Chir Hachirim
est écrit sous la forme d’un chant d’amour entre un roi et
une princesse. Tous les commentaires traditionnels admettent qu’il s’agit là
d’un hymne qui dépeint les relations du peuple juif avec D.ieu. Dans sa
plus grande partie, le chant rapporte les paroles des fiancés séparés
qui languissent d’amour l’un pour l’autre.
La princesse suscite en même temps la jalousie et l’admiration des autres
jeunes filles : malgré les malheurs qui l’atteignent, malgré toutes
ses péripéties, elle reste fidèle à son amour. Lui,
qui ne connaît nul besoin, persiste cependant dans son attachement à
sa fiancée persécutée.
Cette symbolique est, pour nos contemporains, plutôt hermétique.
On peut cependant la paraphraser de la façon suivante : La recherche
de l’absolu, de la spiritualité, de D.ieu, n’est plus l’exclusivité
du peuple juif. Tous les peuples éprouvent le besoin ou l’envie de découvrir
les valeurs transcendantes et de servir D.ieu. (De nos jours, l’idée de
D.ieu est tellement déformée, bafouée, qu’il devient difficile
de se la représenter clairement. Mais ce problème dépasse
le cadre de ces pages.)
Néanmoins, aucun d’entre eux ne prétend fonder son mode de vie
privée, ses rapports sociaux ou sa structure nationale sur ces valeurs.
Ils existent et s’organisent d’abord à leur guise, puis dans la mesure
où il leur reste de l’énergie disponible, ils sont prêts
à s’adonner aux préoccupations spirituelles.
Le spirituel est pour les peuples un délicieux parfum plutôt qu’un
élément vital. “Une huile aromatique qui se répand, tel
est ton nom : c’est pourquoi les jeunes filles - les peuples - sont éprises
de Toi” (chap. 1 vers. 3). Mais le peuple juif n’est peuple que par le spirituel.
“Entraîne-moi à Ta suite, courons ! Le Roi m’a conduite dans Ses
appartements” (vers. 4). Sa naissance même a eu lieu en terre étrangère,
dans un élan vers une vérité transcendante et libératrice.
“Sous le pommier J’ai éveillé ton amour, là où ta
mère te mit au monde...” Selon l’exégèse du Talmud, ce
verset est une allusion aux enfants juifs qui, pour échapper aux Egyptiens,
furent mis au monde dans la clandestinité : à ce moment est également
né leur amour pour D.ieu. Selon une autre exégèse, c’est
au mont Sinaï que cette phrase fait allusion... Aucune cause naturelle
ne préside à la naissance du peuple juif. Depuis Abraham jusqu’à
la sortie d’Egypte, à l’époque du Temple ou de la captivité,
et jusqu’aux temps messianiques, ce n’est que l’aspiration à un monde
plus juste et plus beau qui maintient en vie le peuple juif.
Le Cantique des Cantiques chante aussi l’art de vivre en captivité. Le
monde n’a pas accepté les valeurs spirituelles comme mode de vie et il
se dresse contre le peuple juif qui en est le promoteur. Entouré d’ennemis
et frappé par leur médisance, celui-ci n’endure pas uniquement
des souffrances matérielles mais aussi un affaiblissement spirituel.
“Comme une rose parmi les épines, telle est mon amie parmi les jeunes
filles”, dit D.ieu à propos de Son peuple.
Parfois, Israël doute de lui-même et de sa valeur tant la Galouth
(exil) l’a noirci, mais malgré tout, il reste confiant dans son avenir.
“Ne me regardez pas avec dédain parce que je suis noirâtre : c’est
le soleil qui m’a hâlée. Les fils de ma mère étaient
en colère contre moi, ils m’ont fait garder les vignobles, et mon vignoble
à moi, je ne l’ai pas gardé” (chap. 1, vers. 6).
Il continue à lutter pour un monde plus juste et attend avec confiance
les Temps messianiques. “Le voici qui vient, franchissant les montagnes, bondissant
sur les collines” (chap. 2, vers. 6).
Le Cantique des Cantiques est plus qu’un hymne : il retrace une description
rigoureuse de la vie du peuple juif et de ses aspirations.