette
parasha traite d'une maladie affectant la peau appelée "tsara'at", qui est souvent traduite par lèpre,
mais les commentateurs nous disent qu'il ne s'agit pas de la lèpre telle
qu'elle est définie de nos jours.
Cette lèpre est de nature spirituelle, et par conséquent, ce
n'est pas un médecin qui guérira cette maladie, mais un "docteur
de l'âme", un spécialiste du spirituel : le Cohen, le prêtre.
L'origine "spirituelle" de la tsara'at est la calomnie. La personne
est atteinte de cette affection, car elle a tenu des propos diffamatoires.
Le terme métsorâ (lépreux) est lié à l'expression "motsi
shem râ" (littéralement qui sort un nom mauvais), qui décrit
l'exemple type d'un propos diffamatoire. Le Talmud établit cette relation
de façon explicite :
Que signifie "Et ceci sera la loi du Métsorâ"?
Ceci sera la loi de celui qui sort un nom mauvais (propos calomnieux). [Arakhin
15b]
Il y a deux parashiot dans la Torah où nous pouvons observer cette association "Lashon
Harâ - Tsara'at", la plus évidente étant celle où Myriam
critiquant Moshé est immédiatement atteinte de lèpre :
Myriam et Aaron parlèrent de Moshé, à propos de la femme
kouchite qu'il avait prise,....et voici Myriam était atteinte de "Tsara'at" (lèpre). [Les Nombres, 12:1,10]
L'autre passage mettant en relief
cette relation "médisance-lèpre",
c'est l'épisode du buisson ardent, au cours duquel Moshé lui-même
a été victime de cette affection. Après avoir affirmé que
le peuple Juif ne le croira pas lorsqu'il déclarera être un envoyé de
D-ieu, il lui est demandé de mettre sa main "dans son sein".
Quand il la ressort, elle est recouverte de lèpre, et ce, parce qu'il
a tenu des propos calomnieux envers le peuple Juif :
Moshé répondit et dit : 'Mais ils ne me croiront pas et ils n'écouteront
pas ma voix,.....Il mit sa main dans son sein, il la sortit et voici sa main était
lépreuse (Métsora'at). [Exode, 4:1,6]
LES ORIGINES DE LA PAROLE
Une question se pose alors : pourquoi la calomnie devrait-elle avoir un
effet si direct sur son auteur? Pour répondre à cette
question, nous devons nous pencher sur l'origine de la parole.
L'Eternel D-ieu façonna l'homme [de] la poussière de la terre,
Il insuffla dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint une âme
vivante.[Genèse 2:7]
Le Targoum traduit "nefesh 'Haya" "une personne vivante" par "roua'h
memalela" "un esprit doté de parole". Selon cette approche,
la faculté de parler résulte de la fusion chez l'homme, du physique
et du spirituel. Parmi les espèces de la Création, seul l'homme
est doté de cette capacité, une conséquence directe du
fait que l'homme a une âme (néshama).
La parole avait déjà fait son apparition dans la Genèse.
D-ieu Lui-même utilise la parole pour "créer" le
monde :
Et D-ieu dit que la lumière soit, et la lumière fut [Genèse
1:3]
La Mishna l'enseigne explicitement :
Par dix paroles, le monde a été créé [Avot 5:1]
Ainsi, D-ieu "parle" pour créer, et donc l'homme, créé à l'image
de D-ieu, est lui aussi doté de cette capacité de parler.
L'homme parle pour la première fois lorsqu'il nomme les animaux. Ainsi,
nous pouvons observer que le pouvoir créateur de l'homme n'est pas celui
de D-ieu. D-ieu crée à partir du néant, par Sa seule Parole,
alors que l'homme crée certes par la parole des catégories et
des noms d'animaux, mais à partir d'éléments déjà existants.
Les capacités créatrices de l'homme diffèrent bien évidemment
de celles de D-ieu, mais nous pouvons en déduire que la parole de l'homme
est une "activité divine".
La première fois que la parole est utilisée à mauvais
escient, c'est bien sûr lors du fameux et sinistre discours tenu par
le serpent dans le Jardin d'Eden. C'est donc l'archétype du Mal et plus
particulièrement l'exemple même d'une parole mal utilisée.
La réponse de D-ieu face au péché de l'homme peut être
mieux comprise quand on mesure la sainteté de la parole. Après
avoir mangé de l'arbre de la connaissance, l'homme ressent le besoin
de se cacher de D-ieu. De Son côté, D-ieu essaye d'engager un
dialogue avec l'homme, afin de lui permettre de reconnaître sa culpabilité.
"Où es-tu?" demande
D-ieu à l'homme, verset sur lequel
Rashi commente :
"
Où es-tu?": (D-ieu) savait évidemment où il (Adam) était.
C'était plutôt pour engager le dialogue avec lui, et ce, afin
qu'il ne soit pas effrayé de répondre. [Rashi Bereshit 3:9]
Ce n'est qu'après avoir refusé d'admettre son erreur, après
avoir blâmé sa compagne, ou peut-être D-ieu Lui-même
pour lui avoir donné cette compagne, que l'homme est expulsé du
Jardin d'Eden.
Les lois du repentir stipulent la
nécessité d'exprimer et de
reconnaître ses péchés. (voir Maïmonide, "les
lois de la Teshouva"). A la lumière de notre analyse, ceci est
une condition nécessaire pour permettre à l'homme de redevenir "à l'image
de D-ieu".
LA FAUTE DES EXPLORATEURS
Le peuple d'Israël était coupable de nombreuses transgressions
durant les quarante années passées dans le désert. Au
cours des premiers mois qui ont suivi la sortie d'Egypte, à de nombreuses
occasions les Juifs se sont rebellés, mais une faute se détache
de toutes les autres : la faute des explorateurs.
Le Zohar explique :
Venez voir à quel point le discours calomnieux est insidieux : à cause
de lui, nos ancêtres se sont vu interdire l'entrée en Terre d'Israël,
et à cause de lui on pleure depuis de nombreuses générations. [Zohar 3, 161a]
Les explorateurs ont fauté, car ils ont critiqué la Terre d'Israël.
D-ieu a pardonné aux Juifs de nombreuses transgressions, y compris
la faute du veau d'or. Mais pour avoir dit du mal de la Terre d'Israël,
les Juifs seront punis pendant des millénaires!
Le Zohar explique que ce péché de Lashon Harâ (propos
accusateurs), est précisément le péché du serpent,
et D-ieu pardonnera tout, excepté le péché du Lashon Harâ (ibid
Zohar).
Le Zohar ajoute que le 9 Av, jour
où les explorateurs sont revenus
et ont conseillé aux autres Juifs de ne pas entrer en Terre d'Israël,
est devenu le jour le plus triste du calendrier hébraïque, et tout
cela à cause du Lashon Harâ.
On peut supposer que si les explorateurs
n'avaient pas tenu de tels propos, et si les Juifs ne les avaient pas écoutés et crus, alors les
Juifs seraient immédiatement entrés en Israël. Malheureusement,
cette génération va mourir dans le désert, et l'entrée
en Terre d'Israël va être retardée de 40 ans.
Il est cependant possible de trouver
une signification bien plus profonde à cet épisode.
Rabbi Yisraël Meier Kagan, dans son monumental ouvrage "'Hafets 'Haïm" --
qui lui a d'ailleurs donné le nom sous lequel il est davantage connu
-- analyse deux passages du Talmud.
Le premier passage met en relation
les causes de la destruction du premier et du deuxième Temple. Le premier Temple a été détruit
(le 9 Av) à cause de l'adultère, du meurtre et de l'idolâtrie,
tandis que le deuxième temple a été détruit (le
9 Av également) à cause de la haine gratuite. Par conséquent,
comme le stipule le Talmud, nous voyons que la haine gratuite est égale à la
combinaison des trois autres crimes!
Le premier Temple,
pourquoi a-t-il été détruit? A cause
de trois choses : l'idolâtrie, les relations interdites et le meurtre...
Mais le deuxième Temple, où l'on s'adonnait à l'étude
de la Torah, à la pratique des Mitsvot et aux bonnes actions, pourquoi
a-t-il été détruit? C'est parce qu'il y avait de la haine
gratuite. Cela vient t'enseigner que la haine gratuite équivaut aux
trois péchés : idolâtrie, relations interdites et meurtre. [Yoma 9b]
Par ailleurs, dans une autre discussion,
le Talmud enseigne que le Lashon Harâ est équivalent à l'adultère, le crime et l'idolâtrie.
Par conséquent, le 'Hafets 'Haïm en conclut que le Lashon Harâ est
identique à la haine gratuite. Ceci est compréhensible car le
point de départ de la médisance est la haine gratuite.
Le Lashon Harâ étant comparable à l'association des trois
fautes majeures (adultère, crime et idolâtrie), mais aussi à la
haine gratuite, on comprend alors pourquoi le Zohar déclare que le Lashon
Harâ a été la cause du fait que le 9 Av devienne un jour
de pleurs, et ce durant des générations.
L'ANTIDOTE
Le
Talmud propose des remèdes au Lashon Harâ :
Quel remède pour celui qui prononce du Lashon Harâ? S'il est érudit,
qu'il s'investisse dans (l'étude de) la Torah... et s'il est ignorant,
qu'il fasse preuve d'humilité (littéralement : qu'il abaisse
son savoir)." [Arakhine 15b]
Quand une personne fait du Lashon
Harâ, elle utilise sa "bouche" et
sa parole à mauvais escient, alors que celles-ci ont été données
pour parler de Torah. La thérapie consiste à corriger ce défaut
et à dépenser son énergie dans la Torah. L'ignorant devrait
bien sûr lui aussi s'investir dans l'étude de la Torah, mais en
attendant qu'il y parvienne, il doit faire preuve d'humilité.
En quoi l'humilité va-t-elle l'aider? Si le Lashon Harâ trouve
ses racines dans la haine gratuite, alors quand une personne devient humble,
elle évite la jalousie qui mène à la haine gratuite.
C'est par la parole que l'homme
se distingue de toutes les créatures.
La parole naît de la fusion du corps et de l'âme. Parler, c'est
prendre du Divin et l'introduire dans ce monde. Voilà pourquoi la mauvaise
utilisation de la parole est si grave. Le péché du Lashon Harâ ternit
l'image de D-ieu qui est en nous.
En outre, parler de quelqu'un d'une
façon négative équivaut à rejeter
l'image de D-ieu qui est en lui. Par conséquent, nous pouvons dire que
le Lashon Harâ est la mauvaise utilisation de notre divinité qui
aboutit au rejet de la divinité qu'il y a en l'autre et finalement au
rejet de D-ieu Lui-même.
Il n'est pas surprenant que le Temple
ait été détruit à cause
du Lashon Harâ.
Cette prise de conscience de la
sainteté de la parole nous permettra
de mieux comprendre un autre passage de la Torah. Quand le peuple se plaint
de ne plus avoir d'eau, D-ieu dit à Moshé :
"
...Parlez au rocher devant leurs yeux et il donnera de ses eaux... Moïse éleva
sa main et frappa le rocher avec son bâton... Et D-ieu dit à Moïse
et Aaron : 'parce que vous n'avez pas cru en Moi pour Me sanctifier aux yeux
des enfants d'Israël, vous n'amènerez pas cette nation vers le
pays que Je leur ai donné." [Les Nombres 20:8-12]
Quelle grande faute Moshé et
Aaron ont-ils commise?
D-ieu leur a demandé de parler au rocher, pour sanctifier D-ieu par
la parole. S'ils l'avaient fait, cela aurait réparé la faute
de Lashon Harâ commise par les explorateurs. Mais ils ne l'ont pas fait,
et ils ont perdu l'occasion d'entrer en Terre d'Israël.
Nous comprenons maintenant pourquoi
le "métsorâ", "le
lépreux" devait venir devant le Cohen pour guérir.
Le rôle d'Aaron, en tant que Cohen Gadol (grand prêtre), était "d'aimer
la paix et de la rechercher." La personne coupable de Lashon Harâ devait
passer un certain temps avec le Cohen afin d'apprendre à aimer. Les
Sages expliquent également que les divers rites prescrits ont pour objectif
de développer l'humilité.
De plus, nous pouvons comprendre
pourquoi nos Sages précisent que le
Lashon Harâ affecte également les maisons, recouvertes elles aussi
de lèpre. Ceci semble nous enseigner que si nous ne faisons pas attention,
et pratiquons le Lashon Harâ et la haine gratuite, alors la maison de
D-ieu sera également atteinte.
Dans une année non embolismique, cette parasha est lue après
Pessa'h. Cette période, où nous faisons le Compte du Omer, est
marquée par le deuil relatif à la disparition de plusieurs milliers
d'élèves de Rabbi Akiva qui ne se respectaient pas les uns les
autres.
C'est peut-être le moment idéal pour penser à la valeur
de chaque personne, à l'image de D-ieu qui est en chacun de nous, et
pour utiliser notre parole de façon appropriée, dans le domaine
qui lui est destiné : la Torah.