La Tradition enseigne que la prière
de l’après-midi, connue sous le nom de Min’ha, a
été initiée par le fils d’Abraham, Its’hak
, le second de nos Patriarches.
La totalité du texte de la
prière de Min’ha est extraite de la prière de Cha’harit
mot pour mot. La seule différence entre les deux est que Min’ha
est plus courte. Toutefois les approches de nos Sages vis-à-vis de ces
deux prières sont tellement différentes, que nous pouvons parler
d’elles comme du noir et du blanc.
LA PRIERE D’ITS’HAK
Nos Sages décrivent la prière du matin, qui a été
créée par Abraham, comme celle où l’on se tient debout
devant D.ieu. Voici comme ils décrivent la prière de Its’hak
:
Its’hak a établi la prière de l’après-midi,
comme il est écrit : [Genèse 24:63] : « Its’hak
sortit pour méditer – lasouah, qui signifie en hébreu converser
– dans le champ, vers le soir » "Converser" signifie
prier, comme il est écrit : [Psaumes 102:1] : « Prière
d’un malheureux qui se sent défaillir et répand sa plainte
– si’ho devant l’Eternel » (si’ho, a la même
racine en hébreu que converser).
Avec la prière du matin, Abraham se tient fièrement devant D.ieu,
comme le portrait vivant d’un homme majestueux. Il prie au matin et formule
sa prière en terme de quasi-demande. L’image de la position d’Its’hak,
en prière est celle d’une personne au bord de l’anéantissement
; il prie en début de soirée, à la fin de la journée
; sa prière a le goût de l’échec lamentable de celui
qui sollicite une aide. Il ne peut même pas rassembler l’énergie
pour quémander d’une manière structurée ; il déverse
simplement son cœur sous forme de conversation désorganisée.
Un si grand contraste entre un père et son fils dans l’approche
du Tout-Puissant mérite une explication !
LE LIEN AVEC LA FIN
La prière juive est centrée sur la réparation des “brisures
du monde” et le rattachement à D.ieu. Il est évident que
si le monde requiert un rattachement, il doit être rattaché à
D.ieu non seulement à son début mais aussi à sa fin.
Pour comprendre ce que nous entendons par “fin du monde”, nous devons
examiner les quelques principes fondamentaux du judaïsme qui sont, sans
aucun doute, familiers à la plupart des lecteurs. Le judaïsme enseigne
que le monde, comme nous le savons, culminera avec la Te’hiyat Hamétim
(ou la Résurrection des Morts), faisant suite au jour du Jugement
Final. Ceux qui passeront avec succès le Jugement Final entreront dans
le Monde Futur. En revanche, ceux qui échoueront se verront y refuser
l’entrée et tomberont dans l’oubli. Ainsi, vous n’aurez
pas d’autre monde où aller si vous ne parvenez pas à rejoindre
le Monde à Venir.
Abraham est le symbole du premier homme dont la tâche était de
re-lier le monde à D.ieu au niveau où il était à
sa création ; Its’hak est le symbole du dernier homme, qui s’est
vu confier la mission de rattacher le monde au niveau où le monde, tel
que nous le connaissons, finit ; et où l’histoire humaine entre
dans l’ère du Jugement et de la récompense. Le fait qu’Its’hak
ait composé la prière de l’après-midi qui est récitée
alors que la lumière s’estompe au crépuscule, nous apprend
qu’il faut appréhender chaque journée comme une «
mini-création ». La « mini-création » de chaque
jour arrive à son terme au crépuscule et le monde retourne à
D.ieu, Son Créateur. Le crépuscule est le moment de la journée
qui correspond à l’ultime Jugement.
Les Sages attribuent à Its’hak un statut vraiment particulier ;
il est le seul être dans l’histoire de l’humanité qui
soit mort, soit entré dans le monde de la Résurrection et qui
en soit revenu. Its’hak est la personnification de l’homme ressuscité.
Comme les Sages l’expliquent : Rabbi Yehouda dit : lorsque le couteau
a touché le cou d’Its’hak [au cours de son sacrifice], son
âme s’est échappée du corps. Quand la Voix est sortie
d’entre les Chérubins et a ordonné, « N’envoie
pas ta main contre le jeune homme… » son âme a réintégré
son corps, et Its’hak s’est tenu debout sur ses pieds, et a réalisé
que finalement les morts ressusciteront. Il déclara, « Béni
sois-Tu, Ô Seigneur, qui ressuscite les morts ». [Pirkei De
Rabbi Eliezer, 30].
Son statut de ressuscité procure la clé qui dévoile le
secret de Min’ha, la prière de Its’hak. Its’hak prie
comme une personne qui est morte sur l’autel et qui a retrouvé
la vie ; il a personnellement fait l’expérience du retour de la
mort et du jugement qui la suit. Son retour dans notre monde atteste de l’existence
de la Résurrection et du face-à-face inévitable avec le
jugement final. Cela nous enseigne ainsi le passer avec succès.
Si Abraham est le Patriarche du but, Its’hak est le Patriarche de la destinée.
Sa prière est récitée à la fin du jour parce qu’elle
a un lien avec les sujets qui surviennent lorsque la vie se termine. La route
vers le jour du Jugement passe par la prière de Min’ha qu’Its’hak
a instituée.
LE JOUR DU SALAIRE
Il n’est pas étonnant que la prière d’Its’hak
soit décrite comme « le cœur jaillissant du pauvre ».
Its’hak parle du « jour du salaire ». Il nous rappelle que
l’univers où nous sommes est un lieu de travail. Nous devons utiliser
le temps qui nous est attribué ici-bas pour établir un espace
où se « tenir » dans l’éternité. Nos
actions vont forcément donner lieu au bout du compte à une évaluation.
A jour viendra, où chaque âme humaine aura reçu l’occasion
de faire son travail, c’est alors que D.ieu fermera définitivement
le monde de travail où nous résidons, et tous les êtres
humains s’aligneront pour faire face au jugement et recevoir leur récompense.
Le Jour du Jugement est un jour difficile. Nous connaîtront tous nos défauts,
et ressentirons à la fin d’une journée simple, comme à
la fin d’une vie, que nous avons bien profité de la plupart des
opportunités qui nous ont été offertes. Quelques-uns d’entre
nous sommes prêts à déclarer comme Frank Sinatra d’un
air suffisant que « mes regrets sont trop peu nombreux pour être
mentionnés » parce que « j’ai suivi ma route. »
Quand vient le moment de faire face au jugement, l’image de l’ «
homme pauvre » nous va très bien. Personne n’a le cran de
faire face à l’intense examen minutieux de la justice divine avec
suffisance ; nous avons tous un besoin désespéré d’être
rassurés.
LE PRINCE ET LE PAUVRE
Mais tout cela est d’un niveau bien trop élevé ; portons-y
un regard plus humain.
Un juif a deux côtés spirituels opposés. D’un côté,
il est la continuation d’Abraham : un être d’une immense stature,
le dépositaire d’un grand pouvoir spirituel. L’univers a
été créé pour lui, et il en dessine les contours
à travers la force de ses actions. D.ieu lui a donné le libre
arbitre, et son potentiel pour la grandeur est illimité. Tous les Juifs
sont les enfants d’Abraham et nous avons tous hérité de
sa capacité d’être un héros. Nous avons la capacité
de d’échanger avec D.ieu pendant la prière du matin.
D’un autre côté, il y a le revers psychologique de ce sentiment
de grandeur. C’est le moment où nous ressentons que nous avons
hérité du lourd fardeau d’avoir à respecter un héritage
spirituel conçu pour les héros. Nous sommes les dépositaires
vivants d’une quantité de traditions écrasantes et d’obligations
transmises par les générations précédentes, que
nous le voulions ou non. Au cours de notre longue histoire, de nombreux Juifs
ont tenté d’échapper au fardeau de cet héritage ;
leurs efforts n’ont en général pas été couronnés
de succès.
En effet, si notre histoire ensanglantée nous a appris quelque chose
; c’est que nous ne pouvons arrêter de porter le fardeau d’être
Juif. A chaque fois que nous avons essayé de nous en libérer,
de nombreuses tragédies en ont inévitablement résultées.
Nous sommes contraints par le destin, à être courageux.
A notre époque, un nombre de plus en plus important de Juifs semble avoir
intériorisé cette leçon et portent les responsabilités
de nos traditions de plein gré. Pour la première fois dans l’histoire
juive, il y a un grand mouvement de Juifs qui reviennent à leurs traditions.
Mais, alors même que nous acceptons le défi d’assumer à
nouveau la responsabilité de porter nos traditions, nous sommes conscients
de la difficulté d’atteindre l’accomplissement spirituel
des grands Juifs des générations précédentes. Le
Talmud dans le traité de chabbath 112b nous dit bien : « Si
nous considérons les premières générations comme
des anges, alors nous pouvons nous considérer comme des hommes, mais
si nous les voyons comme des hommes, alors nous devons nous considérer
comme des ânes… » .
La prière du cœur est un moyen pour relier tous les niveaux de sa
conscience à D.ieu. Au moment où nous formulons une prière
qui exprime notre état d’inspiration, nous nous sentons comme des
héros prêts à affronter n’importe quel défi
spirituel avec enthousiasme. C’est pourquoi nous devons également
dire une prière qui nous permette de nous connecter avec D.ieu alors
que nous nous sentons incapables de réaliser la tâche que nous
avons sur les épaules. Nous avons besoin de Min’ha autant
que de Cha’harit.
ACCOMPLIR LES VISIONS
Abraham et Its’hak agissaient sur les côtés opposées
de cette ligne de partage aux niveaux de notre conscience.
Abraham est la personnification de nos désirs héroïques.
Il est arrivé à la connaissance de la Vérité sans
aide, guidé par la puissance de son intelligence. Il a initié
la relation avec D.ieu et a fondé le peuple juif. Il a posé les
bases de la nation. Sa voix puissante se répercute au fil des générations,
et son écho retentit encore à nos oreilles. Il n’a jamais
fait l’expérience du sentiment d’être sous le fardeau
d’un ensemble de traditions héritées. Il a créé
nos traditions.
Its’hak a été le premier enfant juif. Il a été
le premier à hériter du judaïsme comme d’une responsabilité
qu’il devrait porter. Il a été confronté au défi
de trouver les ressources intérieures nécessaires pour réaliser
la vision puissante d’Abraham et l’amener sur Terre. La façon
de vivre héroïque d’Abraham doit faire partie de notre monde
quotidien. Its’hak a consacré sa vie à transformer la grande
vision de son père en réalité quotidienne qui peut être
accomplie par les gens ordinaires. Il n’a pas commencé sa vie comme
un héros. Il s’est consacré à ses traditions jusqu’à
ce qu’il en devienne un.
Comme chaque Juif le sait, la mise en pratique d’un ensemble de valeurs
et de pratiques héritées représente une énorme responsabilité
; on attend d’un Juif un comportement exemplaire précisément
parce qu’il est le dépositaire d’un héritage spirituel
magnifique plus que tout autre peuple. Par exemple, le soldat juif, qui est
indiscutablement le soldat le plus humain sur Terre, est constamment critiqué
pour sa cruauté. On attend de lui qu’il mette sa vie en danger
pour éviter de causer un dommage aux « passants innocents »
même s’il est sous le feu des armes. Personne n’a de telles
attentes d’un soldat américain en Afghanistan, Iraq ou bien en
Yougoslavie.
Alors qu’un tel niveau hors norme est sans aucun doute injuste, le fait
qu’il soit invariablement appliqué aux Juifs met en évidence
le point suivant : les dépositaires d’un héritage spirituel
prestigieux sont automatiquement exposés à la critique et au jugement.
Pourquoi n’êtes-vous pas à la hauteur de votre héritage
? Votre niveau moral ne doit-il pas refléter la vision de votre fondateur?
Vous n’êtes pas comme les autres ! Nous attendons plus de votre
part !
Il est assez étonnant que la tradition juive considère Its’hak
comme le lien humain avec l’attribut divin de Justice. En tant que premier
Juif à porter la responsabilité de vivre après un parent
héroïque, il a dû vivre avec l’anxiété
de faire face au jugement comme compagnon permanent.
LE CERCLE COMPLET
Paradoxalement, il apparaît que c’est l’aspect pénible
de la vie juive qui nous fournit les armes dont nous avons besoin pour faire
face au Jugement Final avec succès. Its’hak, le premier Juif forcé
de porter le fardeau spirituel de naître juif (d’être né
juif), est aussi le Juif qui nous a transmis notre arme spirituelle la plus
efficace. Nous dégainons cette arme à chaque circoncision, la
cérémonie qui marque le début de notre vie comme juif et
qui nous fait rejoindre l’Alliance d’Abraham.
Le Talmud chabbath 137b nous dit d’inclure la prière suivante au
cours de la cérémonie de la circoncision : « ...qui
a sanctifié cet enfant aimé depuis les entrailles, et a posé
ce décret dans sa chair, et a mis une empreinte sur ses descendants avec
le signe de Sa sainte Alliance. Ainsi, en récompense pour cela, Toi,
le D.ieu vivant Qui est notre part et notre rocher, ordonne que cette part chérie
de nous-même (c’est-à-dire cet enfant) soit rachetée
des souffrances du Purgatoire, par le mérite de l’alliance que
Tu a placée sur sa chair».
Rachi explique [ibid] : Its’hak est le premier fils aimé auquel
fait référence la bénédiction; c’est lui qui
a été sanctifié pour ce commandement avant sa naissance.
Abraham est le puissant héros, mais Its’hak est l’enfant
aimé. Comme il a été désigné pour entrer
dans l’alliance d’Abraham avant sa naissance, sans bénéficier
de la possibilité de faire un choix, il mérite toute l’assistance
que D.ieu peut procurer. Nous rappelons D.ieu à sa circoncision qui indépendamment
du degré du mérite qu’Its’hak essaie d’atteindre,
il est de Son devoir de le sauver, lors du Jour du Jugement, du Guehinam. Comme
il a été forcé d’entrer dans l’alliance sans
avoir le choix, il doit être sauvé des conséquences d’une
défaillance spirituelle même s’il manque de mérites
malgré des efforts soutenus.
Nous avons tous une partie de l’héroïsme d’Abraham en
nous. Mais c’est la partie de nous qui reflète la volonté
d’Its’hak de travailler dur à son héritage, qui nous
fait aimer aux yeux d’D.ieu. C’est à travers notre labeur
dans le judaïsme que nous méritons l’assistance dont nous
avons besoin pour passer le jugement avec succès. « Mesure pour
mesure » est le principe fondamental que D.ieu adopte comme ligne directrice
dans la détermination de la récompense et de la punition. Comme
Juifs, nous sommes nés au sein de l’alliance d’Abraham sans
consultation préalable. En retour, D.ieu s’implique Lui-même
pour nous offrir l’assistance dont nous avons besoin dans l’exécution
des responsabilités qui nous sont attribuées selon Ses conditions.
La prière d’Its’hak est symbolique de la beauté spirituelle
transcendante du judaïsme. Les côtés opposés sont harmonieusement
combinés et les lourds fardeaux se transforment en source de force. Its’hak
se tient debout devant D.ieu comme Abraham. Il atteint sa hauteur spirituelle
par sa volonté d’endurer le fait de se sentir comme un pauvre spirituel
au point de se sentir mal sous son lourd fardeau et le persévérer
malgré tout.
Traduction et Adaptation de José Cohen.