Cette
parasha est la dernière du Livre de Béréshit. Un
des thèmes principaux de la Genèse est celui du jeune frère
qui réussit alors que l'aîné échoue. Ici, il s'agit
d'Ephraïm, le plus jeune des deux fils de Joseph, qui se démarque.
Alors que Jacob sent sa fin proche, il fait venir son fils bien-aimé Joseph:
Et ce fut après ces faits, il dit à Joseph : "Voici, ton
père est malade". Il prit ses deux fils avec lui, Menashé et
Ephraïm. (Genèse 48:1)
Jacob, qui va bientôt bénir tous ses enfants, commence par Joseph
et ses garçons :
Jacob dit à Joseph : "D.ieu Tout-Puissant m'est apparu à Louz
dans le pays de Canaan et m'a béni. Il m'a dit : 'Voici, Je te ferai
fructifier, Je te multiplierai, Je ferai de toi une assemblée de nations
et Je donnerai ce pays à ta descendance après toi (comme) propriété éternelle.
'Et maintenant tes deux fils qui te sont nés dans le pays d'Egypte,
jusqu'à ma venue vers toi en Egypte, ils sont à moi; Ephraïm
et Menashé, comme Réouven et Shimone, ils seront à moi.
Quant aux enfants que tu engendrerais après eux, ils seront à toi;
d'après le nom de leurs frères ils seront appelés (pour)
leur héritage." (Genèse 48:3-6)
Cette bénédiction semble tout à fait simple dans son
message : les enfants de Joseph, qui ont grandi loin de leurs oncles, et qui
font normalement partie de la génération suivante, ont réussi à transcender
les limites du temps. Dans des circonstances normales, un changement notable
est habituellement perçu entre une génération et la suivante.
La bénédiction de Jacob était qu'aucune des générations
descendant des enfants de Joseph n'ait à souffrir de cette déperdition,
comme Ephraïm et Menashé qui n'ont pas souffert de ce phénomène.
QUI SONT "CEUX-CI"?
Une fois que Joseph est entré et que son père l'a béni,
Jacob se tourne vers les enfants :
Israël vit les fils de Joseph et dit : "Qui sont ceux-là?" (Genèse
48:8)
Après la bénédiction qu'il vient de leur faire, il semble étrange
que Jacob demande qui ils sont. Ne reconnaît-il même pas les bénéficiaires
de sa bénédiction?
Cela pourrait être dû à la cécité de Jacob.
On pourrait également émettre l'hypothèse que Jacob, le
grand-père immigrant, ne reconnaît pas ses petits enfants nés
et élevés en Egypte. Peut-être étaient-ils revêtus
de leur costume aristocratique égyptien, ce qui surprit Jacob.
Cependant, cela contredirait l'idée suggérée plus haut,
précisant qu'ils étaient restés intacts, semblables à leurs
oncles. A moins que Jacob ne connaisse alors la fidélité de ses
petits-enfants à la tradition, et ce, malgré le climat culturel
de leur éducation et malgré son incapacité à les
identifier. Bien qu'ils soient d'une génération d'exilés
et les produits de la culture égyptienne, les enfants de Joseph sont
restés avec les mêmes principes spirituels que ceux de leurs oncles.
Rashi cite un Midrash qui voit la
question de Jacob sous une lumière
tout à fait différente :
[Jacob] a voulu les bénir mais la Shekhina (providence) l'a abandonné,
car Jeroboam et Ahab devaient descendre d'Ephraim... [C'est pourquoi il a dit "qui
sont ceux-ci?" voulant dire] d'où ceux-ci, indignes d'une bénédiction,
viennent-ils? (Rashi 48:8 basé sur Midrash Tanhouma)
Selon Rashi, la question de Jacob
ne concerne pas les personnes qui se tiennent debout devant lui. Cette question
ne se réfère pas simplement
au passé ou au présent, mais également au futur, à des événements
qui devraient se dérouler bien plus tard. Il s'étonne de voir
que vont descendre d'Ephraïm des personnes indignes. C'est avec un œil
tourné vers l'avenir que Jacob effectue un acte qui déconcerte
Joseph :
Joseph les prit
tous les deux, Ephraim à sa droite, à la gauche
d'Israël, et Menashé à sa gauche à la droite d'Israël
et les approcha de lui. Et Israël étendit sa (main) droite et (la)
posa sur la tête d'Ephraïm (alors qu') il était le (plus)
jeune et sa (main) gauche sur la tête de Menashé; il guida ses
mains avec intelligence car Menashé était l'aîné...
Et Joseph vit que son père mettait sa main droite sur la tête
d'Ephraïm, ce fut mal à ses yeux et il soutint la main de son père
pour l'enlever de la tête d'Ephraïm (et la mettre) sur la tête
de Menashé. Joseph dit à son père : "Ce n'est pas
ainsi, mon père, car c'est celui-ci l'aîné; mets ta (main)
droite sur sa tête". Son père refusa et dit : "Je savais,
mon fils, je savais, lui aussi deviendra un peuple et lui aussi sera grand;
cependant son jeune frère sera plus grand que lui, et sa descendance
sera une multitude de nations". (Genèse 48:13-19)
De nouveau Rashi identifie les protagonistes comme des personnages à venir
:
Cependant, son
jeune frère sera plus grand que lui. Car plus tard Josué sera
issu de lui, car il fera hériter (Israël) du pays et enseignera
la Torah à Israël. (Rashi Genèse 48:19)
Les deux grands descendants d'Ephraim,
qui se distinguent, l'un par l'infamie et l'autre par la grandeur, étaient respectivement Jeroboam et Josué.
Josué, le successeur de Moshé qui a conduit les Juifs vers la
Terre Promise, est certainement mieux connu. Mais le contraste entre ces deux
personnages apportera la lumière sur cette parasha et servira
de conclusion adéquate pour tout le livre de la Genèse.
JEROBOAM
Jeroboam apparaît dans le Livre des Rois, pendant le règne du
roi Salomon. Salomon était un grand roi, mais ses divers mariages vont
le "détourner" du droit chemin. Des païens ont vécu
dans ses palais et des cultes étrangers ont été introduits
en Israël à partir de sa propre maison.
Or Jeroboam était plein de valeurs; et Salomon, remarquant les qualités
de travail de ce jeune homme, lui confia la surveillance des corvées
imposées à la maison de Joseph. (Rois-1, 11:28)
Le Talmud nous rapporte la grandeur de Jeroboam :
Rabbi Yo'hanan
a dit : "Pourquoi Jeroboam a-t-il mérité la
royauté? Parce qu'il a réprimandé Salomon... Salomon a
construit Milo et a fermé les brèches de la Ville de David son
père. Il lui a dit : "Ton père David a fait des brèches
dans la muraille, afin que les enfants d'Israël puissent 'monter' [à Jérusalem]
pour célébrer les fêtes, tandis que toi, tu les as fermées
pour extorquer des taxes au bénéfice de la fille de Pharaon".
(Sanhedrine 101b)
Grâce à sa grandeur, Jeroboam rencontre aussitôt un prophète
de D.ieu :
En ce temps là, Jéroboam, étant sorti de Jérusalem,
fut rencontré sur son chemin par le prophète Ahiya de Shilo;
il était couvert d'un manteau neuf, et tous deux étaient seuls
dans le champ. Ahiya, saisissant ce manteau neuf, le déchira en douze
lambeaux, et dit à Jeroboam : "Prends pour toi dix de ces lambeaux,
car ainsi a parlé l'Eternel, D.ieu d'Israël: 'Je vais arracher
le royaume de la main de Salomon et Je t'en donnerai dix tribus. Une seule
tribu lui restera, en considération de Mon serviteur David, et de Jérusalem,
la ville que J'ai élue entre toutes les tribus d'Israël'." (Rois-1,
11:29-32)
En raison de ses indiscrétions, Salomon est jugé indigne de
régner sur Israël. Grâce au mérite de son père
David, la dynastie ne sera pas détruite, elle sera simplement limitée
dans son étendue, temporairement. Le rôle de Jeroboam était
de former une monarchie intérimaire. Jérusalem, la ville sainte,
et la monarchie de David, qui est son pendant, sont éternelles.
Il est intéressant de noter
comment le vent va tourner.
Dans la Genèse, c'était Yehouda qui dirigeait les hostilités
contre Joseph, dix frères
contre un. Maintenant, c'est au tour Jeroboam, de la tribu de Joseph, de mener
le combat
contre Salomon, de la tribu de Yehouda. Il est aussi intéressant de
noter que le vêtement
déchiré en 12 pièces, est appelé en hébreu
simla , les mêmes lettres que Salomon -
Shélomo
LA ROUTE VERS L'IDOLATRIE
La chute de Jeroboam commence avec son règne, lorsqu'il s'inquiète
du prochain pèlerinage de Jérusalem. Si ce pèlerinage
a lieu à Jérusalem, le peuple réuni dans les rues de la
capitale, pourrait redonner à la monarchie Davidique - maintenant dirigée
par Réhoboam, fils de Salomon - son éclat d'autrefois.
Jeroboam fortifia Shekhem, sur la montagne d'Ephraim et y
résida; puis
il en sortit et fortifia Pénouel. Or, Jeroboam se dit en lui-même
: "la royauté pourrait revenir maintenant à la maison de
David. Si ce peuple monte à Jérusalem, pour y offrir des sacrifices
dans la maison de D.ieu, il se reprendra d'amour pour son maître, pour
Réhoboam, roi de Yehouda; on me tuera, et l'on reviendra à Réhoboam
roi de Yehouda". (Rois-1, 12:25-27)
A ce point de l'Histoire, Jeroboam met en place un plan tragique - remplacer
Jérusalem, ou du moins la rendre obsolète, superflue.
après en avoir délibéré, le roi fit faire deux
veaux d'or et dit au peuple : "Cela suffit pour vous de monter à Jérusalem!
Voici tes dieux, Israël, qui t'ont tiré d'Egypte. Il en mit un à Beit-el,
et plaça l'autre à Dan." (Rois-1, 12:28-29)
Si les motivations de Jeroboam - préserver sa souveraineté -
sont claires, son comportement reste choquant. Pourquoi voudrait-il reproduire
ce qui constitue probablement la plus grande tragédie de l'Histoire
Juive? Au pied du Mont Sinaï, les Juifs ont fait preuve d'infidélité envers
D.ieu (dans l'épisode du veau d'or). Maintenant, à l'extérieur
de Jérusalem, Jeroboam ne construit pas un veau d'or, mais deux! Comment
pouvait-il penser que le peuple servirait ces semblants de sainteté?
LE BOEUF
Pour comprendre ce choix, nous devons nous rappeler que le bœuf, le veau
adulte, est le symbole de la tribu de Joseph. La vente de Joseph est décrite
par Jacob sur son lit de mort de la façon suivante:
"
Shimone et Lévi sont des frères; des armes de violence sont leurs
armes. Dans leurs (projets) secrets, que mon âme ne s'associe pas; à leur
assemblée, que mon honneur ne soit pas unifié, car dans leur
colère ils ont tué un homme et de leur (propre) volonté,
ils ont abattu un bœuf." (Genèse 49:5-6)
Le zohar décrit la libération de Joseph d'Egypte en utilisant
une appellation semblable :
Certains disent que le cercueil de Joseph était dans le Nil et par le "shem
haméforash", le Nom Saint de D.ieu, (Moshé) l'a fait remonter.
Et Moshé a également dit : "Joseph, le temps de la libération
d'Israël est arrivé... monte, bœuf" et il est remonté!
(zohar Shémot 46a)
Rashi, en s'appuyant sur le Midrash
Tanhouma, reprend cet enseignement pour expliquer la manière dont le veau d'or lui-même a été fabriqué.
Aaron a fait fondre tout l'or et ensuite quelqu'un y a jeté la formule
magique contenant les mots "Monte Bœuf". Le résultat était
ce bœuf, le veau d'or.
Nous comprenons pourquoi le symbole
du veau était associé à Joseph,
mais pourquoi la sainteté et l'adoration devaient-elles suivre?
Divers prophètes ont eu des visions du Divin. Selon le Talmud, la description
qu'ils en font diffère, mais la révélation en elle-même
ne change pas. Les différences dans la description résultent
de la subjectivité des prophètes.
Rava a dit : "tout ce qu'Ézéchiel a vu, Isaïe l'a vu.
A quoi Ézéchiel ressemble-t-il? A un villageois qui a vu le roi.
Et à quoi Isaïe ressemble-t-il? A un citadin qui a vu le roi.
Ce commentaire est curieux : Ézéchiel, qui a eu des visions
de D.ieu du camp des réfugiés sur la Rivière Kebar, a
eu la même vision qu'Isaïe qui était dans le Temple Sacré .
En outre, le Mekhilta considère Ézéchiel comme étant
le prophète par excellence et ses visions du Divin comme étant
la référence :
C'était dans la trentième année, le cinquième jour
du quatrième mois; tandis que je me trouvais avec les exilés
près du fleuve de Kebar, le ciel s'ouvrit et je vis des apparitions
divines... et au milieu l'image de quatre créatures vivantes... Leurs
pieds étaient des pieds droits, la plante de leurs pieds était
comme celle d'un veau et ils étincelaient comme de l'airain poli...
Quant à la forme de leur visage, elles avaient toutes quatre une face
d'Homme, et à droite une face de lion, toutes quatre une face de taureau à gauche,
et toutes quatre une face d'aigle. (Ézéchiel 1:1-10)
Les pieds étaient ceux d'un veau et une des faces était celle
d'un bœuf. Nous commençons à comprendre la tentation du
peuple à idolâtrer le bœuf.
Un deuxième élément de la vision d'Ézéchiel
complète l'erreur tragique.
Je regardais et voici que sur le firmament étendu au-dessus de la tête
des chérubins, il y avait comme une pierre de saphir : quelque chose
qui semblait une forme de trône,... chacun avait trois faces. La face
du premier était une face de chérubin, la face du second, une
face d'Homme, le troisième, une face de lion, du quatrième, une
face d'aigle, et les chérubins s'élevèrent, c'était
la créature vivante que j'avais vue sur le fleuve de Kebar. (Ézéchiel
10:1-15)
Maintenant nous voyons que le chérubin a remplacé le bœuf.
Nous pouvons donc conclure que les chérubins vus par Ézéchiel,
avaient l'apparence d'un bœuf. Les actions de Jeroboam et la réponse
enthousiaste du peuple, se comprennent plus aisément à la lumière
de cette prophétie.
LES PARALLÈLES
Dans le Temple de Jérusalem, dans le Saint des Saints, il y avait deux
chérubins au-dessus de l'Arche de l'Alliance. D'après les visions
d'Ezéchiel, on peut penser que les chérubins et les veaux sont "interchangeables".
Jeroboam, de la tribu de Joseph, a placé un veau (symbolisant un des
deux chérubins du Saint des Saints) à Beit-El, et un deuxième
(symbolisant l'autre chérubin) sur le territoire de Dan. Quand on regarde
la carte d'Israël, on se rend compte qu'il a couvert le Royaume du Nord
par les veaux et que Shekhem, la ville où il réside, se situe à équidistance
de ces deux chérubins, au cœur de la "sainteté".
Le message semble clair : Jérusalem est inutile. Tout le royaume est
rendu 'saint' avec les chérubins/veaux englobant un espace bien plus
grand que la simple ville de Jérusalem. La ville entière de Shekhem,
lieu de sépulture de Joseph, surnommé lui-même le "Bœuf
Saint", supplante désormais le très limité Saint
des Saints.
Jeroboam peut étendre ses bras sur tout son royaume et déclarer:
Voici tes dieux, Israël, qui t'ont tiré du pays d'Egypte.
Ces mots sont très proches de ceux d'Aaron :
Voilà tes dieux, ô Israël, qui t'ont fait sortir du pays
d'Egypte.
Ces mots nous ramènent au texte, à notre parasha.
Comme nous l'avons noté au tout début, en voyant ses petits-enfants, Jacob
demande : "qui sont ceux-ci?"
"
Et Israël a vu les fils de Joseph et a dit : 'qui sont ceux-ci?' " Rabbi
Its'hak a dit, ce verset est difficile à comprendre car il est écrit "et
Israël a vu", et il est écrit (verset suivant) "et les
yeux d'Israël s'étaient affaiblis par la vieillesse, il ne pouvait
voir!". S'il ne peut voir, que signifie alors (le verset) "Et Israël
a vu"? En fait, il a vu par l'Esprit Saint ces descendants de Joseph,
Jeroboam et ses amis. Il a vu Jeroboam faire deux veaux d'or et dire : 'Ceux-ci
sont tes dieux, O Israël' (Rois-1, 12:28) . Voilà pourquoi il
(Israël) dit (maintenant), "qui sont ceux-ci?" C'est-à-dire "qui
est celui qui un jour dira 'ceux-ci' (sont tes dieux) en désignant des
idoles?", et c'est cela qu' 'Israël a vu'. De là, nous apprenons
que le Juste voit les faits lointains, et le Saint Béni soit-Il
l'orne de Sa propre couronne. (zohar, Béréshit, 227b)
Compte tenu de l'issue tragique
de cet épisode, l'exil des Dix Tribus,
il nous est difficile de comprendre pourquoi D.ieu a créé cette
situation où Jeroboam gouvernerait et détournerait tout Israël.
Pour comprendre cette idée, nous devons revenir à l'autre descendant
de Joseph, qui lui, à l'inverse du précédent, se distingue
par sa grandeur : Josué.
JOSUE
Josué était avant tout l'élève dévoué de
Moshé. Il a certes été le dirigeant du peuple Juif lors
de l'entrée en Terre Sainte mais en réalité, son règne
est un maillon entre son illustre maître et la future monarchie de David.
On peut imaginer que si on lui avait demandé quels mots écrire
sur sa pierre tombale, Josué aurait certainement choisi "élève
de Moshé" tant cela caractérise son rôle et son ambition.
Josué se contentait d'aider Moshé et il aurait préféré que
Moshé reste le dirigeant de la nation. Josué est l'élève
par excellence - un grand homme qui se satisfait d'une position auxiliaire.
Peut-être que cette description nous éclairera sur les caractéristiques
de Joseph lui-même. Nous voyons souvent Joseph par le prisme des rêves
de sa jeunesse : "l'homme qui devait être roi". D'un autre
côté, plus tard dans sa vie, Joseph est toujours l'assistant,
l'aide, le soutien mais jamais le chef absolu. Oui, Joseph atteint la grandeur,
mais il devient le bras droit de Potiphar, puis "le deuxième" homme
le plus puissant d'Egypte : il est toujours le second de quelqu'un.
Peut-être que Joseph se voyait comme Josué vis à vis de
Moshé, comme le second vis à vis de son père, ou même
vis-à-vis de Yehouda, bien que ses frères n'aient jamais réussi à le
voir de cette façon.
C'était le rôle que Jeroboam devait assumer : se contenter d'un
rôle auxiliaire, secondaire, être l'assistant. Après tout,
ses ancêtres étaient les "petits" frères dans
leurs familles respectives : Ephraim, son père Joseph, son père
Jacob, son père Isaac et son père Avraham. Il y a un aspect de
modestie dans le fait d'être plus jeune, que D.ieu trouve très
attachant :
Rav Houna a fait remarquer : "Ne savons-nous pas du récit de la
naissance, qu'il (Ephraim) était plus jeune? [Pourquoi le texte utilise-t-il
le mot 'tsaïr' - plus jeune? Ce mot semble inutile car nous savons que
Ephraïm est né après Menashé]. Tsaïr , signifie
en fait qu'il a minimisé (mats'ir) sa propre importance, et a donc acquis
le droit d'aînesse. Ainsi, si le plus jeune est récompensé parce
qu'il minimise sa propre importance, combien davantage sera récompensé le
plus âgé qui minimise son importance! Si le plus jeune est ainsi
récompensé s'il minimise son importance, combien davantage sera
récompensé un grand homme qui minimise son importance! (Midrash
Rabba - Béréshit 97)
La tâche de Jeroboam était d'aider la dynastie de David à retrouver
de nouveau sa grandeur. Au lieu de cela, il a pathétiquement cherché à sauvegarder
son trône . Ce n'est pas ce que Joseph, ni même Josué,
aurait fait. Le Talmud nous livre un incroyable enseignement qui résume
tout ce concept :
Après cela, Jeroboam ne s'est pas repenti de sa mauvaise voie. Que signifie "après
cela"? Rabbi Abba a dit : "après que Le Saint, béni
Soit-Il ait saisi Jeroboam par son vêtement et lui ait dit : 'Repens-toi.
Alors, Moi, toi, et le fils de Ychaï, nous nous promènerons dans
le Jardin d'Eden'. 'Et qui (marchera) en tête?' demanda-t-il. 'Le fils
de Ychaï sera en tête. S'il en est ainsi, [répondit-il],
je ne le désire pas". (Sanhedrine 102a)
D.ieu saisit Jeroboam par ses vêtements, tout comme la femme de Potiphar
avait saisi Joseph par ses vêtements. Notons que le mot utilisé ici
pour vêtement (begued), est le même mot que "trahison" (beguida)
- faisant allusion à la première trahison de l'homme, dans le
jardin d'Eden. (Adam n'a porté de vêtements qu'après la
faute). Joseph, l'ancêtre de Jeroboam, s'est enfui pour éviter
le pêché. Maintenant, D.ieu rappelle à Jeroboam le comportement
de son illustre aïeul Joseph, et lui offre le paradis.
Mais pour Jeroboam, l'important
c'est de savoir qui tiendra la tête
d'affiche, qui mènera. Si c'est quelqu'un d'autre que lui, même
si c'est le Messie fils de David, il n'est pas prêt à capituler.
C'était son drame. Il était peu disposé à respecter
l'héritage du rôle de Joseph : aider, avoir un rôle secondaire.
Nos Sages nous disent qu'un jour un descendant de Joseph apparaîtra et
préparera la voie pour l'arrivée du Messie fils de David. Pour
accélérer ce processus, nous devons tous être prêts à diriger,
mais le cas échéant, il faut aussi savoir quand passer au second
plan. Nous devons reconnaître l'importance primordiale qu'occupent Jérusalem
et la dynastie de David.
Jérusalem est entourée de montagnes (Psaumes 125:2) - la montée
est laborieuse. Au lieu d'aider le peuple dans son ascension, Jeroboam a créé des
imitations profanes. Toute évolution spirituelle nécessite un
parcours difficile. Nous devons travailler pour aider les autres à gravir
ces collines, plutôt que de s'avouer vaincu et renoncer à l'ascension.
Car à la fin de la montée, une promenade dans le Jardin d'Eden
nous attend. Mais nous devons prouver notre mérite pour que les deux
chérubins à l'épée tournoyante qui en gardent les
portes nous laissent entrer.
NOTES
1)Voir aussi 50:22 et les commentaires de Rashi.
2)Voir Tanhouma, Béchala'h pour le même Midrash avec quelques
différences.
3)"
Et il est venu pour passer en trentième année, en quatrième
mois, en cinquième jour du mois, comme j'étais parmi les exils
par la rivière Kebar, que le ciel a été ouvert et j'ai
vu les visions de D.ieu." Ézéchiel 1:1
4)Mekhilta Shira Chapitre 3. Voir Rashi Shémot 15:2.
5)L'identification entre Joseph et un bœuf ou un veau peut aussi expliquer
les agalot envoyées par Joseph à Jacob, pour assurer son père
qu'il était toujours en vie.
6)Cette association avec Aaron était sûrement intentionnelle de
la part de Jeroboam; il a nommé ses enfants Nadav et Aviya.
7)Le zohar relie les mots de Jeroboam aux mots d'Aaron, bien que Jeroboam
n'ait pas en réalité dit élé, mais plutôt
hiné.
8)Selon le zohar, le problème du Veau D'or était celui
de l'homme essayant de comprendre ce qui est insondable - D.ieu. Le problème était
dans le fait d'être définitif, en indiquant une représentation
et en disant "c'est votre dieu". Le zohar souligne que la
question "qui
a créé le monde" doit conserver un élément
d'inconnu et tout ce que l'homme peut articuler c'est Béréshit
Bara Elokim. Le nom Elokim lie l'élé et le mi, qui est contenu
dans la question "Soulève tes yeux au ciel et vois qui a créé tout
cela" - Mi Bara Elé. Selon le zohar Mi et Elé doivent être
unis. Jacob demande donc à Mi Elé quand il voit Jeroboam.
9)Le Talmud enseigne l'origine étymologique, particulièrement
peu flatteuse de son nom : "Nos Rabbins ont enseigné : [le nom]
Jeroboam [signifie] 'il a déshonoré la nation'". (Sanhedrine
101b)