II y avait une fois un homme dont la pauvreté était extrême.
Une vieille jument, une petite charrette et une pelle, voilà tout ce
qu'il possédait sur cette terre. Il allait sur les collines environnantes
ramasser du sable. Il en emplissait quelques sacs qu'il chargeait sur sa charrette
et s'en revenait les vendre à la ville. Le travail était dur et
rapportait peu. Croyez-vous que sa naturelle bonne humeur en fût affectée
? Pas le moins du monde ! Il lui suffisait d'avoir de quoi subvenir aux besoins
immédiats de la maisonnée. Sa femme et ses enfants comptaient
sur lui.
Un jour, comme il peinait
en creusant de toutes ses forces, sa pelle heurta un corps dur. " Voilà
le sable épuisé ", se dit-il. Il pensait avoir atteint la
roche. Aussi sa surprise fut elle grande quand, au lieu de cailloux, il ramena
une pelletée de pépites d'or ! Il écarta le sable, de l'or
apparut. Où qu'il dirigeât la pelle exploratrice, le précieux
métal affleurait. Le pauvre homme n'en croyait pas ses yeux. Il lui fallut
quelque temps pour revenir de sa surprise. Vint le moment d'agir. Ses sacs contenaient
du sable ; il les vida et les remplit d'or. Il en mit autant qu'il pouvait en
transporter, ne perdant cependant jamais de vue l'état de faiblesse de
sa pauvre jument dont le grand âge était aggravé par une
sous alimentation prolongée.
" Et maintenant, ma
fidèle jument ", lui dit-il, " il va t'être enfin possible
de prendre ta retraite. Fini le labeur ; tu pourras te reposer et avoir autant
d'avoine que tu voudras. Tu sais ce que c'est que l'avoine, n'est ce pas ? Fini
le foin sec pour toi ; tu seras la jument la plus heureuse de la ville ".
Il parlait à la bête,
mais sa pensée était ailleurs. Que de choses il pourrait offrir
à sa petite famille. Il imaginait ce que serait désormais la vie
pour tous. Le tableau avait les couleurs les plus flatteuses. La faim serait
à jamais bannie de chez lui, les enfants iraient à l'école,
sa femme vaquerait paisiblement aux travaux du foyer ; et lui passerait ses
journées à étudier la Torah et à chanter les louanges
de Dieu.
INQUIETUDES
DE L'EPOUSE
Les sacs étaient
prêts quand il s'avisa qu'il n'était peut être pas très
prudent de les transporter en plein jour. On remarquerait vite qu'ils ne contenaient
pas du sable. Et puis il y avait les brigands... Non, ce serait plus sûr
d'attendre que la nuit fût tombée. Ce qu'il fit.
Les heures s'écoulaient,
et sa femme, ignorant la cause de ce retard tout fait inhabituel, s'inquiétait
fort. Le soleil s'était couché et les enfants avaient faim. Si
son mari n'était pas rentré malgré l'heure avancée,
il n'y avait qu'une explication à cela : un malheur lui était
arrivé. Peut être gisait-il enseveli sous un tas de sable ?
La nuit tombait rapidement.
La femme alluma une petite lampe et attendit encore tout en appelant sur son
mari la protection de Dieu.
A ce moment elle entendit
les grincements de la charrette Et peu après son compagnon parut tout
en soufflant et ployant sous le poids d'un sac qu'il portait sur les épaules.
Il le jeta à terre. Vieux et éprouvé par un long usage,
le sac creva, et les pépites d'or roulèrent en tintant sur le
sol.
Le souffle coupé,
les yeux exorbités par la vue d'un tel trésor, la femme regardait,
fascinée. L'instant d'après, elle poussa un soupir et s'affaissa.
Elle était morte.
Le temps passa. Un jour
on demanda à l'homme : " Comment se fait-il que sous le coup tu
ne sois pas mort, alors que ta femme, elle, n'y a pas résisté
? " II répondit : " Quand j'ai vu une montagne d'or, j'ai compris
que je ne pourrais l'emporter tout entière. Cette pensée m'a attristé
; ne pouvoir prendre qu'autant d'or que ma vieille jument pouvait en transporter
! Il y avait de quoi refroidir mon enthousiasme. Pour ma femme, cela n'a pas
été du tout pareil. Je rentre avec un sac plein de pépites
; elle ne sait pas qu'il y en a tant et plus à la montagne, et qui ne
sera jamais à nous. Elle voit l'or, elle n'en a jamais tant vu de sa
vie. Même en rêve. Elle a l'impression que c'est tout l'or du monde
qui tout à coup lui appartient. Le choc a été trop fort,
trop soudain ; la pauvre, c'était plus qu'elle n'en pouvait supporter.
"
NOTRE SAGESSE EST LIMITEE
; CELLE DE DIEU EST INFINIE
Savez-vous, mes amis, pourquoi
je vous ai raconté cette histoire ? Pour que vous compreniez mieux notre
grand Maître, Moïse. Moche Rabbénou fut le plus grand prophète
qui ait jamais existé, comme la Torah le déclare dans les versets
qui la concluent. C'est l'homme qui fut le plus proche de Dieu, le plus sage
et celui dont le savoir fut le plus étendu.
Néanmoins - la Torah
nous le dit aussi - il n'y eut pas au monde de plus humble que lui. Savez vous
ce que cela signifie ? Que Moïse croyait réellement qu'il n'avait
pas assez de sagesse, ni assez de crainte de Dieu. Bref, qu'il n'avait pas assez
de mérite. Il croyait sincèrement que n'importe lequel des six
cent mille hommes dont il était le chef valait plus que lui.
Dès lors, une question
se pose :
Comment est-il possible
que le plus grand, le plus sage de tous les hommes pût croire que sa sagesse
et son mérite fussent insuffisants ?
La réponse, on la
trouve dans l'histoire du marchand de sable que je viens de vous conter. Voyez-vous,
parce que Moïse fut si proche de Dieu, il se rendit compte que sa sagesse,
si grande fût-elle, était peu de chose comparée à
la Source même de la Sagesse.
De même que le marchand
de sable avait découvert une montagne d'or, mais ne pouvait en emporter
qu'une infime quantité, ainsi Moïse vit les trésors de sagesse
qui sont l'apanage de Dieu, et comprit que la presque totalité de cette
sagesse était hors de sa portée. Tout ce qu'il pouvait en posséder,
c'était le peu qu'il pourrait apprendre, c'est à dire l'équivalent
d'une goutte d'eau par rapport à l'océan.
Il en va de même de
tous les hommes véritablement sages. Ils savent qu'ils ont beau apprendre,
ce ne sera toujours que peu de chose en comparaison du trésor infini
de sagesse qui existe, je veux dire la sagesse divine qui est hors de leur portée.
Insensé est celui qui croit tout connaître et se persuade que le
peu de connaissances qu'il a représente tout le savoir du monde.