La
parasha de Shémot, la première du livre de l'Exode, raconte
l'histoire de l'esclavage des Juifs en Egypte, et le début de leur libération.
Nombreux sont les commentateurs
qui évoquent le comportement de cette
génération. L'image générale qui en ressort est
celle d'un peuple qui s'est détourné de la voie de ses ancêtres.
Nos Sages nous enseignent que même la circoncision avait été abandonnée,
et Moshé a dû l'imposer à la population avant l'Exode.
Toutefois, nos sages nous précisent que certains aspects de la tradition étaient
restés intacts: les Juifs avaient conservé leur tenue vestimentaire,
leur nom et leur langue.
Pourtant, il est fascinant de noter
que Moshé lui-même, "le
libérateur" en personne, semble être déficient dans
ces domaines.
LE NOM DE
MOÏSE
Moshé est né au sein d'une famille appartenant à la tribu
de Lévi. En ce temps-là, Pharaon avait décrété que
tous les nouveau-nés mâles juifs soient jetés dans le Nil.
La mère de Moshé, Yokheved, déposa sur le Nil son nouveau-né dans
un panier (téva en hébreu, le même mot qui est utilisé pour
désigner l'arche qui a sauvé Noé du déluge). Ce
panier arriva finalement jusqu'à la fille de Pharaon. Elle l'adopta
et l'appela Moshé. Ainsi, Moshé, n'était pas son nom hébreu.
L'enfant grandit, elle l'amena à la fille de Pharaon, il fut pour elle
comme un fils, elle le nomma Moshé et dit: "car de l'eau je l'ai
tiré." [Exode 2:10]
Lorsque la fille de Pharaon nomma
Moshé, qu'essayait-elle de transmettre?
Pour en comprendre la signification
profonde, nous devons d'abord comprendre qui était cette femme et, à cet égard, qui était
son père. Dans le Livre d'Ézéchiel le passage suivant
apparaît:
Prononce ces paroles: Ainsi parle D-ieu: "Voici, je m'en prends à toi,
Pharaon, roi d'Egypte, grand crocodile couché au milieu de tes fleuves,
toi qui dis: "La rivière (le Nil) est mienne, car je l'ai créée." [Ézéchiel
29:3]
Pharaon croyait qu'il était le dieu du Nil, qu'il avait créé le
Nil.
Cette précision nous permet de comprendre pourquoi les enfants ont été jetés
dans le Nil. Quand les sages-femmes ont refusé de tuer les nouveau-nés
garçons, Pharaon leur a alors ordonné de les jeter dans l'eau.
Il leur dit: "jetez les enfants dans le Nil et le dieu du Nil décidera
qui vivra et qui mourra", comme si les sages-femmes n'accomplissaient
pas par cet acte un crime. Cette analyse nous permet également de comprendre
un des enjeux de la première plaie: "le sang".
Transformer
le Nil en sang était un acte de guerre, perçu par les Egyptiens
comme si leur dieu avait été poignardé.
Non seulement, Pharaon pensait qu'il était le dieu du Nil, mais en
plus, il nomma sa fille Bitya, "fille de dieu".
FILS DU NIL
Bitya, en nommant Moshé, accomplissait un acte dont la signification
théologique avait également des implications politiques. Elle
prétendait que le Nil avait donné naissance à son fils.
Bien sûr, elle savait qu'une Hébreu avait donné naissance à cet
enfant, mais le dieu du Nil l'avait épargné. Pour les Egyptiens,
jeter les enfants dans le Nil n'était pas considéré comme
un meurtre, mais comme une sorte de jugement.
Pour Bitya, voir cet enfant vivant,
dans un panier flottant sur le Nil, avait une signification théologique. Il était désigné comme "le
fils du Nil". Ce nom faisait de lui le futur Pharaon, ou du moins lui
réservait une place au sein du panthéon des dieux égyptiens.
Ainsi, Moshé a non seulement un nom égyptien, mais son nom est
imprégné de connotations idolâtres. Quelle ironie de constater
que les Egyptiens considéraient comme un dieu celui qui allait être
le sauveur du peuple Juif!
Cet éclairage accroît l'admiration que l'on a pour Moshé,
car maintenant on comprend ce que signifiait pour lui, quitter le palais pour "aller à la
rencontre de ses frères".
Lorsque Moshé est intervenu et a tué l'Egyptien, il renonçait
de facto à la vie princière qui lui était destinée.
L'acte héroïque de Moshé - qui trouve son origine spirituelle
chez son arrière-grand-père Lévi - était un acte
d'abnégation pour le bien d'un frère Juif.
En tuant l'Egyptien, Moshé perd son rôle dans la société égyptienne:
on ne le verra plus comme un dieu, mais seulement comme un Juif, et ses chances
d'accéder un jour au trône s'envolent.
Ce sacrifice de soi fut la première étape qui lui permit de
revêtir "le manteau" de dirigeant du peuple juif, et ce, à son
insu, car bien sûr Moshé agissait sans aucune arrière-pensée.
LES VETEMENTS DE
MOÏSE
Quand Moshé s'enfuit d'Egypte et fait route vers Midiane, il est appelé "Ish
Mitzri", "un homme égyptien."
Pourquoi Moshé était-il qualifié "d'égyptien"?
Le Midrash pose cette question:
Moshé était-il Egyptien? En fait, ses vêtements étaient égyptiens,
mais lui, était Hébreu. [Midrash Rabba 1:32]
Comme nous l'avons indiqué, les Juifs avaient gardé une tenue
vestimentaire qui les distinguait des Egyptiens. Ce mérite d'avoir préservé cette
tradition a contribué à leur libération.
Là aussi, Moshé est déficient.
LE LANGAGE DE MOÏSE
Les Juifs ont également préservé leur langue, l'hébreu,
mais ici aussi, Moshé semble défaillant.
La Torah nous dit que Moshé avait une difficulté d'élocution:
" Je ne suis
pas un homme de discours... car j'ai la bouche lourde et la langue
lourde. [Exode 4:10]
Plus tard, Moshé se décrit comme "vaani aral séfataïm" - "je
suis incirconcis des lèvres." [Exode 6:12 et 6:30].
Si nous accordons au mot aral son sens littéral (incirconcis), Moshé ne se considèrerait
pas comme un représentant légitime du peuple car sa langue n'était
pas circoncise. En d'autres termes, Moshé serait trop "Egyptien" pour
représenter les Juifs.
Si en effet, les Juifs avaient été sauvés parce qu'ils
avaient conservé ces trois pratiques (le nom, les vêtements et
la langue), Moshé semblait alors être un libérateur peu
approprié. Pourquoi alors Moshé a-t-il été choisi?
LE MODÈLE
DU DIRIGEANT
Comme nous l'avons vu, la réaction de Moshé lorsqu'il a vu son
frère Juif opprimé, montre qu'il possédait indéniablement
les qualités d'un dirigeant.
Le dirigeant idéal, selon la tradition juive, n'est pas un individu
qui désire assujettir les autres, mais plutôt un individu qui
désire se sacrifier pour les autres.
Moshé était le plus
modeste des hommes et il est devenu le plus grand dirigeant et enseignant
que notre peuple a connu.
Malgré son éducation dans le palais de Pharaon, Moshé a
rejeté le rôle qu'il pouvait tenir au sein de la société égyptienne,
tout comme la culture et les croyances de l'Egypte. En effet, après
avoir quitté l'Egypte, le Texte nous dit:
"
Et Moshé était le berger du troupeau de son beau-père." [Exode
3:1]
Cette précision apparemment anodine prend toute son importance si nous
nous rappelons l'épisode des retrouvailles entre Joseph et ses frères.
Quand les frères de Joseph descendent en Egypte, Joseph les avertit
de prendre toutes les précautions lorsque Pharaon leur demandera quel
est leur métier:
"
Car tout berger est considéré comme une abomination en Egypte." [Genèse
46:34]
Moshé devient berger, l'occupation la plus détestable dans le
système des valeurs de l'Egypte. C'est à ce moment-là que
D-ieu se révèle à Moshé pour la première
fois, au "buisson ardent". Le rejet de la vie égyptienne est
ce qui, apparemment, a permis la Révélation Divine.
INTÉGRITÉ SPIRITUELLE
On peut commencer à comprendre pourquoi Moshé méritait
d'être le libérateur. Il possédait une intégrité spirituelle
exceptionnelle.
D'où Moshé a-t-il puisé cette force qui va bouleverser
sa vie? Qu'est-ce qui a poussé Moshé à entamer une quête
spirituelle, une odyssée au cours de laquelle il renoncerait au trône
d'Egypte pour s'engager dans un combat aux côtés d'esclaves? Comment
a-t-il pu passer du simple berger au vainqueur de l'empire égyptien?
Moshé possédait le
'hessed, "la bonté" d'Abraham,
la guévoura, "la force" d'Isaac et le émète, "la
vérité" de Jacob.
Ces aspects du caractère de Moshé se sont exprimés dans
sa réaction lorsqu'il a vu cet esclave Juif maltraité par l'Egyptien.
Moshé a ressenti du 'hessed (Bonté, peine) envers la victime.
Il a fait preuve de Force en renonçant à des considérations
personnelles et en s'impliquant dans la dispute. Et enfin, Moshé a montré qu'il était
aussi empreint de Vérité en discernant immédiatement quel
côté avait raison.
Moshé méritait sans nul doute son rôle de leader, mais
une autre question se pose: pourquoi D-ieu a-t-il choisi comme libérateur,
un juif ayant grandi dans le palais de Pharaon? Pour que la Délivrance
ait lieu, il fallait précisément une personne comme Moshé!
On peut apprendre de là une puissante leçon quant à la
nature de l'Exode. Si D-ieu voulait que les juifs quittent l'Egypte, Il aurait
pu le réaliser très facilement. Sa seule volonté aurait
suffi. Pourquoi passer par tout le processus des plaies et des négociations
avec Pharaon?
UN MESSAGE POUR LES JUIFS ET LES EGYPTIENS
L'objectif semblait double. Ce processus était nécessaire et
pour les Juifs et pour les Egyptiens.
Après avoir passé tant d'années en Egypte, les croyances
des Egyptiens avaient fait des ravages dans la communauté Juive. Quelle
meilleure façon de montrer l'ineptie du système de croyance égyptien
que de faire en sorte qu'un de leurs "dieux" s'avère être
un Juif? Pour les Juifs, cela éradiquerait toute éventuelle foi
naissante en la mythologie égyptienne.
Bien sûr, certains Juifs avaient du mal à rejeter totalement
ces influences, comme cela a pu se vérifier par la faute du veau d'or.
Mais pour la plupart des juifs le message était clair et fort. Alors
que Moshé considère ne pas mériter prendre la direction
du peuple Juif, la réponse de D-ieu est: personne n'est plus méritant
que Moshé et tout particulièrement compte tenu de ses "défauts"!
Par ailleurs, le message était aussi important pour les Egyptiens;
ils avaient eux aussi besoin de savoir que leur religion était fausse.
Quel meilleur enseignant que Moshé, leur "porte-drapeau"?
Il fut un temps, où il s'habillait comme eux, parlait comme eux et ils étaient
même prêts à l'adorer.
Ce thème d'instruire les Egyptiens quant à l'unicité de
D-ieu et au rôle du peuple juif, apparaît dans la haftarah Vaéra,
où il est dit qu'un jour, toutes les nations du monde reconnaîtront
D-ieu.
La Libération qui a eu lieu en Egypte, et qui sert de prototype à la
délivrance de la fin des temps, avait des objectifs universels: elle
n'illustre pas seulement le départ des juifs de cette terre étrangère,
mais symbolise aussi le puissant combat théologique mené contre
la plus grande civilisation de l'époque.
Quand la délivrance finale viendra, elle ne concernera pas que le peuple
juif. Ce sera le plus grand événement de l'histoire du monde,
qui convaincra tous les peuples de La Terre de leur erreur.