L'amour naturel des parents
pour leurs enfants, fondement affectif de leur relation mutuelle, n'est pas
toujours garant d'une réussite au niveau de l'éducation. L'éducation
n'est pas une démarche spontanée, automatique mais un projet construit.
Et cette construction commence selon le Rav Haïm de Volojin vingt ans avant
la naissance de l'enfant, c'est-à-dire que le parent reproduit un schéma
dont il a fait lui-même l'expérience étant enfant.
Le parent imite ses propres parents pour élever ses enfants et les enfants imitent leurs parents pour progresser.
On apprend d'autre part
qu'honorer son père et sa mère prolonge la vie. Et une des explications
donnée à cette " récompense " est qu'en profitant
de l'expérience de ses parents, on gagne du temps, on évite le
temps qu'ils ont eux perdu dans des parcours erronés. Ces deux interprétations
tendent à relier l'éducation à des processus d'imitation
: le parent imite ses propres parents pour élever ses enfants et les
enfants imitent leurs parents pour progresser. Mais, doit-on attendre des enfants
qu'ils soient une copie, une reproduction à l'identique de leurs parents
?
Tout petit déjà,
l'enfant entend les parents et amis attendris donner leur avis sur sa ressemblance
physique avec son père ou sa mère. Il part dans la vie marqué
par cette similitude comme s'il n'avait d'autre choix que d'être "
un portrait de son père ", " un portrait de sa mère
", " un mélange des deux ". Ces remarques naïves
et souvent vraies délimitent son espace physique dans la lignée
de ses parents. Mais s'il ne peut faire autrement que de leur ressembler physiquement,
comment forge-t-il son caractère ?
Petit, l'enfant tend à
reproduire le modèle que ses parents lui proposent. Adolescent, avec
un regard plus critique et plus analytique sur lui-même et des interrogations
plus élaborées sur le sens de sa vie, il aura tendance à
s'opposer à ses parents pour marquer son territoire, montrer par son
attitude qu'il a bien une pensée propre.
PERSONNALISER LA DEMARCHE
EDUCATIVE
Le parent doit être à l'écoute, disponible et généreux mais aussi perspicace et analytique.
Sa
nature " unique " subit néanmoins l'influence de sa culture,
de son milieu, s'adapte tant bien que mal à son éducation dans
l'harmonie ou le conflit en fonction du niveau de communication établi
avec ses parents. Car pour qu'il y ait épanouissement de sa différence
dans le cadre qui lui est le plus approprié, il faut que ses parents
aient su comprendre " son chemin propre " et l'éduquer dans
cette voie. "Eduque l'enfant selon sa voie". Il faut qu'ils
aient compris sa nature pour canaliser ses aptitudes vers le bien et non pas
tenter vainement de gommer, d'effacer ce qui semble déranger parce que
différent, marginal.
Pour cela, il faut que l'échange
parent-enfant soit à la fois constant, ouvert et intelligent. Le parent
doit être à l'écoute, disponible et généreux
mais aussi perspicace et analytique. Car l'enfant a son propre code qu'il faut
savoir décrypter et cette analyse n'est pas naturelle mais procède
au contraire, d'une discipline exigeante qui se doit pourtant d'être imaginative
et personnelle pour ne pas devenir une technique aride. Elle doit procurer non pas
une angoisse paralysante liée à la peur de l'échec mais
une joie communicative. Et c'est dans ce plaisir manifeste d'être parent
en relevant le défi de toutes les contraintes liées à la
paternité (ou maternité), qu'on donnera à l'enfant, l'envie
enthousiaste d'être un homme.
En lui transmettant son
savoir-vivre, sa façon de regarder le monde, le parent doit proposer
des choix que l'enfant peut se réapproprier. Il doit surtout garder à
l'esprit cette injonction bien souvent mal traduite d'aimer " pour son
prochain comme pour soi-même ", dont l'application première
se fait à l'intérieur de la cellule familiale dans la variété
des rapports que la famille implique.
" Tu aimeras (pour)
ton prochain comme (pour) toi-même". En hébreu le "
pour " de cette expression est supporté par la lettre "
lamed " qui signifie " apprendre " comme pour nous dire que le
seul moyen d'aimer l'autre passait par un apprentissage. Ainsi, le parent en
élaborant l'éducation de son enfant doit continuer à apprendre,
à s'éduquer lui-même, à se remettre en cause. Dans
cette dynamique, il saura éviter le risque de proposer la même
chose à tous ses enfants car chacun d'entre eux a son attente propre.
Peut-être même
que la première erreur pédagogique de l'histoire nous est présentée
à travers l'éducation de ces deux jumeaux tellement différents
que sont Esaü et Jacob. Leurs natures étaient à la base tellement
différentes qu'il leur aurait fallu une pédagogie différenciée
pour peut-être réussir tous les deux dans leurs voies respectives.
Mais ils ont reçu la même éducation, ils étaient
assis sur les mêmes bancs, pris en charge ensemble par leur grand-père
Abraham. Et si cette formation a profité à Jacob, non seulement
elle ne convenait pas à Esaü, mais en outre elle en a fait un rival
haineux.
Bien sûr, il faut
se garder de toute simplification abusive et ne pas considérer la Torah
comme un manuel pédagogique, mais l'échec éducatif est
néanmoins troublant, presque ostentatoire dans ses travers, et se doit
d'être instructif. Le projet génétique semble triompher
du processus éducatif, l'inné l'emporte tragiquement sur l'acquis
peut-être parce que la méthode n'était pas assez adaptée
à chacun des profils.
Enfin, la " formation
continue " aide le parent à se perfectionner et pousse l'enfant
à copier ses parents, à suivre leur exemple non pas parce qu'ils
le lui auront imposé en le privant d'espace propre de liberté
mais au contraire parce qu'il les aura trouvés " exemplaires ".
L'enfant devient " copie " non pas passive et inéluctable mais
consciente et volontaire de ce qu'il trouve de meilleur en ses parents.