Cette parasha commence par un dialogue
d'un type différent, comparé à ceux
que nous avons l'habitude de rencontrer:
'Et toi, tu ordonneras aux enfants d'Israël qu'ils prennent pour toi de
l'huile pure d'olives concassées pour le luminaire, pour faire monter
la lumière perpétuelle.' [Exode 27: 20]
Au lieu de l'habituel "et D-ieu parla à Moshé, en disant...",
la Torah dit: "et toi, tu ordonneras...". Le Zohar [dans le Midrash Né'élam] note la différence de langage utilisé,
et fournit une raison théologique à cela.
EFFACÉ DU
LIVRE
Après la faute du veau d'or, D-ieu propose à Moshé de
faire de lui une grande Nation.
'Et maintenant
laisse-Moi; que Ma colère s'enflamme contre eux et que
Je les extermine, tandis que Je ferai de toi (Moshé) une grande
nation.' [Exode 32: 10]
Mais Moshé rejette cette offre. Non seulement il la rejette, mais il
est prêt à tout sacrifier pour sauver son peuple comme le démontre
son comportement héroïque:
'Et maintenant,
si Tu supportes leur faute... et sinon, efface-moi de Ton livre que
Tu as écrit.' [Exode 32: 32]
Le Zohar, en commentant ces versets, écrit:
D-ieu 'ignore' la proposition de Moshé (être effacé du
livre). Néanmoins, Moshé a été "effacé" d'une
parasha. Quelle est cette parasha? "Vé-ata Tétsavé",
la parasha concernant les commandements liés au Mishkane, et
qui aurait dû contenir le nom de Moshé dans chaque mot, et dans chaque commandement.
Mais le nom de Moshé a été retiré de toute la parasha,
qui n'en fait pas mention. C'est un exemple de 'malédiction' d'un sage
(qui se réalise), même lorsqu'elle est conditionnelle. [Midrash Né-élam,
Shir Hashirim, Maamar 4].
L'enseignement du Zohar est le suivant:
après la faute du veau d'or,
Moshé propose à D-ieu "d'être effacé du Livre" s'Il
ne pardonne pas au peuple, et D-ieu le "prend au mot" (certes, partiellement).
Selon cette approche, il semblerait donc que notre parasha devrait chronologiquement
suivre l'épisode du veau d'or, mais dans la Torah, elle le précède.
L'autre possibilité serait de dire que le nom de Moshé apparaissait
dans cette parasha, mais qu'il a plus tard été enlevé,
conformément à sa demande.
LA PRETRISE
Une question se pose: pourquoi le nom de Moshé a-t-il été retiré de
cette parasha spécifiquement?
Le thème principal de cette
parasha est le choix d'Aaron et de sa famille en tant que Kohanim, la tribu des Kohanim,
des prêtres. Ce choix n'est
ni justifié, ni expliqué. La Torah stipule simplement qu'Aaron
a été choisi pour être le Cohen Gadol, le Grand Prêtre,
sans en donner la raison.
Une fois de plus, nous revenons à notre question de 'chronologie':
est-ce que cette parasha vient après l'épisode du veau d'or ou
le précède? Si elle vient après, pourquoi Aaron, qui a "fauté" dans
l'épisode du veau d'or, serait-il récompensé par une telle
'distinction', Cohen Gadol? De plus, pourquoi devrait-il avoir cette parasha
totalement consacrée à lui et à ses fils, alors que Moshé,
qui a désespérément essayé de sauver son peuple,
voit son nom 'effacé' de cette même parasha?
Nous devons également nous poser d'autres questions: pourquoi Aaron
a-t-il été choisi pour être Cohen Gadol, et non Moshé?
Pourquoi Aaron a-t-il été désigné comme celui qui
apporterait les sacrifices (korbane) et donc le pardon pour son peuple?
Est-il possible d'envisager que Moshé ait été écarté de
ce rôle à cause d'un autre paramètre, par exemple, sa difficulté d'élocution?
La réponse à cette dernière question est non. Le Maharal
explique que la parole est un acte physique qui distingue la race humaine.
[Guévourot Hashem, p.112]. L'incapacité de Moshé à parler
n'était pas due à une insuffisance, mais plutôt à un
excès ou une abondance. D'une certaine façon, Moshé était
supérieur à un être humain classique. Le Talmud et le Midrash expliquent
la préparation de Moshé avant l'ascension du mont
Sinaï: durant six jours, toute nourriture était 'purgée'
de son corps, jusqu'à ce que Moshé devienne "comme un des
anges du ciel". [voir Avot De Rabbi Natane, Ch.1].
En d'autres termes, Moshé se situait sur une autre dimension, et n'était
donc pas 'limité' par la dimension physique de la même manière
que les autres hommes. Par conséquent, il n'avait pas besoin de cet
indicateur qu'est la parole, qui définit la plupart des êtres
humains.
Si son élocution n'était pas liée à sa disqualification,
peut-être y avait-il dans les obligations et les fonctions mêmes
du Cohen Gadol, quelque chose qui ne permettait pas à Moshé de
remplir ce rôle?
LES FONCTIONS DU COHEN GADOL
Une des fonctions du Cohen Gadol décrites dans cette parasha consistait à brûler
l'encens, appelé kétorète. Le Talmud enseigne que le but
de la kétorète était d'expier le péché de
médisance (lashone harâa):
On a enseigné dans l'école de Rabbi Yishmaël: pour quelle
faute la kétorète apporte le pardon? Le Lashone Harâa.
Que quelque chose de 'caché' vienne réparer quelque chose fait
dans le secret! [Yoma 44a]
Nous pouvons maintenant comprendre
pourquoi Moshé n'a pas été choisi
pour cette fonction: Moshé transcendait la parole.
En outre, le Maharal explique comment le jour de Kippour,
une kétorète
spéciale, composée des éléments les plus raffinés, était
offerte. Cette kétorète spéciale était en relation
avec la faute du avak lashone Harâa, littéralement, la "poussière
de lashone Harâa", une interdiction dont pratiquement tout le peuple était
coupable, excepté Moshé.
Le jour de Kippour, tout
comme des anges, nous ne mangeons pas et nous ne buvons pas -- et en cela
nous essayons de ressembler à Moshé.
Moshé quant à lui, avait déjà atteint ce niveau.
Il transcendait l'homme 'normal', qui lui, doit s'évertuer pour atteindre
ce niveau. Moshé n'avait pas besoin de ce processus d'élévation
spirituelle, mais Aaron par contre, en avait besoin.
Nous commençons donc à comprendre pourquoi Moshé n'aurait
pas été le meilleur candidat à ce poste de grand prêtre.
Cependant, nous sommes encore embarrassés quant au choix d'Aaron. Après
la participation d'Aaron au péché du veau d'or, pourquoi D-ieu
ne l'a-t-il pas effacé de ce livre?
LES BONNES INTENTIONS D'AARON
Le choix d'Aaron est étroitement lié à son comportement
durant l'épisode du veau d'or. Selon nos Sages, après qu'Aaron
ait été témoin du meurtre de 'Hour, il a immédiatement
conclu qu'il serait préférable pour lui de les aider dans le
veau d'or et de 'fauter'. Autrement, le peuple tout entier aurait été à la
fois coupable de son meurtre (ils auraient tué Aaron s'il avait refusé!),
et coupable de l'adoration du veau d'or (il l'aurait fait de toute façon).
[Voir Sanhedrine 7b]
Aaron estimait qu'il était préférable pour le peuple
Juif qu'il soit le seul (Aaron) à endosser la culpabilité. Aaron était
prêt à tout sacrifier pour son peuple, aussi bien dans ce monde-ci
que dans le monde futur! Le seul problème dans ce formidable acte d'héroïsme
et d'abnégation, était qu'il aboutissait à un comportement
idolâtre, et ce, malgré toutes ses bonnes intentions.
Ces intentions devaient être redéfinies dans un contexte de sainteté.
Aaron avait besoin d'exprimer son grand amour pour Israël et pour D-ieu,
en réalisant un service divin à l'intérieur même
du Temple.
Rav Tsaddok Hacohen de Lublin expliquait
qu'Aaron est devenu Cohen Gadol, non pas en dépit de son comportement durant l'épisode du veau
d'or, mais au contraire grâce à son comportement durant cet épisode!
[voir Takanat Hashavim, p. 20]. C'est un exemple du principe talmudique qui
stipule que le repentir motivé par l'amour pour D-ieu transforme un
péché en un acte méritoire.
Et ceci, en fin de compte, est la
raison pour laquelle toute cette parasha est totalement dédiée à Aaron et non à Moshé.
AU-DELÀ DU RÔLE DE PRÊTRE
Moshé était au-delà du rôle de Cohen. Lui et la
Torah ne faisaient qu'un. Pour reprendre les mots du Zohar, chaque mot et chaque
commandement de la Torah, devraient être cités au nom de Moshé.
Mais Moshé a demandé à D-ieu de l'effacer de la Torah.
Selon le Zohar, Moshé était prêt à tout sacrifier
pour sauver son peuple, tout comme Aaron l'était. La seule différence était
qu'Aaron avait "fauté", et avait donc besoin de pardon. Moshé,
lui, n'avait pas fauté, et son âme n'avait donc aucun besoin d'être
intégrée dans cette parasha qui traite de la fonction du Grand
Prêtre et notamment du pardon des fautes même les plus infimes
(symbolisées par les kétorètes).
En d'autres termes, Moshé a simplement transcendé les événements
de cette parasha. En récompense à son dévouement, Moshé n'avait
besoin d'aucune expiation. Il était déjà "un ange",
il était devenu un avec la Torah, et un avec D-ieu.
La mitsva d'allumer les lumières de la Ménora aurait sans doute
dû être accomplie par Moshé. Ce symbole de la lumière
de la Torah semble mieux correspondre à l'univers de Moshé. Pourtant, à sa
place, se trouvent Aaron et ses enfants. Ils seront responsables de tous les
aspects du service du Temple, et ce, pendant des millénaires. Ils allumeront
les lampes, qui brilleront avec éclat à travers les générations,
en témoignage du sacrifice d'Aaron qui a placé le peuple avant
lui, par amour pour D-ieu et pour la Nation.