Comme le nom de cette parasha l'indique,
le peuple s'est réuni autour
de Moshé pour entamer l'étude de la Torah reçue au mont
Sinaï.
La première leçon
concerne les lois de Shabbat .
Cela n'est pas surprenant; nous savons que le Shabbat est
un des commandements les plus importants, la pierre angulaire du Judaïsme.
Certains commentateurs mettent l'accent
sur la juxtaposition de cet enseignement à la
faute du veau d'or. L'épisode du veau d'or a été, d'une
certaine façon, un acte d'idolâtrie. Le Shabbat , attestant
que D-ieu a créé le monde en six jours, représente donc l'antidote
spirituel de l'idolâtrie. En fait, comme nous l'avons expliqué dans
la parasha précédente, en fabriquant le veau d'or, le peuple
a voulu "connaître" D-ieu. Moshé enseigne que le Shabbat est
la solution pour tendre vers ce but. Si vous êtes à la recherche
de D-ieu et souhaitez le connaître, observez le Shabbat . C'est
la meilleure façon de "vivre le Divin".
INSISTANCE A PROPOS DU Shabbat
Bien avant la faute du veau d'or, les Juifs avaient déjà reçu
l'ordre de respecter le Shabbat . L'insistance de la Torah concernant le respect
du Shabbat , nous interpelle. En effet, l'idée du Shabbat a
déjà été mentionnée à quatre
reprises dans le livre de l'Exode [16:23, 20:7-10, 23:12, 31:13-17], et la
tradition nous enseigne qu'à Marah [15:25] les juifs avaient également
reçu l'ordre d'observer le Shabbat . [Voir Sanhedrine 56a, Rashi 24:3].
Pourquoi alors, mentionner pour
la cinquième (ou sixième) fois
l'observance du Shabbat ?
Une lecture plus attentive des enseignements
contenus dans notre parasha va peut-être nous éclairer:
"
Durant six jours le travail sera fait; et le septième jour, sera saint
pour vous, un repos complet pour l'Eternel. Quiconque y fera un travail sera
mis à mort. Vous n'allumerez pas de feu dans toutes vos demeures
le jour du Shabbat ." [Exode 35: 2-3 ]
Nous pouvons dégager de ces versets deux idées
principales:
l'interdiction d'un certain type de travail, appelé mélakha
l'interdiction d'allumer le feu.
Plusieurs questions se posent immédiatement: quelle est la définition
de "mélakha"? Pourquoi le feu est-il exclu de la catégorie
de "mélakha" et mentionné séparément?
Ces questions sont traitées abondamment dans le Talmud, et bien sûr,
aucune loi de Shabbat ne peut être comprise sans la amida --
c'est-à-dire,
sans les définitions spécifiques du travail d'une part, et la
spécificité du feu d'autre part.
CONSTRUCTION DU Mishkane
Le cadre général de cette parasha concerne l'élaboration
du Mishkane, le Tabernacle. Le mot mélakha est utilisé pour décrire
le travail nécessaire à la construction du Mishkane [par
exemple 35:21, 35:31, 35:33, 35:35, 36:1, 36:2, 36:3, 36:4, 36:5, 36:6, 36:7,
36:8].
Ce même mot -mélakha- est également utilisé lorsque
Moshé enseigne les lois d'observance du Shabbat .
Nos Sages en déduisent que les types de travaux décrits
pour la construction du Mishkane sont ceux interdits le Shabbat lorsque
la Torah ordonne de ne faire aucune mélakha le septième jour.
Cela dit, une question plus simple
remplace maintenant nos questions précédentes:
pourquoi les lois de Shabbat sont-elles déduites des lois traitant
de la construction du Mishkane?
Dans un sens littéraire et littéral, nous pouvons dire que nous
avons déjà répondu à cette question: le même
mot, mélakha, est utilisé dans les deux passages. Mais en approfondissant,
cette réponse élude la question. Après tout, D-ieu avait
d'autres possibilités pour définir avec précision la signification
du mot mélakha. Pourquoi est-ce spécifiquement d'ici, de cette
parasha qui décrit la construction du Mishkane, que sont déduites
les lois de Shabbat ? Il doit y avoir une relation intrinsèque
entre Shabbat et le Mishkane.
Des deux concepts, le Mishkane semble
pour nous le plus difficile à comprendre.
Pourquoi D-ieu aurait-il besoin d'une "maison" sur Terre? Cette question
a été posée dans le Midrash . (Notez que le terme Mishkane désigne
le Tabernacle alors que le terme Mikdash fait référence
au Sanctuaire ou au Saint des Saints dans le Tabernacle):
Quand le Saint Béni soit-Il a dit à Moshé: "Faites
pour Moi un Mikdash afin que J'y réside"[Exode 25: 8], Moshé lui
répondit: "Maître de l'Univers, les cieux et l'au-delà ne
peuvent Te contenir, et Tu dis "faites-Moi un Mikdash !". Le Saint
béni soit-Il lui dit alors: "Moshé, Ma façon de penser
est différente de la tienne. Même dans vingt coudées au
nord, vingt coudées au sud, et huit à l'ouest, Je descendrai
et Je contracterai (mitsamtsem) Ma Shekhina (présence divine) parmi
vous, ici-bas". [Pessikta Dérav Kahana, Parasha 2:10, voir également
Shémot Rabbah 34:1]
Le besoin n'est évidemment
pas pour D-ieu, mais pour l'Homme. Le Midrash nous apprend également que pour résider dans ce sanctuaire, D-ieu
réalise sur Lui-même, une sorte de "contraction", de "diminution",
si l'on peut s'exprimer ainsi.
Nous nous sommes étonnés de la nécessité d'une "maison" pour
D-ieu, mais après tout, cette même question peut se poser à propos
du Shabbat : est-ce D-ieu ou l'homme qui a besoin d'un "jour de repos"?
D'une certaine façon, l'idée
de Shabbat semble simple -- D-ieu
a créé le monde en six jours et s'est reposé le septième
jour. Mais en analysant cela avec un esprit critique, cela semble absurde,
tout comme est absurde l'idée de penser que D-ieu ait besoin d'une "maison".
ECLAIRCISSEMENT
DES ABSURDITÉS
Réexaminons le récit de la Création. Il n'y avait rien,
et D-ieu créa le ciel et la terre. Ce processus de création s'est
poursuivi sur six jours, à l'issue desquels D-ieu s'est "reposé".
Cette description contient un certain
nombre d'anthropomorphismes profondément
ancrés: le "repos" de D-ieu, la "création" de
D-ieu.
Pour nous, le 'Travail' (mélakha) consiste à effectuer certaines
transformations sur la matière existante. Il s'agit d'un être
limité possédant une certaine créativité, mais
dans un contexte délimité. D-ieu, cependant, est infini. La notion
même de création fait appel au temps, à l'espace et à la
matière, des concepts que D-ieu transcende. Sa création est décrit
comme "yésh mé-Eyne" "quelque chose (matière) à partir
de rien".
Parfois, les écritures Kabbalistiques offrent une autre compréhension
du principe de la création 'yesh mé-Eyne', Eyne se rapportant
au Eyne Sof, "l'infini". Ce qui signifie, quelque chose de fini émergeant
de l'infini.
Considérons le problème mathématiquement: toute valeur
ajoutée à l'infini produit nécessairement une somme qui
est infinie. Quand D-ieu qui est infini crée une valeur finie -- c.-à-d.
le monde -- la somme totale de réalité devrait rester infinie.
Comment quelque chose de fini peut-il être ajouté à l'infini?
La réponse Kabbalistique à cette
question est un principe connu sous le nom de tsimtsoum, "contraction".
La création n'est pas le résultat de D-ieu ajoutant quelque
chose de fini; c'est plutôt le résultat de D-ieu qui se "contracte",
se "retire" de l'infini, si l'on peut s'exprimer ainsi.
Nous pouvons maintenant voir la
création, et donc le Shabbat , sous
une perspective différente.
Le premier jour, D-ieu se retire
de l'infini. Il en fait de même du
deuxième au sixième jour. Finalement, à la fin du sixième
jour, le monde est complet et D-ieu se repose. En d'autres termes, D-ieu revient
de nouveau à une forme "non contractée", c'est un retour
vers l'infini.
Shabbat est donc le jour
qui représente l'infini, le jour qui reflète
D-ieu dans Sa vraie dimension, et non via le "tsimtsoum".
LE Shabbat SELON LA KABBALE
Ce concept de "tsimtsoum" peut nous donner davantage d'explications
sur le Shabbat .
Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, D-ieu est au-delà du Temps;
par conséquent, la Création marque le début du temps. Shabbat représente par contre l'infini. Quelle heure était-il
avant la Création? C'était un moment d'infini ou, en d'autres
termes, c'était Shabbat !
Ceci signifie donc que la création a eu lieu "le premier jour",
le jour après Shabbat .
La création a lieu en soirée: "il fut soir, il fut matin,
jour un". Par conséquent, on peut dire que la Création a
eu lieu au moment même où Shabbat finissait. Le moment
avant la Création est "l'infini", Shabbat , et le moment
après
les six jours de Création est le Shabbat , notre propre chemin
vers l'infini. Les deux points indiquent le même moment du point de vue de D-ieu, bien
que séparés par un monde de différence de notre point
de vue.
Nous avons noté que l'homme a la possibilité de
toucher l'infini en participant au Shabbat . Cette remarque peut nous
aider à comprendre
pourquoi le feu n'a pas été inclus dans l'ensemble des mélakhot
(travaux).
Quand le Talmud discute de certains
détails de la Havdala (rituel à la
fin de Shabbat qui sépare le sacré du profane et au cours duquel
une bougie à plusieurs mèches est allumée), le verset
pris comme preuve est tiré de la Genèse:
On ne doit pas faire la bénédiction des bougies avant qu'elles
ne donnent une bonne lumière. Ceci a été exposé par
Rabbi Zira, le fils de Rabbi Abahou: "D-ieu a vu que la lumière était
bonne", et ce n'est qu'après qu'Il déclare, "D-ieu
sépara (vayavdil) la lumière et l'obscurité". [Talmud
Yéroushalmi, Bérakhot, Ch. 8, p12b, amida 3].
Lorsque nous nous rendons compte que le premier jour est l'instant qui suit
Shabbat , cet enseignement prend alors plus de signification. Notre
Havdalah reflète ce premier et essentiel vayavdil fait par D-ieu par l'acte de
la Création.
Rabbénou Bé'hayé, en commentant cette parasha, souligne
ce lien de façon très claire. Il explique que le feu est séparé des
autres travaux (mélakhot) dans l'enseignement transmis par Moshé,
car de la même façon que D-ieu a commencé la Création
par le feu en disant "que la lumière fut", ainsi l'homme commence
la semaine par le feu de la Havdalah.
UNE RELATION INVERSE
Revenons maintenant aux Lois de Shabbat qui sont déduites des mélakhot
(travaux) du Mishkane.
Etant donné que nous sommes des êtres "finis", notre
création est nécessairement différente de celle de D-ieu.
Notre créativité consiste à changer, transformer ou améliorer
par nos actions, un objet existant. En d'autres termes, notre créativité implique
de faire "quelque chose à partir de quelque chose", tandis
que le travail de D-ieu impliquait de faire "quelque chose à partir
du néant".
Alors que D-ieu "s'est retiré" afin de créer, l'Homme
doit faire le contraire: se mettre en avant. Alors que D-ieu entrait dans Son "mode
infini" le Shabbat , transcendant le tsimtsoum qu'Il a utilisé en
créant le monde, l'Homme doit de nouveau faire le contraire: retenir
ses énergies créatrices.
Ce que nous venons de décrire, c'est une relation inverse, contraire,
due à la différence fondamentale entre l'Homme et D-ieu.
On peut décrire cette relation de la façon suivante: L'Homme
est fait à l'image de D-ieu; nous sommes, en fait, l'image miroir de
D-ieu, inversée pour ainsi dire. Par conséquent, le Shabbat nous
nous "retenons", en essayant d'être comme D-ieu, en imitant
le tsimtsoum de D-ieu. C'est peut-être ce que nous voulons signifier
lorsque nous décrivons notre repos du Shabbat , comme une "commémoration
de l'acte de la Création". Nous faisons le Shabbat ce que
D-ieu a fait lors de la Création.
Nous pouvons maintenant comprendre
le rapport intrinsèque entre les
lois de Shabbat et la construction du Mishkane. Tous les deux
représentent
l'idée de D-ieu qui se retient.
CONTRACTION SYNONYME DE FORCE
J'ai une fois entendu Rav Yossef Dov Soloveïtchik, zatsal, expliquer
que pour un juif, la compréhension philosophique mène à un
impératif moral. Le juif doit 'imiter' D-ieu, et pratiquer le tsimtsoum dans
diverses circonstances. La guévoura, "la force", tel
que le stipule la Mishna , repose sur ce principe:
Quel
est l'homme fort? Celui qui est capable de se contrôler.
[Avot 4:
1 ]
Cette idée est au coeur de toute éthique juive, et marque un
tournant radical dans la responsabilité que l'homme doit avoir envers
son prochain.
Il est intéressant de noter que la Torah commence par "Béréshit
bara Elokim" - le nom de Elokim étant associé au royaume
mystique de la guévoura.
D-ieu "se contrôle" en limitant l'infini pour donner naissance
au processus de Création. Par conséquent, nous pouvons voir le Shabbat comme
l'expérience d'une journée entière de "self-control",
concernant même les activités les plus banales, les plus machinales,
les plus insignifiantes, et ce, uniquement parce que ce sont des activités
créatrices, mélakha.
Nous espérons que ce self-control 'débordera' sur la semaine,
en élevant toutes nos actions et nos pensées.
Shabbat et le Mishkane permettent à D-ieu de résider dans ce
monde. Par le mérite d'incorporer le Divin dans nos vies, nous amendons
le monde et établissons un canal vers D-ieu Infini.
C'était le grand message que Moshé devait transmettre aux enfants
d'Israël immédiatement après son séjour en haut du
Mont Sinaï.