Joseph Staline avait tort quand il disait «qu’un décès unique, est une tragédie ; alors qu’un million de morts n’est qu’une statistique». Ce n’est pas ainsi que le monde a réagi face à l’horrible désastre qui semble ne jamais prendre fin et continue à se déployer sur le sud-est asiatique à la suite d’un Tsunami aux destructions jamais égalées.
Les chiffres, de l’ordre de 130000 alors que j’écris cet article, dépassent en effet l’ordre de la compréhension. Nous nous sentons pourtant proches de ces évènements lointains par l’intermédiaire de couvertures médiatiques qui font de nous les spectateurs horrifiés de catastrophes qui défient l’imagination de l’homme. Existe-t-il des mots pour décrire l’angoisse d’une mère qui s’accroche à ses deux enfants, contrainte de choisir l’un ou l’autre afin de libérer une de ses mains et de se retenir à un radeau de sauvetage?
Quelle langue peut véhiculer de manière adéquate la terreur des touristes israéliens qui ont découvert que les vagues assassines avaient emporté leur bébé de onze mois hors de leur chambre d’hôtel ?
Une telle pensée donne le vertige et fait fondre en larmes. Ce n’est pas ainsi que les choses sont supposées se passer. Pourtant telle est notre réalité. Tout comme Noé, nous avons été témoins de la dévastation causée par des flots torrentiels. Cette fois cependant, nous n’avons pas reçu d’avertissement. Du temps de Noé, une proportion plus importante de la population fut touché, puisque seuls Noé et sa famille furent épargnés ; mais en chiffres bruts, la tragédie contemporaine peut être évaluée sur l’échelle supérieure. Les survivants sont déjà appelés les Noé des temps modernes. Le garçon qui s’est accroché pendant deux jours à un cocotier est la version contemporaine de l’arche de Noé.
C’est précisément dans cette équation que je perçois quelque chose de troublant. En effet, cet élément a déjà commencé à apparaître de façon méprisable dans certaines publications de nature prétendument «religieuse». Comment cela a-t-il pu se produire ? Il semble que certains n’hésitent pas à se draper du manteau de prophète, à affirmer publiquement leur connaissance d’une intention divine, aussi clairement que si D.ieu leur parlait «face-à-face» comme ce fut le cas avec Moïse. Au lendemain de la tragédie, les faux prophètes de notre époque ne marquent pas un instant d’hésitation alors qu’ils appliquent leur jugement à toutes les victimes.
Peu importe que dans la Bible, ce soit D.ieu Lui-même qui ait expliqué Ses actions. Ces défenseurs de la Foi pensent qu’il est nécessaire de diffamer ceux qui souffrent afin de préserver l’idée de justice divine. Or la mauvaise théologie ne vaut pas mieux que le mauvais comportement. La plupart du temps, on peut dépasser la douleur qui résulte des actes d’autrui. Il est bien plus difficile cependant, de se remettre des représentations erronées que les gens débitent au nom de la religion, et qui altèrent notre propre compréhension de D.ieu et de Ses manières d’agir.
La célèbre scène d’ «Agnès de D.ieu» de John Pielmeier, en est un parfait exemple. Dans ce qui est probablement le moment le plus dramatique de ce chef d’œuvre, le psychiatre désigné par la Cour révèle à la Mère Supérieure la raison pour laquelle elle a abandonné sa foi. Quand elle était jeune, sa meilleure amie venait de mourir dans un accident de voiture horrible. A son école catholique, la nonne lui avait expliqué les raisons de l’évènement en ces termes : «Elle n’avait pas fait ses prières du matin ce jour là, voilà pourquoi elle fut punie par D.ieu.»
Au lieu d’inculquer la crainte nécessaire et le sentiment religieux qui produirait une vie entière de dévotion et de prières, l’«explication» créa un écoeurement ainsi qu’une répugnance envers un D.ieu qui pouvait répondre de manière si cruelle à l’oubli d’une jeune enfant.
Un Travail Biblique
Les catastrophes n’impliquent pas nécessairement de châtiment divin.
En fait, les catastrophes n’impliquent pas nécessairement de châtiment divin ; tout du moins ce n’est pas toujours le cas. Le paroxysme de la souffrance dans la Bible est véhiculé par Job, qui donne son nom à un des Livre biblique. Lorsque les amis de Job assistèrent aux terribles évènements qui frappèrent ce dernier, ils ne purent en tirer qu’une conclusion : cet homme qu’ils croyaient pieux ne pouvait évidemment que les avoir trompés. Leurs «paroles de réconfort» ne pouvaient être que des paroles de condamnation.
Ecoute-nous, dirent-ils à Job. Tu te demandes pourquoi tu te trouves face à un tel dilemme. Tu ne comprends pas les raisons de ta maladie, de la perte de ta fortune et de la mort de tes enfants. Pourtant tu clames haut et fort que tu es un homme de religion et que tu crois en un D.ieu de justice. Tu dois donc certainement savoir que D.ieu ne t’affligerait pas à moins que tu ne mérites Sa colère. Dis-nous donc ce que tu as fait de mal. Cesse ton hypocrisie. Affirmer que tu es pieux alors même que le jugement de D.ieu fait clairement de toi un pêcheur, ne fait qu’aggraver ton crime. Admets, accepte et reconnais la justice du décret divin.
Comme il est facile de juger quelqu’un. Comme il est facile d’assurer que «la punition est à la mesure du crime», même si nous n’avons aucune raison de penser que la victime est coupable.
Evidemment, les «amis» de Job avaient tort. Il leur manquait une pièce maîtresse d’information. Ce que Job dut endurer n’avait rien à voir avec le péché. En fait c’était un saint, si saint que D.ieu décida de le tester, parce que «D.ieu éprouve les justes». Il était censé démontrer à Satan la force des gens pieux, la force de conviction des saints et l’endurance de ceux qui peuvent remettre leur foi en question, mais ne l’abandonnent jamais. Loin de prouver la culpabilité de Job, sa souffrance était la preuve de son statut unique aux yeux de D.ieu.
Les théologiens mal dirigés furent certainement condamnés. D.ieu leur dit :
«Ma colère est enflammée contre toi et contre tes deux amis parce que vous n’avez point parlé de moi avec rectitude comme mon serviteur Job» (Job 42:7)
Le récit prend un tournant inattendu à la fin du Livre alors que D.ieu poursuit Ses «reproches» envers les «amis» en leur disant :
«Mon serviteur Job priera pour vous. Ce n’est que par égard pour lui que je ne vous infligerai pas d’humiliation, car vous n’avez point parlé de moi avec certitude comme mon serviteur Job.» (Job 42:8)
Une Erreur Logique
Comme il est étrange de retrouver aujourd’hui, sous des formes différentes, des échos des théories erronées des amis de Job. Certains prêcheurs populaires Américains affirment aujourd’hui que D.ieu a permis l’attaque du 11 septembre par réaction à des éléments immoraux de la société. Une telle explication est bien entendu insuffisante pour comprendre comment des milliers de victimes innocentes ont été choisis pour subir un tel châtiment. D.ieu pourrait certainement avoir visé de manière plus précise pour exercer Sa punition.
Comment ces leaders religieux peuvent-ils se tromper à ce point ? Ils se rendent coupables d’une erreur courante de logique. Tout étudiant en première année de philosophie sait que, du fait que A cause B, nous ne pouvons affirmer que B constitue la conséquence permanente de A. Des clous répandus sur l’autoroute certes causent la crevaison de pneus. Cependant, toute crevaison de pneus n’est pas causée par des clous sur l’autoroute. On doit le reconnaître, la Bible enseigne que le péché entraîne des conséquences tragiques. Ce qui ne signifie pas que toute tragédie est la conséquence d’un péché.
Pourquoi de dures épreuves surviennent dans la vie de personnes pieuses ? Voilà un débat théologique ancestral. Certains des plus grands érudits de tous les temps ont traité le sujet et sont parvenus à des conclusions variées. Plusieurs approches sont possibles, ainsi qu’une pléthore de réponses. Certains croient que la finitude de l’homme ne lui permet pas d’appréhender l’infini divin. Pour eux, comme Hayim Greenberg le dit de façon si éloquente, «Qui ne peut faire l’éloge de D.ieu alors qu’il se trouve entouré de poussière et de cendres et ne dispose d’aucune explication pour sa souffrance, n’a pas la foi.»
D’autres préfèrent souligner le fait que la souffrance élève l’homme, que les défis sont une occasion de grandir spirituellement et que les tragédies stimulent la créativité de l’homme et son développement. Comme Philip James Bailey l’a dit, «Le chagrin sanctifie les cœurs, même s’il fait vieillir.»
Les mystiques préfèrent mettre l’accent sur l’insignifiance des évènements terrestres par rapport aux qualités de la vie après la mort. Les maîtres de l’éthique juive enseignent qu’il ne nous incombe jamais de juger les autres. Au lieu de cela, en réponse à la tragédie, nous devrions nous tourner vers nous-mêmes et nous demander comment nous pouvons améliorer le monde.
Le dénominateur commun de toutes ces approches, ainsi que de centaines d’autres efforts pour résoudre l’énigme de la coexistence d’un D.ieu bon avec un monde où le mal règne, est la certitude que toute victime n’est pas criminelle. Pourtant, il arrive que le péché entraîne le châtiment divin. Nous ne sommes cependant pas des prophètes. Le Talmud nous encourage : «Je juge jamais seul, car il n’appartient qu’à celui qui est unique (à D.ieu) de juger seul… » (Maximes des pères 4:10).
Aussi affligeons-nous pour les victimes du Tsunami, et épargnons-leur notre condamnation. Conservons notre foi en D.ieu, pas parce que nous pouvons justifier Ses raisons, mais parce que Ses raisons dépassent notre entendement. Faisons en sorte que notre question première au sortir de cette tragédie ne soit pas «Pourquoi est-ce arrivé ?» mais plutôt «Que puis-je faire pour aider ?»