Papa et Itamar
Itamar allait d’un pas tranquille vers la synagogue où son papa
l’attendait, comme tous les jeudis après-midi.
Lorsqu’il pénétra dans la salle de prières, il
trouva son père en plein travail. Celui-ci, debout devant l’estrade, était
concentré sur le parchemin d’un énorme Sépher Torah
ouvert. Une plume à la main, il s’apprêtait à réécrire
une lettre que le temps et l’utilisation fréquente avaient effacée.
Car il faut préciser, les enfants, que Monsieur Ben-Tov est ce qu’on
appelle un « Sopher st’am » ! C’est à dire un
Monsieur qui écrit ou répare les Siphré Torah (rouleaux
de la Torah), les Tefillins (Phylactères) et également les Mezouzotes
(petit parchemin que l'on cloue à l’entrée de la pièce).
En hébreu le mot « sopher » signifie scribe et S.T.(a)'M.
sont les initiales de Sepher, Tefillins, et Mezouzotes.
- Oh, bonjour mon garçon, je ne t’avais pas entendu entrer !
dit soudain papa en levant la tête. Comment vas-tu ? Tu as passé une
bonne journée ?
- Bonjour, papa ! répondit Itamar en se précipitant pour l’embrasser.
Oui merci, j’ai passé une très bonne journée !
Puis il se renfrogna un peu, et rajouta :
- Enfin, presque !
- Presque ?!
- Oui ! C’est à dire, et bien voilà ! Le Rav nous a rendu
une interrogation en Hagim (fêtes) et …
- Et tu as eu une mauvaise note ! C’est cela ?
Le petit garçon acquiesça tristement de la tête.
- Ah ! Les questions étaient donc si difficiles ?
- Oh oui ! Attends, je vais te les montrer !
Itamar fit glisser son sac de ses épaules, l’ouvrit et en sortit
une double feuille presque blanche et un peu froissée.
- Tiens ! s’écria-t-il en la lui tendant.
Le père posa sa plume d’oie sur la table, et prit la copie dans
sa main :
- Voyons cela ! dit-il.
Il remonta ses lunettes et lut à haute voix :
- Première question : citez les quatre noms de la fête de Chavouot.
Itamar détourna le regard.
- Mmm, Mmm ! fit le Sopher.
Puis il reprit :
- Deuxième question. Complétez la phrase suivante :
«
Le deuxième jour de Pessah nous entrons dans la période du … ».
Et bien, tu n’as pas su répondre ? s’étonna-t-il
cette fois.
- Non, répliqua tristement le garçonnet.
- C’est pourtant simple ! Nous le comptons ensemble chaque jour ! Le
deuxième jour de Pessah, nous entrons dans la période du Omer
! Le Omer !
- Oui … bien sûr… Mais ce Rav ne sait pas poser les questions
! bougonna Itamar. S’il avait écris « compter » à la
place de « entrer » j’aurais répondu immédiatement
!
Papa gloussa :
- Le Rav n’a peut-être pas posé les questions comme il le
fallait, mais toi, de ton côté, tu n’avais pas appris ta
leçon ! Je me trompe ?
- Non, tu as raison … Mais tu sais papa, ce n’est pas de ma faute… Le
problème est que je n’ai pas eu le temps d’apprendre ! Parce
qu’au début des vacances, j’ai aidé maman au nettoyage
de Pessah, et qu’à la fin nous sommes sortis en famille presque
tous les jours ! Quand aurais-tu voulu que j’étudie ?
- Un petit peu chaque soir, avant de dormir ! Ou encore dans la voiture, à la
place de tes parties de game-boy !
Itamar haussa les épaules :
- Alors toi non plus tu ne me comprends pas ! Tu es comme le Rav !
- Vraiment ? Et qu’est-ce que je ne comprends pas, mon fils ? répliqua
gravement Monsieur Ben-Tov.
- Tu ne comprends pas que les vacances sont faites pour jouer, se reposer,
et non pas pour travailler !
- Oui, je suis d’accord, les vacances sont faites pour s’arrêter
! … Un peu, pas complètement !
Itamar s’assit sur une des marches de l’estrade tout en poussant
un soupir de découragement ! Puis, après un court silence, il
osa :
- Tu sais papa, si j’avais pu décider, j’en aurais choisi
un autre !
Le père, interloqué, fronça les sourcils :
- Un autre ? Un autre quoi ? Je ne saisis pas !
- Voilà ! répondit le garçon avec beaucoup de sérieux
dans la voix. A la fin du Omer, il y a Chavouot, n’est ce pas !
- Oui !
- Et tu es d’accord que Chavouot est la fête du Don de la Torah
!
- Oui ! Mais où veux-tu en venir ?
- Tu m’as enseigné que chaque année, nous comptons le Omer
parce que nous sommes impatients de recevoir le magnifique cadeau que D.ieu
nous a fait ! Nous comptons les jours qui nous séparent de lui !
- C’est exact !
- Alors moi, je t’explique que si j’avais pu décider, le
jour de Chavouot, j’aurais choisi un autre cadeau !
Papa fixa gravement son petit, qui, ainsi assis sur les marches, ne se sentit
tout à coup plus tout à fait à l’aise :
- Ah ! Et quel cadeau aurais-tu demandé ? Une play-station, un ordinateur à cristaux
liquides ou encore une fusée nucléaire !
Itamar baissa les yeux :
- Papa, je ne voulais pas te fâcher …
- Mais je ne suis pas fâché mon garçon !
- C’était simplement pour te dire que j’…
- Que tu n’aimes pas étudier !
- Non, enfin oui… Bref, je voulais te faire comprendre que j’aurais
préféré que la plus importante des « mitsvot » que
D.ieu nous ai demandé d’accomplir soit une « mitsva »… plus… plus … « rigolote »… !
- Plus « rigolote » ? ! Le père éclata de rire. … Plus « rigolote » !
En résumé, tu aimerais que toute l’année soit Pourim
! C’est cela ?
- Oui… Oui, exactement ! J’aimerais que toute l’année
soit Pourim !
- Tu veux que je te dise, petit bonhomme, si toute l’année était
Pourim, tu détesterais Pourim !
- Oh « ça », ça m’étonnerait !
- Et moi, je te le garantis !
- Comment le sais-tu ?
Monsieur Ben-Tov posa la main sur le rouleau ouvert devant lui :
- Parce que j’ai lu dans ce Sépher que D.ieu est notre Papa et
qu’Il ne souhaite que notre bien !
Alors j’ai réfléchi et je me suis dit que si Il a inventé Chavouot,
c’est que Chavouot est indispensable à notre Néchama, autant
que Pourim, et Pessah et toutes les autres fêtes !
Itamar resta un instant ahuri, puis reprit :
- Ce n’est pas la fête que je n’aime pas, Papa ! C’est
son cadeau !
Le père sourit un peu jaune :
- C’est sans doute que tu n’es pas encore prêt !
- Pas prêt ? !
- Non tu n’es pas prêt ! Recevoir La Torah demande une grande préparation
!
- Ah ! Et comment fait-on pour se préparer ?
- On compte le Omer, on prie, et on grandit !
- Je ne comprends pas !
- Ce n’est pas bien grave mon chéri ! conclua-t-il un peu brusquement.
Tu es encore petit, et bien loin de la Bar-mitsva ! Plus tard, si D.ieu t’aide,
tout cela te sera plus facile !
Puis il revint à son travail :
- Voyons ! dit-il avant de refermer le rouleau de parchemin. …Totalement
vérifié, et parfaitement corrigé, notre vieux Sépher
est « cachère » pour la lecture de ce Chabbat !
Il le replaça dans son coffrage de bois verni, puis le rangea très
précautionneusement dans son armoire, parmi les autres rouleaux. Après
avoir fermé les deux portes du Arone (armoire) il tira le long rideau
de velours, descendit de l’estrade, et se dirigea vers la sortie.
- Allez viens, bonhomme ! ordonna-t-il.
Itamar remit son sac sur le dos, et suivit son père dans l’allée
centrale. Le petit garçon se sentait mal à l’aise. Il avait
le désagréable sentiment que la synagogue entière l’accusait
en silence ! Que les gros lions dorés brodés sur la lourde tenture
bleu roi, ne se fixaient plus l’un l’autre, mais le fusillaient
d’un regard de reproche.
Il lui sembla même entendre, dans le fond de l’armoire, des voix
lui murmurer :
«
Ce sont les bébés qui veulent toujours s’amuser ! » ou
encore « Tu es comme ton petit frère Mochico, lui aussi ne s’intéresse
qu’à jouer ! »
Itamar eut envie de répondre que les jeux de Mochico étaient
des jeux de petits, et que par contre les siens demandaient beaucoup plus d’intelligence
et de réflexion ! Mais tout cela était ridicule ! Personne ne
lui avait parlé ! Il quitta les lieux, contrarié. En vérité,
que son père le traite ainsi en bébé, le vexait profondément
!
Lorsqu’il rentra chez lui, il ne courut pas comme à son habitude
devant l’ordinateur. Il alla dans sa chambre, posa son sac à côté de
sa chaise, et s’allongea sur le lit.
Les bras croisés derrière la tête, il regarda le mur où son
frère Dan avait accroché le tableau du décompte des jours
du Omer. Ses yeux se posèrent ensuite sur la photo de la navette spatiale
collée juste à côté du tableau.
A cet instant, sa pensée partit au galop comme un petit cheval ! Par
association d'idées, la navette spatiale se transforma, dans son imagination,
en fusée nucléaire lançant des flammes, brûlant
les météorites, et fonçant à la vitesse de la lumière.
Il se la représenta comme un Sépher géant dont les pilotes
seraient les lettres de la Torah, ou mieux encore, de petites méguilotes
sur pieds.
"Ouaaah !" s’exclama-t-il en lui-même ! C’est
une Torah comme celle-la que j’aurais aimé recevoir !Si pour chaque
question d'une interrogation, plutôt que de farfouiller dans mon livre
ou mon cahier, je partais dans ma fusée chercher la réponse… Ce
serait vraiment merveilleux… Mais pourquoi n’est-ce pas ainsi ?
Après tout, rien n'est impossible à D.ieu !
Son esprit revint donc vers Le Maître du monde, et vers les paroles
de son père : " Si D.ieu a inventé Chavouot, c'est que Chavouot
est indispensable pour notre Néchama !"
Ce devait être la même règle pour la Torah ! Tout à coup,
il eut honte de ce qu'il avait pensé les minutes précédentes.
« C’est pourtant vrai que je suis un bébé !" Les
grands n'ont pas besoin de fusées pour apprendre les secrets du monde
! Son frère, par exemple, ne proteste jamais lorsqu'il a des pages entières
de guemara à « avaler » ! Et puis, un cadeau ni ne se refuse,
ni ne se négocie ! Surtout s’il vient de si haut ! Surtout s'il
est la Torah dans toute sa splendeur, la Torah que Moché Rabénou
avait eu tant de mal à faire descendre ! Je te demande pardon, D.ieu
! murmura-t-il entre ses lèvres. Je ne voulais pas Te faire de la peine
! Je voudrais tant T'être reconnaissant, Toi qui nous as donné un
cadeau si précieux, que même les anges du ciel voulaient garder
! Mais c'est difficile ! Tellement difficile ! D.ieu, je souhaite de tout mon
cœur que Tu m’aides à aimer notre cadeau ! »
Itamar le ne remarqua pas. Mais les mots qui sortirent de sa bouche se groupèrent
en une sorte de boule de lumière et sortirent tout droit par la fenêtre
puis montèrent à la vitesse de l'éclair vers le firmament.
Car vous ne le savez peut-être pas, mais la Téphila des petits
enfants est toujours plus légère et plus rapide que celles des
adultes !
Suite...
Les illustrations sont de Livna Rotnemer.