Nos Sages du Talmud nous enseignent qu’il existe un Roch Hachana, un nouvel an, pour les arbres. C’est en effet à la date du 15 Chevat, Tou Bichvat, qu’on fête leur nouvelle année. Surprenant, alors que nous sommes en plein cœur de l’hiver et que ces arbres laissent apparaître des branches dénudées du moindre bourgeon.
Les Maîtres du Talmud nous expliquent que c’est à partir de cette date là que la sève, qui va nourrir ces futurs bourgeons, commence à monter dans cet arbre.
Sans vouloir rentrer dans les détails scientifiques et arboricoles, il y a ici une leçon importante.
« Ki ha Adam ets hassadé » (« car l’être humain est comparable à l’arbre des champs ») : ainsi nous enseigne le verset de la Torah. A l’image de cet arbre, il existe trois dimensions chez l’être humain : en premier lieu, ses racines qui, si elles ne sont pas visibles, permettent à cet arbre de tenir debout, quelque soit la violence des vents qui voudraient l’abattre. Ses racines sont, vous vous en doutez bien, tous ceux qui ne sont plus mais qui par la force de leur engagement, et des combats qu’ils ont menés, assurent la solidité de l’arbre. Ce tronc qui semble émerger du sol, y est rattaché et même si cela ne semble pas visible, il doit en avoir conscience. La capacité de grandir, de se développer, de s’élancer vers le haut, dépend de ses attaches.
Vouloir se couper de ses racines amène cet arbre à tomber par terre sans pouvoir produire un quelconque futur possible. Ce tronc s’élève vers le ciel, à l’image de chaque être humain qui va produire des fruits multiples, mais qui ne pourront eux aussi reproduire d’autres arbres que s’ils arrivent à se détacher de l’arbre sur lequel ils ont poussé.
Pour pouvoir grandir à leur tour, ils vont avoir besoin d’une racine. Et ainsi de suite, l’être humain, l’être juif perpétue son histoire.
Par ailleurs, ce Roch Hachana des arbres, au moment où ces derniers semblent être totalement morts, sans produire de fruits, est là pour nous apprendre que l’image que nous pouvons avoir d’une chose ne correspond pas toujours à ce qui se passe à l’intérieur.
Face à un arbre en période hivernale, nous pourrions être tentés de briser des branches, de tailler son tronc, de ne pas faire cas de lui. Nous n’en verrions sûrement pas les conséquences de manière immédiate, il semble pour nous appartenir déjà au passé. Et pourtant, c’est au printemps, lorsque la sève va permettre à cet arbre de refleurir, que nous risquons de constater les dégâts de ce manque de soin, voire de ces mutilations.
Rav Shimshon Rafael HIRSCH fait remarquer que ce manque de vigilance, nous l’avions généralement souvent par rapport à nos propres enfants, vis-à-vis de cette jeunesse qui semble ne rien produire. Certains mots, certaines manières d’être, certains comportements entaillent, brisent, sans que la conséquence soit immédiate mais les dégâts sont parfois irrémédiables.
Le verset nous enseigne : « Al tigeou bimechai » (« ne touchez pas à mes Machia'h »). Et le Midrach de nous dire « Mes Machia'h…ce sont les petits élèves qui vont à la maison d’étude ». Ce texte exceptionnel nous montre que Dieu nous demande de voir dans chaque enfant un Machia'h potentiel, une dimension unique avec un destin qui peut-être exceptionnel.
Cette conscience là doit nous amener de manière absolue à accorder une importance extrême non seulement au niveau de nos démarches éducatives actives mais surtout à une vigilance, à une retenue, à une manière d’être sensible vis-à-vis de ces enfants qui, s’ils ne « produisent » rien encore, sont non seulement l’avenir du peuple d’Israel mais un véritable univers pour chacun d’entre nous.
A une époque où l’on parle beaucoup du problème du respect des parents (qui, au passage, doivent se poser la question si eux-mêmes sont respectables), on oublie de se poser la question du respect de l’enfant.
Le respect de l’enfant, c’est ne pas le mettre dans des situations d’existence, confronté à des spectacles où nous lui apprendront à accepter une lecture du monde qui handicapera sa possibilité de construire de manière saine et équilibrée son futur.
Le respect de l’enfant, c’est de ne pas lui proposer déjà de singer le monde adulte et de le laisser vivre la naiveté de l’enfance. Il aura toujours le temps plus tard lorsqu’il sera construit et aura des références claires, de pouvoir se confronter au monde qui l’entoure.
Ce respect de l’enfant, c’est aussi réintroduire le « makal noam » (« le bâton de douceur ») que le Roi Salomon cite comme étant la méthode éducative par excellence pour l’enfant. Dimension de fermeté enrobé d’une réelle douceur, principe des limites accompagné d’une réelle tendresse, ce qui exige de notre part souvent un véritable travail sur nous-mêmes.