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Car ils sont mes serviteurs N°2

La Loi Juive exprime un souci particulier pour le respect des droits et de la personne du salarié.

Parmi les préoccupations qui animent une grande partie de la législation juive sur travail figure la crainte que le rapport entre l'employeur et l'employé finisse par se traduire par quelque chose qui ressemblerait à de la servitude.

Les rabbins de la période classique se sont attachés à introduire de la justice et de la compassion sur les lieux du travail de crainte que l'employeur, individuel ou institutionnel, devienne le maître d'un ouvrier virtuellement asservi à son poste.

Ils ont fait appel, à cette fin, à une référence tirée de la Torah (Lévitique 25, 55) et extraite d'un texte consacré à un asservissement et à une servitude. Il est déclaré dans ce texte, évocation d'un lien identique conclu avec le maître comme avec l'employeur, que les enfants d'Israël sont les serviteurs de D.ieu qui les a fait sortir du pays d'Egypte. Le Talmud renchérit sur ce lien en ajoutant qu'ils ne sont les serviteurs que de Lui et non d'autres (Baba Metsi'a 10a).

Tout comme la liberté, le travail pour son propre compte serait l'activité idéale impartie à la condition humaine.

Comme pour ne laisser subsister aucune équivoque, le texte de la Torah prévoit la servitude comme un destin promis à ceux à qui leur extrême pauvreté ne laisse pas d'autre choix, ou comme un moyen de réparer les délits contre la propriété (Lévitique 25, 39 à 43 ; Deutéronome 6, 12 à 15). Bien plus, certaines autorités, au Moyen-Age, ont présenté la liberté comme l'état naturel d'un peuple dont les membres ne sont les serviteurs que de D.ieu seul. Même dans les circonstances les plus dramatiques et même s'il est poussé par la motivation la plus pure, un membre du peuple juif n'a pas le droit de transgresser ce principe fondamental.

Certains commentaires sont même allés jusqu'à suggérer que cette exigence de liberté pourrait interdire toute forme de subordination dans le travail. Si l'on ne doit servir que D.ieu, ont-ils raisonné, si la servitude pour cause de pauvreté ou pour cause d'infraction à la loi pénale transgresse Sa volonté, peut-être alors ne doit-on jamais non plus être hiérarchiquement subordonné à un autre, même si l'on reçoit un salaire en retour. C'est ainsi que, tout comme la liberté, le travail pour son propre compte serait l'activité idéale impartie à la condition humaine.

Cependant, un consensus semble se dégager, à l'encontre de cette proposition étonnante, pour affirmer que les réserves formulées contre l'asservissement, qui constituent des menaces à l'intégrité de la personne, ne s'appliquent pas à l'emploi salarié, où l'on reste fondamentalement indépendant (1).

 

LA PROTECTION DES SALARIES

 

Toutefois les rabbins, très préoccupés par les garanties à fournir à la personne du salarié, se sont efforcés de lui procurer d'importants avantages et des prérogatives considérables. Par exemple, et comme pour symboliser sa liberté d'action et de mouvement, celui-ci est libre de rompre son contrat de travail, " même au milieu de la journée ". Cette faculté, par la suite, a cependant été réduite en cas de dommages ou de perte certaine pour l'employeur. Il va de soi que l'ouvrier doit rembourser tout paiement qu'il aura reçu pour le travail resté inachevé. Cependant, s'il ne dispose pas de la somme nécessaire, il a le droit d'étaler sa dette dans le temps sans que cela puisse porter atteinte à sa liberté de rompre son contrat (Baba Qama 116b, Baba Metsi'a 10a) (2).

Parallèlement, la Torah présente les efforts que doit déployer le serviteur hébreu comme un " double service " par rapport à celui d'un ouvrier (Deutéronome 15, 18). Étant donné que la durée normale de la " servitude " est de six ans, celle du contrat de travail a souvent été limitée à trois, toute durée supérieure étant tenue pour dangereusement proche de la servitude, car il y a risque que l'état de salarié soit transformé en celui de serviteur. Il faut considérer, selon rabbi Mordekhaï ben Hillel, que plus de trois ans éloignent de la catégorie d'ouvrier. Certes, on ne devient pas pour autant un " serviteur ", avec tout ce que cela implique du point de vue légal. Cependant, dès lors qu'on s'est éloigné de la catégorie d'ouvrier, on a transgressé la mitsva : " Car c'est à Moi que les enfants d'Israël sont des serviteurs… " (3).

Cette image de servitude et les obligations légales qui lui sont attachées ont exercé de plusieurs autres manières une influence sur la protection des salariés.
C'est ainsi qu'il est apparu une prédisposition à leur garantir tous les avantages et toutes les prérogatives dus au serviteur hébreu. Celui qui viole un principe religieux fondamental en renonçant à sa liberté continue d'avoir droit à divers avantages matériels et personnels.
Par conséquent, ont raisonné les rabbins, ces avantages doivent être également garantis à ceux qui ont choisi une voie plus autorisée pour gagner leur vie.

Le raisonnement est énoncé succinctement dans des décisions émises par le Sage médiéval Rabbi Méir ben Baroukh de Rothenburg, lequel considère que tout avantage dont bénéficie le serviteur hébreu doit être octroyé, a fortiori, au travailleur salarié.
Car le serviteur hébreu a commis une transgression et a néanmoins bénéficié de l'indulgence du Miséricordieux. Il doit donc en être ainsi, à plus forte raison, pour un travailleur qui n'a pas commis de transgression…(4)

.En ce qui concerne le congé de maladie, le Talmud nous apprend qu'un serviteur hébreu a le droit de manquer, pour cause de maladie ou de blessures, jusqu'à la moitié des jours de son asservissement.

Ce point de vue a trouvé une ample application dans au moins deux domaines : l'indemnité de rupture et le congé de maladie. Dans le premier cas, le texte spécifie que, lorsque l'asservissement parvient à son terme, le maître doit traiter son serviteur hébreu avec bonté et compassion pour marquer son départ (Deutéronome 15, 12 à 15). Il doit partager avec lui ce que ses champs et ses troupeaux ont produit de meilleur pendant les années où il a servi. Que cela fasse partie de sa rémunération, ou que cela s'inscrive dans une attitude de philanthropie, le maître est adjuré de ne pas " le renvoyer à vide ".

Quoique la pratique de l'asservissement en tant que tel ait cessé avec la destruction du Temple, les " gratifications " versées en fin de période sont restées un modèle pour les indemnités de rupture versées à toutes les catégories de salariés. Ceux-ci ont droit à un traitement similaire, même si la durée de leur travail a été considérablement inférieure aux six années du serviteur. (5)

En ce qui concerne le congé de maladie, le Talmud nous apprend qu'un serviteur hébreu a le droit de manquer, pour cause de maladie ou de blessures, jusqu'à la moitié des jours de son asservissement, c'est-à-dire trois années, sans être redevable du temps de ce congé. À l'expiration de son terme, il est libre de partir, et il n'est pas tenu de verser à son maître une compensation pour le temps perdu (Qiddouchin 17a).
Dans une série de décisions impliquant des précepteurs embauchés par une famille, certains décisionnaires médiévaux ont pris une fois de plus pour modèle le travailleur soumis à asservissement, affirmant que le travailleur salarié devait pouvoir bénéficier d'une liberté similaire, car " tout avantage dont bénéficie le serviteur hébreu doit être octroyé au travailleur salarié ".(6)

En revanche, les Tossafistes, membres d'une école française médiévale de savants talmudistes, adoptent une position contraire, qui tient compte de leur insistance à marquer les différences entre travailleur salarié et serviteur assujetti à un maître.

En dehors d'arguments largement basés sur des précédents talmudiques, ils considèrent que celui qui a autorité sur un serviteur a le droit à tous les efforts que peut déployer ce dernier, et qu'il reste en conséquence tributaire des limitations auxquelles est soumis celui qui lui est assujetti, et donc qu'il ne peut pas prétendre lui imposer une tâche ou un service spécifiques. Si un serviteur tombe malade ou souffre de blessures, son maître ne peut faire valoir contre lui aucune prétention ni ne peut différer l'expiration de son asservissement. Tandis qu'avec un collaborateur salarié, comme un précepteur, c'est sur l'habileté et la compétence de ce dernier qu'a été conclu le contrat pour une durée prédéfinie. S'il omet de tenir ses engagements, l'employé n'a d'autre droit que celui d'être rémunéré pour le travail qu'il a effectivement accompli.(7)

 

LE RESPECT DU SALARIE


 

En plus de l'état d'homme libre et non asservi où se trouve le salarié, on peut citer encore une autre source talmudique qui rend compte de la dignité spécifique qu'il peut revendiquer. Cette source nous rapporte une anecdote survenue à un Sage du Talmud, Rabbi Yo'hanan ben Massiya, qui était également un employeur, et qui demanda un jour à son fils d'aller lui embaucher des ouvriers. Le fils en a effectivement recruté en convenant avec eux qu'il leur serait fourni des repas.
À son retour, son père lui dit : " Mon fils ! Même si tu devais leur faire servir un repas digne du roi Salomon, tu n'aurais pas exécuté tes obligations, car ce sont des enfants d'Abraham, Isaac et Jacob. Cours leur préciser, avant qu'ils commencent leur travail, que nous ne leur fournirons que du pain et des haricots ! " (Baba Metsi'a 83a).

Malgré leurs différences de statut, les travailleurs possèdent au moins une caractéristique commune avec les employeurs : la noblesse de leur lignée

Au-delà de l'étendue de l'obligation incombant à l'employeur de fournir de la nourriture à son salarié, question qui a été ultérieurement débattue par le Talmud lui-même, Rabbi Yo'hanan nous révèle un autre principe de base qui caractérise les relations de travail selon la loi juive : malgré leurs différences de statut, les travailleurs possèdent au moins une caractéristique commune avec les employeurs : la noblesse de leur lignée. À l'appui de leur revendication de n'avoir à servir que D.ieu, ils sont en droit de faire valoir qu'ils descendent eux aussi des patriarches bibliques.

C'est en s'appuyant sur cette filiation qu'ils réclament de leur employeur respect et dignité, nonobstant leur infériorité quant à leur niveau social. Cette exigence n'est pas sans analogie avec la direction des affaires publiques : les administrateurs communautaires et les dépositaires de l'autorité se doivent de ne jamais manifester d'arrogance, ni de tenir leurs administrés pour quantité négligeable. Ceux-ci doivent être traités avec considération et respect comme étant les dignes rejetons d'une illustre ascendance. (8)

On notera que l'anecdote survenue à Rabbin Yo'hanan ben Massiya et à ses salariés est reprise ailleurs, à l'occasion d'un débat difficile sur la validité des contrats verbaux (Baba Metsi'a 49a). Le Talmud y introduit une exception à ce qui paraît constituer une rupture unilatérale d'un accord dépourvu d'efficacité portant sur la fourniture de nourriture à des ouvriers.

Les rabbins rejettent l'objection en expliquant que le caractère obligatoire de ce contrat verbal, s'il avait existé, aurait dépendu des salariés et de leur compréhension de ses termes.
S'ils n'avaient pas encore commencé de travailler, c'est probablement parce qu'ils n'étaient pas sûrs que le fils avait autorité pour exécuter un tel engagement, et donc ils attendaient l'accord de Rabbi Yo'hanan lui-même. Aucun contrat n'avait encore acquis force exécutoire et ses termes pouvaient encore être révisés. En revanche, si le travail avait commencé, cela aurait constitué une claire indication qu'ils avaient accepté l'autorité du fils comme représentant qualifié de leur employeur, et Rabbi Yo'hanan aurait été lié par les stipulations conclues en son nom.

 

(1) Toujours est-il que la dignité des ouvriers, telle qu'elle résultait de la noblesse de leur généalogie, n'a jamais été contestée.

 

(2) Voir par exemple : Tossafoth Baba Metsi'a 10a, s.v. Ki li.

(3) Voir Maimonide, Yad - Hilkhoth sekhirouth 9, 7 et Rabbi Yossef Karo, Choul'han 'aroukh, 'Hochène michpat 333, 3.

(4) Rabbi Mordekhaï ben Hillel, Mordekhaï, Baba Metsi'a § 460.

(5) Rabbi Méir ben Baroukh (MAHARAM) de Rothenburg, Cheéloth ou-techouvoth ha-Maharam méRothenburg, spécialement § 85 et 79. Voir aussi Rabbi Mordekhaï ben Hillel, Mordekhaï, Baba Metsi'a § 347.

(6) Séfèr ha'hinoukh § 483.

(7) Rabbi Mordekhaï ben Hillel, Mordekhaï, Baba Metsi'a § 346. Voir aussi Maimonide, Yad - Hilkhoth 'avadim 2, 5.Tossafoth Qiddouchin 17a, s.v. 'Hala chaloch.

(8) Voir par exemple : Maimonide, Yad - Hilkhoth Sanhédrin 25, 1-3.

Traduction et adaptation de Jacques KOHN


A PROPOS DE L'AUTEUR
le Dr David SCHNALL
Le Dr. David SCHNALL est professeur de Gestion et d'Administration à la Yeshiva University.
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