Les Bra’hot relient l’âme à l’Infini.
Selon l’expression de Rabbi Haïm de Volozine (disciple du Gaon de Vilna - début du 19ième siècle), de même que la nourriture aide l’âme à s’attacher au corps (car sans aliments, en fin de compte, l’âme s’en détacherait), les Bra’hot relient l’âme à l’Infini. D’après les Cabalistes, c’est dans la bouche que l’âme et le corps fusionnent. C’est la raison pour laquelle les aliments y pénètrent (car ils entretiennent le processus de fusion) et que les Bra’hot y sont prononcées (car elles maintiennent le lien de l’âme avec l’Infini).
Théoriquement, nous pourrions tous formuler nos Bra’hot comme bon nous semble, et c’était justement ce que l’on faisait aux prémices de l’histoire juive. Cependant, parallèlement au déclin socio-politique qui provoqua la captivité de Babylone, se produisit une décadence spirituelle, caractérisée, entre autres, par un manque de précision dans le langage. C’est pourquoi, la Grande Assemblée codifia les Bra’hot afin de les perpétuer.
De nous jours, on considèrerait comme inconvenant de composer ses propres Bra’hot, en raison d’une part de notre incapacité de percevoir les nuances de langage et d’autre part parce qu’il faut des textes communs pour préserver l’unité du peuple juif.
On pourrait néanmoins objecter qu’un texte uniforme limite la créativité; en fait, c’est le contraire. Considérez que chaque Bra’ha soit une sonate. Chacun d’entre nous est un musicien qui aura tout loisir de donner libre cours à son inventivité. Comme une mélodie, une Bra’ha doit être vocalisée, et non pas confinée au stade de l’imaginaire.
Les émotions trouvent dans la musique leur plus pur moyen d’expression et peuvent en être profondément affectées, tout particulièrement quand cette musique est sublime. De la même façon, la parole est la concrétisation de la pensée; et c’est par son intermédiaire qu’on peut ainsi la contrôler.
Une Bra’ha, c’est la vision qu’on aurait d’une série de notes inscrites sur une portée et qu’il faut exécuter pour accéder à un état réel de méditation.
DE L’éVIDENT AU SUBLIME
La plupart des Bra’hot sont construites sous un même modèle. Les premiers mots évoquent l’idée de l’établissement d’une connexion transcendantale: “barou’h ata…” qui signifie littéralement “Sois-Tu béni…”
“Barou’h” vient du mot “brei’ha” qui veut dire source, la source de l’expérience que l’on vit à cet instant-là.
“Ata” veux dire “Tu” – une façon très personnelle et pleine d’amour pour s’adresser à Celui qui est Infini! Par conséquent, le sens du début des Bra’hot est “Tu es la source…”
Nous utilisons la deuxième personne du singulier car l’être humain a tendance à être attiré par toute personne qui lui est familière. Je me sens immédiatement plus proche de quelqu’un à qui je peux dire “tu” plutôt que “vous”. La distanciation en sera plus grande si j’utilise la troisième personne. C’est pourquoi, bien que nous parlions de l’Etre infini sans toutefois Lui adresser vraiment la parole, les mystiques nous ont donné les Bra’hot dans le langage du dialogue. Et c’est de cette manière que la méditation peut être authentique et personnelle.
Ensuite, dans la majorité des Bra’hot figurent quatre noms, chacun d’eux étant une tentative pour appréhender l’Infini dans les limites de l’esprit humain. En les prononçant, on passe de ce qui est le plus évident à ce qui est le plus sublime:
Adonaï: l’Etre qui a été, qui est et qui sera à tout jamais
Eloheinou: notre Force et celle-là même qui sous-tend la nature
Mele’h: le Roi et le Chef d’orchestre qui dirige tous les événements
Ha-olam: le monde fini qui “dissimule” l’Infini
En résumé, une Bra’ha commence par:
« Tu es la source - Celui qui a été, qui est et qui sera pour toujours – notre Force, Celui qui dirige le monde caché… »
Le reste de la Bra’ha spécifie l’expérience qui va être vécue. S’il s’agit de manger un fruit, la Bra’ha se termine par “ …qui crée les fruits.” En effet, les quatre appellations mentionnées ci-dessus définissent une force qui, évidemment, a le pouvoir de créer les fruits et tout ce qui compose la vie.
La Bra’ha, tout entière, a le pouvoir de nous faire méditer et, par là, de nous aider à nous concentrer sur le fruit que nous allons consommer et d’en apprécier tous les aspects - y compris le fait qu’il existe vraiment et que je puisse en jouir!
L’idée qui s’avèrerait complètement fausse serait de penser que le fruit est infini ou pire encore que c’est l’Infini. Mais ce que l’on peut dire plus exactement, comme notre langage nous le permet, est que le fruit fait partie de l’Infini. L’Infini est là, mais une fois de plus, il est partout. On peut choisir de manger le fruit d’une manière qui nous aidera à élargir notre conscience du caractère infini de l’Infini. La Bra’ha est, de la sorte, un outil très efficace pour transcender la perception normale que nous avons des choses.
PHRASES SERVANT à LA MéDITATION
Puisque chaque Bra’ha, en se référant à une expérience unique et isolée, a pour but d’insuffler dans la vie de chacun une part d’étonnement, on devrait essayer d’utiliser les Bra’hot conjointement avec l’éventail complet des expériences vécues.
C’est, en fait, précisément ce que la Grande Assemblée a codifié. Elle a rédigé des Bra’hot pour toutes sortes d’expériences qui vont transporter l’individu au “septième ciel” et lui faire transcender le fini. Son dessein était de lui fournir un outil qui transforme ses expériences quotidiennes les plus banales en expériences mystiques.
La Grande Assemblée était constituée des plus grands sages d’Israël; parmi eux figuraient trois prophètes bibliques: Haggaï, Zacharie et Malachie. Dotés d’une perspicacité des plus profonde à la fois dans la nature humaine et dans la langue hébraïque, ils ont créé des phrases qui provoquent la méditation chaque fois que l’on s’éveille, que l’on va se coucher, que l’on mange, que l’on fait ses besoins, que l’on met ses chaussures, que l’on salue un ami que l’on n’a pas vu depuis longtemps, que l’on est témoin d’un phénomène naturel, que l’on a un enfant et que l’on apprend la mort de quelqu’un.
Par exemple, chaque type de nourriture a sa Bra’ha appropriée. il y a une Bra’ha quand on voit un éclair et une autre Bra’ha quand on entend le tonnerre. Il y a une Bra’ha quand on voit un arc-en-ciel et une Bra’ha pour des parents qui ont mis au monde un bébé pour la première fois. En apercevant une personne ou un animal étonnamment beau, on prononcera une Bra’ha spéciale, de même s’il on voit une personne ou une bête laide et déformée (après tout, elles proviennent de la même origine).
Il y a une Bra’ha pour une bonne nouvelle à laquelle on ne s’attendait pas et même pour une mauvaise nouvelle. Il y a une Bra’ha quand on voit un éminent érudit et aussi uneBbra’ha après être allé aux toilettes. (La plupart des livres de prière contiennent le texte de ces bénédictions)
UNITé SPIRITUELLE
Les Bra’hot ont une telle influence bénéfique sur notre capacité d’étendre la conscience que nous avons des choses, que le Talmud recommande de dire cent Bra’hot par jour, ce qui correspond, en considérant les 16 heures normales d’activité journalière, à une Bra’ha toutes les dix minutes.
Bien qu’il soit pratiquement plus facile de les grouper plusieurs fois par jour, en s’efforçant de prononcer cent Bra’hot tout au long du jour, on ménagera ainsi des instants de méditation que les Bra’hot ont le pouvoir de créer avec tant de succès.
La Grande Assemblée avait un objectif secondaire quoique important. Suite à la conquête babylonienne 70 ans auparavant, les Juifs avaient été disséminés dans différentes parties du monde et avaient adopté des langues maternelles étrangères. Cette dispersion démographique allait durer 2400 ans. A ce jour, seule une minorité des Juifs vivent en Israël et parlent l’hébreu (qui a évolué de l’hébreu biblique à une langue qui peut être considérée malgré tout comme suffisamment différente). La liturgie commune, qui avait été alors fixée, a servi de contrepoids et a permis de maintenir l’unité spirituelle du peuple juif malgré son éparpillement géographique et culturel.
La pierre angulaire de cette spiritualité commune est la Bra’ha. Le monde matériel nous offre l’alternative suivante: en jouir comme un gourmet (au niveau spirituel) ou comme un glouton (au niveau matériel). L’apprécier seulement tel qu’il est ou utiliser l’expérience esthétique permettant d’accéder en un bond à la conscience transcendantale.
La Bra’ha est une méthode conviviale qui hisse l’expérience esthétique au “septième ciel”, là où chaque moment de la vie peut et doit se trouver.
*Définitions des mots selon l’Introduction à la philosophie critique d'Emmanuel Kant
Etonnement: C'est l'affection dans la représentation de la nouveauté qui dépasse ce que l'on attend. C'est un choc de l'esprit qui procède de l'incompatibilité d'une représentation, ainsi que de la règle qu'elle donne, avec les principes qui se trouvent déjà dans l'esprit comme fondements; et celui-ci suscite un doute: a-t-on bien vu? A-t-on bien jugé?
Transcendantal: Qui n'est pas déterminé par quelque chose d'empirique comme par exemple le sentiment de plaisir.
Extrait de "The Art of Amazement: Discover Judaism's Forgotten Spirituality," du Rabbin Alexander Seinfeld (Daas Books, Avril 2003).
Traduction et adaptation de Claude KRASETZKI