Le
hidour est d’une certaine façon un embellissement de la mitzva
(commandement). Cet embellissement ne consiste pas en un ajout. La mitzva quantitativement
et structurellement se doit de rester telle qu’elle est. Ajouter tout comme
soustraire est interdit.
« Lo tossifou/ lo tigréou » (ne pas ajouter, ne pas diminuer)
sont les bornes quantitatives posées une fois pour toutes par la Torah
sur la pratique et la réalisation des mitzvoth. Nous ne saurions par
exemple résider dans une Soucah un jour de plus, par rapport aux exigences
de la Torah, car ce jour de plus serait un jour de trop. Nous ne pouvons pas
non plus mettre des franges (tsitsit) sur des vêtements qui n’auraient
que trois coins du fait que la Torah ne l’exige que pour ceux qui en
ont quatre. Et ainsi de suite.
Le hidour, l’embellissement et l’élévation de la
mitzva vers un niveau supérieur ne consiste pas en un plus en terme
de quantité, mais revient à faire toujours mieux. Il s’agit
d’un certain point de vue de dégager de la mitzva sa beauté intrinsèque.
Cet embellissement peut être atteint selon deux grandes modalités.
ESTHETISER LA PRATIQUE
Une modalité concrète qui vise à rendre la mitzva belle, à l’esthétiser.
Mais cette esthétisation ne s’élabore pas par rapport à des
canons de beautés reconnus, mais relativement aux exigences de la mitzva
et à nous-même.
Chercher à obtenir la plus belle flamme possible des bougies de ‘hanouka
en utilisant l’huile la plus pure et en les disposant de la meilleure
façon possible ; chercher le plus bel étrog (cédrat) pour
rendre la mitzva du loulav encore plus belle, c’est établir un
rapport personnel, relativement subjectif entre l’idée de beauté et
la réalisation de la mitzva.
La beauté n’intervient pas ici dans le souci de représenter
ou d’extérioriser l’objet. Elle est rapport individuel à la
chose, à l’objet de la mitzva. Ce rapport n’est pas anecdotique,
une sorte de vernis superficiel dont on envelopperait la mitzva. Il exprime
un certain type de rapport à la mitzva, notre façon de la voir
et de la concevoir. En ce sens, nos mitzvoth nous ressemblent, elles contiennent
quelque chose de nous qui transparaît dans leur aspect esthétique.
Mais la beauté que nous faisons émaner d’elles n’a
rien à voir avec la beauté artistique, dans le sens où elle
sert concrètement à quelque chose. L’objet d’art
dans son essence n’est pas conçu pour servir. Il peut avec le
temps devenir utile, il n’a pas été pensé pour être
fonctionnel. Certes, aujourd’hui le terme d’ « Art » s’applique à tout
et n’importe quoi : une voiture, le geste d’un joueur de football,
une affiche publicitaire. Dans l’objet de la mitzva, le hidour agit sur
sa fonctionnalité même. Du reste, cet objet ne vaut et ne possède
sa beauté que parce qu’il peut servir à la mitzva, il lui
donne une dimension différente, plus élevée.
Les objets rituels que l’on trouve dans les musées d’art juif ne sont pas des objets d’art, dès lors qu’ils peuvent servir à accomplir des mitzvoth.
De ce point de vue les objets rituels que l’on trouve dans les musées
d’art juif ne sont pas des objets d’art, dès lors qu’ils
peuvent servir à accomplir des mitzvoth. Sortis de leur cage de verre
où ils sont les représentants du passé, ils pourraient
immédiatement servir à pratiquer ici, aujourd’hui, maintenant.
Ces objets sont des objets éternellement présents qui n’ont
pour histoire véritable et aboutissement que l’utilité que
j’en fais au présent.
INTENSIFIER L’ACTE
L’autre dimension du hidour, c’est une certaine qualité intérieure
dont nous investissons la mitzva. Un supplément de conscience, de ferveur,
de joie qui l’embellit, lui confère une épaisseur et une
intensité. Ce hidour est possible en intégrant dans la mitzva une dimension éthique ou de don de soi pour D.ieu. La beauté se
fait ici beauté intérieure, beauté du regard et de l’attention
portée à autrui et à la volonté de D.ieu.
Le hidour de la tsedaka : donner sans savoir à qui l’on donne
sans que celui qui reçoit ne sache qui lui a donné. Le donneur
n’a nul orgueil. Le receveur n’éprouve aucune honte et ne
se sent pas redevable.
Le hidour n’implique aucune représentation, aucune démonstration,
mais un resserrement, une densification du rapport à la mitzva.
Sans doute ce hidour ne donne-t-il la possibilité d’exprimer
quelque chose, mais cette expression n’est pas de l’ordre de l’épanchement,
ou de la pulsion, elle s’intègre dans le cadre de la mitzva à laquelle
je ne peux rien soustraire ou ajouter.
La mitzva et son exigence de hidour, nous pousse en vérité à découvrir
en nous une esthétique de l’intériorité, à faire
attention à ce qu’il y a de beau en nous et que peut-être
nous ignorons.