Après la mort d'Alexandre
le Grand, le vaste Empire Grec a été divisé en trois parties
:
- La Grèce séleucide
ou assyrienne
- La Grèce ptoléméenne
ou égyptienne
- La Macédoine
ou la Grèce proprement dite, y compris les villes-Etats indépendantes
comme Athènes, Sparte, etc.
Au début, Israël
est tombé sous l'autorité des Ptolémées d'Egypte.
Ceux-ci se sont comportés généralement avec bienveillance,
dans l'esprit qui régnait dans leur capitale, Alexandrie, capitale culturelle
du monde.
Les choses ont cependant
changé en 198 avant l'ère commune, après la bataille de
Panyas (ou Banyas, un site situé dans le nord d'Israël que l'on
peut visiter aujourd'hui), qui a vu la victoire des Séleucides d'Assyrie
sur les Ptolémées.
Le nouveau roi séleucide,
Antiochus Epiphane, était soumis à de nombreuses pressions. Il
lui fallait résister aux Ptolémées et se préoccuper
de la montée en puissance de Rome.
Il constata que le maillon faible dans ses défenses était Israël.
Ce pays était bordé par l'Egypte et la Mer Méditerranée
- d'où les Romains pourraient débarquer - et pire encore, les
Juifs n'étaient pas de culture grecque. Telle était la situation
à laquelle il a voulu porter remède.
QUAND DES
MONDES ENTRENT EN COLLISION
Quand les Grecs, qui avaient
conquis tout le monde connu, ont rencontré pour la première fois
les Juifs, ils ont été déconcertés. Ils n'avaient
jamais rencontré de gens comme eux.
Les Juifs étaient
alors les seuls monothéistes sur terre et ils souscrivaient à
une vision du monde qui était totalement différente des autres.
En particulier, ils croyaient que tout ce qui existe avait été
créé et était maintenu en existence par un Dieu unique
et invisible, infini et immanent. Ces idées, et tout particulièrement
celle d'une divinité se préoccupant de la vie des êtres
mortels, les Grecs les trouvaient incompréhensibles.
Les idéaux juifs de paix, de fraternité, de responsabilité sociale, étaient aux antipodes des valeurs grecques.
Et surtout,
les Grecs ne pouvaient pas comprendre la vision juive de la Tora. C'était
un livre ancien, que les Juifs prétendaient avoir reçu de leur
Dieu, et qui contenait des enseignements étranges sur la manière
de vivre dans une atmosphère de paix, de fraternité, de responsabilité
sociale, de respect pour la vie - toutes valeurs très éloignées
de leur champ de vision.
Bref, les Grecs
ne savaient que faire des Juifs.
Les Juifs étaient
tout aussi déconcertés. Les Grecs tenaient en haute estime l'instruction
et les choses de l'esprit - préoccupation largement partagée par
eux. Ils parlaient une belle langue, que les Juifs appréciaient beaucoup.
(Le Talmud dit de la langue grecque qu'elle est la plus belle du monde, la seule,
hormis l'hébreu, dans laquelle il est permis d'écrire un rouleau
de Tora cachère.)
De fait, la Tora a été
promptement traduite en grec (au troisième siècle avant l'ère
commune), la première traduction dans l'histoire juive. Cette traduction
a été appelée les " Septante ", d'après
les 70 rabbins qui l'ont réalisée.
(Cette traduction a toujours
été considérée comme un désastre national
pour le peuple juif. Désormais accessible aux non-Juifs, la Bible hébraïque,
délibérément mal traduite, a été souvent
employée contre nous. Les Bibles chrétiennes écrites dans
nos langues vernaculaires dépendent aujourd'hui de la traduction grecque
qui a été traduite en latin, la langue de l'Empire Romain. On
imagine facilement la quantité de fausses interprétations et d'erreurs
dont sont émaillées ces traductions.)
Il était cependant
inévitable que la Bible hébraïque soit traduite en grec,
devenu la langue commune de toutes les civilisations méditerranéennes.
Et les Juifs, qui parlaient déjà surtout l'araméen depuis
qu'ils étaient partis en exil en Babylonie, se sont mis à parler
également grec. C'est ainsi que l'usage de l'hébreu s'est trouvé
cantonné aux prières et à l'étude.
Malgré cette appréciation mutuelle, qui a d'ailleurs appâté
beaucoup de Juifs, les vastes différences entre les deux civilisations
ne pouvaient pas être tolérées longtemps par la culture
dominante.
L'HELLENISATION
FORCEE
La lune de miel prit fin
avec éclat quand Antiochus Epiphane prit des dispositions délibérées
entre 169 et 167 avant l'ère commune en vue d'helléniser les Juifs
d'Israël afin de détruire le judaïsme. Le livre des Maccabées
dit de cette période qu'elle a été le " règne
de la terreur ".
La première chose
que fit Antiochus a été de prendre le pouvoir à Jérusalem.
Il destitua le grand prêtre de ses fonctions et le remplaça par
un homme à sa dévotion. C'est à partir de ce moment que
la grande prêtrise est devenue, dans une large mesure, une institution
corrompue (comme nous l'avons expliqué au chapitre 25).
Cette corruption va finir
par affecter toutes les institutions de la vie juive : la monarchie, la prêtrise,
le service du Temple. Ne resteront relativement intacts que le Sanhédrin,
la Cour Suprême juive, et ses rabbins qui écriront plus tard le
Talmud, ainsi que nous le verrons.
Après qu'il a installé
son propre grand prêtre, Antiochus essaya d'abolir le calendrier juif.
Ce sont les Grecs qui ont inventé la persécution religieuse, un concept jusque-là inconnu dans l'histoire.
Antiochus, à cette
époque, comprenait très bien les Juifs. Pour lui, ces gens étaient
obsédés par le temps : ils essayaient de le rendre sacré.
Détruisez le temps et vous détruirez l'aptitude des Juifs à
pratiquer le judaïsme. Antiochus va donc interdire l'observance du Chabbath,
celle de la Néoménie (Roch 'Hodèch), et celle des fêtes
- Pessa'h, Chavou'oth, Roch hachana, Yom Kippour et Soukoth.
Ensuite, Antiochus va interdire
d'observer la cacherouth et d'étudier la Tora. Les rouleaux de Tora furent
brûlés publiquement, et l'on sacrifia des porcs sur des ouvrages
sacrés afin de les rendre impurs. De fait, Antiochus semblait obsédé
par le porc, sachant que cet animal est particulièrement répugnant
aux Juifs ; il força même le grand prêtre à offrir
des sacrifices de porc dans le Temple de Jérusalem, et aussi à
y favoriser l'adoration de tout un échantillonnage de divinités
grecques. (Voir I Maccabées 1, 41 à 64.)
Enfin, Antiochus décida
d'interdire la circoncision. Pour les Juifs, c'était le signe physique,
tangible, de leur alliance avec Dieu. Et c'est ce que les Grecs - qui adoraient
la perfection du corps humain - trouvaient le plus détestable. Pour eux,
la circoncision était une mutilation.
Comme les Juifs opposaient
de la résistance, Antiochus et ses acolytes ont réagi avec une
extrême cruauté. L'historien juif Berel Wein dépeint ces
persécutions dans son livre Echoes of Glory :
"Les femmes
qui faisaient circoncire leurs fils étaient tuées avec leurs
bébés attachés autour de leurs cous.
Les érudits d'Israël étaient poursuivis, pris en chasse
et mis à mort. Les Juifs qui refusaient de manger du porc étaient
torturés à mort… Même le plus petit hameau dans
Juda n'était pas à l'abri de l'oppression des Hellénistes.
Des autels à Zeus et à d'autres divinités païennes
étaient dressés dans chaque village, et les Juifs étaient
partout forcés de participer à leur culte." (p. 63)
Ce type de persécution
religieuse était, jusqu'à cette époque, inconnu dans l'histoire
humaine, et personne dans le monde antique ne s'en serait pris aux religions
des autres peuples. La devise des païens était en effet : "
J'adorerai ton dieu, tu adoreras le mien. Plus il y aura de dieux mieux cela
vaudra ! "
(Nous verrons plus tard
les mythologies grecque et romaine unir Zeus et Jupiter, etc. L'idéal
était dans le pluralisme : la religion des uns était bonne pour
les autres.)
Personne, dans le monde
païen, n'est jamais mort pour sa religion. Personne, sauf les Juifs.
Les Juifs considèrent
qu'il existe dans l'existence des valeurs pour lesquelles il vaut la peine de
sacrifier sa vie, des valeurs plus importantes que la vie elle-même. Les
Juifs sont prêts à donner leurs vies pour le judaïsme. Non
pas parce que Dieu demande que l'on meurt pour Lui, mais parce que l'idéologie
de la Tora est quelque chose sans laquelle l'humanité est condamnée.
Les Juifs, qui sont supposés être " une lumière pour
les nations ", ne peuvent pas abandonner leur mission, même quand
leurs vies sont menacées.
Bien sûr, les Juifs
ne doivent pas se comporter comme des agneaux allant à l'abattoir : Ils
peuvent lutter contre ce type de tyrannie et ils l'ont fait. Ce qui a été
cependant le plus terrible dans ce combat, c'est que les Juifs qui défendaient
leur foi ont dû lutter contre les Grecs tout autant que contre certains
de leurs propres frères qui s'étaient convertis à l'hellénisme.
JUIF CONTRE
JUIF
Quand les Grecs ont attaqué
le judaïsme, ils l'ont fait avec l'aide d'une secte plantée comme
une écharde dans le peuple juif: celle des Juifs hellénisés.
Ces Juifs avaient été
nourris aux sources de la culture grecque. Et il n'y avait rien d'étonnant
à cela. La culture grecque était le milieu culturel le plus important
dans le monde antique.
Un groupe peu nombreux, mais très puissant, de Juifs s'aligna sur les autorités grecques.
Nous avons assisté
à ce genre de situation tout au long de l'histoire juive. Une culture
mondiale s'installe, à vocation éclairée et progressiste,
porteuse de l'ambition de réformer le monde, et elle séduit beaucoup
de Juifs appartenant aux classes supérieures de la société.
Pourquoi ? Parce qu'ils sont riches, brillants, et qu'ils en ont du temps libre.
Ils disent alors au reste du peuple juif : " Soyons modernes ! Oublions
tout ce vieux fatras des traditions désuètes ! " (Ce modèle,
nous le verrons plus loin, va se répéter en Espagne, en Allemagne,
et même aujourd'hui dans les pays occidentaux.)
Cette époque va voir
se développer un groupe peu nombreux, mais très puissant, de Juifs
hellénisés, totalement alignés sur leurs maîtres
grecs, et qui calquent entièrement leur conduite sur la leur.
Ils envoient leurs enfants
au gymnase, et ils se débarrassent de leurs circoncisions - une opération
très douloureuse - puisque beaucoup d'activités, chez les Grecs,
se pratiquent en état de nudité, et que les Grecs les auraient
considérés, à défaut de cette intervention, comme
des mutilés.
Pire encore, le fossé
entre les Juifs hellénisés et le courant juif dominant va se doubler
d'une autre séparation, celle qui va éloigner l'un de l'autre
deux systèmes de pensée religieuse.
Le schisme commença quand deux maîtres - Tsaddoq et Baïthos
- se mirent à prêcher une nouvelle forme de judaïsme, où
l'on ne croyait plus en l'origine divine de la Tora orale (que nous avons expliquée
au chapitre 26). Leurs adeptes ont été appelés les Sadducéens
(Tsedoukim) et les Boéthussiens (Baïthossim), encore que l'histoire
ait surtout retenu les Sadducéens. Le courant dominant, celui des Juifs
de stricte observance, qui gardaient la loi juive telle qu'elle a toujours été
pratiquée, ont été appelés ironiquement les "
Pharisiens " (Perouchim), ce qui veut dire les " gens séparés
", par opposition aux autres.
Puisque les Sadducéens
ne croyaient pas que la Tora orale venait de Dieu, ils se considéraient
comme n'étant tenus de respecter que les lois de la Tora écrite,
qu'ils lisaient de manière littérale. Mais beaucoup de lois de
la Tora écrite sont incompréhensibles sans la Tora orale. Leur
réponse ? Chacun pour soi ! C'est à chacun de décider ce
qu'elle veut dire et agir en conséquence.
Les Sadducéens ont
trouvé des alliés naturels parmi les Juifs hellénisés,
comme l'explique le rabbin Berel Wein :
"Les Sadducéens
ont toujours été plus acceptables aux yeux des Juifs hellénisés
que leurs adversaires rabbiniques. L'alliance des Hellénistes et
des Sadducéens contre le judaïsme traditionnel a provoqué
une agitation constante dans la vie juive tout au long de la période
du deuxième Temple et même par la suite." (Echoes of Glory,
p. 38)
(Nous traiterons des Sadducéens plus en détail dans les chapitres
où nous parlerons de l'Empire Romain et de sa domination sur les Juifs.)
Voici comment l'historien
Flavius Josèphe explique dans son Contra Apion les croyances des Juifs
à cette époque :
"Les Pharisiens
[qui sont considérés comme plus adroits dans l'exacte explication
de leurs lois et dont l'école a une influence prépondérante]
attribuent tout au destin et à Dieu, tout en considérant
que c'est surtout à l'homme qu'il revient de choisir de faire le
bien ou le mal. Ils disent que toutes les âmes sont immortelles, mais
que celles des justes transitent par d'autres corps tandis que celles des
impies sont soumises à une punition éternelle.
Les Sadducéens,
en revanche, excluent entièrement le destin et considèrent
que Dieu n'est pas concerné par ce que nous faisons en bien ou
en mal. Ils disent que faire le bien ou le mal est un choix personnel de
l'homme et qu'il appartient à chacun de choisir entre l'un ou l'autre
selon son bon gré. Ils excluent aussi la croyance dans l'immortalité
de l'âme et les punitions et les récompenses dans l'au-delà.
De plus, le Pharisiens
se comportent courtoisement les uns envers les autres, et ils cultivent
des relations harmonieuses avec la collectivité. Le comportement
des Sadducéens, au contraire, est celui de rustres, et leur conversation
avec les membres de leur propre secte est barbare comme s'ils leur étaient
des étrangers."
On voit à quel point
les Sadducéens ont été influencés par la pensée
grecque. C'est là une des raisons pour lesquelles les grands prêtres
et le service du Temple sont devenus aussi corrompus, un grande partie de la
classe sacerdotale, une classe supérieure à cette époque,
ayant adhéré à la doctrine des Sadducéens. Voilà
aussi pourquoi le Talmud nous apprend que tant de grands prêtres sont
morts pendant le service de Yom Kippour.
La corruption du Temple,
l'hellénisation forcée et les persécutions vont finir par
provoquer la révolte des Juifs de stricte observance. Quand ils se soulèveront,
les Grecs trouveront des collaborateurs parmi les Juifs eux-mêmes.
La révolte des Maccabées
- que nous célébrons aujourd'hui à 'Hanouka - a été
une guerre civile entre Juifs tout autant qu'un combat contre la Grèce.
Elle n'a pas été une guerre de libération nationale, ni
une lutte pour la liberté physique - elle a été une lutte
pour des idées.
Notre prochain chapitre
: La révolte des Maccabées.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN