Le Talmud nous enseigne
qu’Abraham a observé Pessa’h. Bien
entendu, il ne s’agissait pas de commémorer l’Exode qui
n’eut lieu que quelques siècles plus tard. Selon le Maharal, la
saison de Nissan « lui parlait ». Plus Abraham constatait l’évidence
physique de l’amour et de la créativité de D.ieu, plus
il se sentait humble. Aussi, pendant Pessa’h, Abraham décidait
d’éliminer tout ce qui dans sa vie avait un semblant d’ego
boursouflé et bouffi.
Ceci incluait toute nourriture
fermentée. C’était le moyen
par lequel Abraham s’agrippait à sa reconnaissance de la véritable
signification du renouveau et de son origine.
TROUPEAU DE MOUTONS
Le signe astral de Nissan
est le Bélier. Les moutons broutent en troupeau
et suivent fidèlement le berger. Suivre n’est pas toujours un
défaut de passivité mais peut être quelquefois un choix
réfléchi. Le peuple juif décida de suivre D.ieu et non
pas son propre ego surgonflé en tant que nation. En Egypte, alors que
nous oscillions entre les forces égales de l’assimilation et de
l’oppression, nous finîmes par réaliser que de nous fier à des êtres
humains éphémères pour notre auto-définition conduisait à un
suicide national. Nous choisîmes de suivre D.ieu.
Nous en vînmes également à saisir que la liberté spirituelle à laquelle
nous aspirions si fortement ne dépendait d’aucune action politique
autonome. Nous avons fini par reconnaître humblement que le seul moyen
que nous ayons jamais eu de sortir d’Egypte était dû à la
miséricorde divine.
Quelque chose en nous-mêmes s’agita, suffisamment pour nous pousser à suivre
D.ieu dans le désert et accepter plus tard Sa Torah. Nous étions
comme des agneaux qui découvraient finalement le berger qui en prenait
soin. Et ô combien opportun que la libération d’Egypte eût
lieu durant le mois du Bélier.
Nissan est désigné dans la Torah par trois noms qui permettent
chacun d’en comprendre la signification de manière plus profonde
:
1. « le Premier Mois » - Le mois de la rédemption est considéré comme étant
même plus grand que Tichri, le mois où l’univers apparut.
Le monde fut créé dans le but que, nous les hommes, le dotions
justement d’un but, afin de nous corriger nous-mêmes à titre
individuel et de corriger le monde dans son ensemble. Nissan est le mois pendant
lequel notre peuple émergea, avec cet objectif comme devise nationale.
Na’hamanide, le grand sage et commentateur du 13 ème siècle,
va jusqu’à affirmer que lorsqu’on attribue un nombre à chaque
mois, c’est une mitsva de compter à partir de Nissan, afin d’avoir
une conscience accrue des miracles qui nous ont conduits à notre libération.
Il est d’avis qu’il vaut mieux , si possible, se référer
au mois grégoriens par leurs noms - janvier, février, etc...
Leur assigner des numéros risquerait de nous faire oublier que le numéro
un est réservé au mois qui nous a amenés à notre
auto-définition nationale.
2. « Aviv » - Ce mot veut dire printemps, la période où les
messages physiques et spirituels de renaissance se rencontrent et s’épanouissent.
3. « Nissan » - Bien que techniquement ce nom soit d’origine
babylonienne, le mot araméen Nissan s’apparente au mot hébraïque
Nitsan, le bourgeon. Dans le Cantique des Cantiques, le poème épique
de Salomon dans lequel il décrit l’amour qui nous rattache à D.ieu,
la rédemption est désignée symboliquement comme « le
temps où l’on voyait les bourgeons dans notre pays, » ce
qui signifie que la terre inerte donna naissance à un peuple qui, sans
tarder, a fleuri.
JOURS SPECIAUX
Outre Pessa’h, d’autres jours du mois de Nissan ont une grande
importance. Le premier jour de Nissan marque l’inauguration du Michkan,
le tabernacle transportable qui accompagna le peuple juif durant les quarante
ans de pérégrinations dans le désert. Son rôle fut
de montrer de manière allégorique comment le macrocosme et le
microcosme peuvent tous deux être transformés en un sanctuaire
de D.ieu. Chaque récipient, chaque matériel et chaque métal était
soigneusement sélectionné afin de symboliser les voies spécifiques
par lesquelles les mondes animal, végétal et minéral peuvent être élevés.
Des années plus tard, c’est le premier jour de Nissan que les
Juifs de l’exil babylonien entamèrent leur retour vers Israël.
Les bourgeons avaient commencé à fleurir.
Chose étonnante, Nissan est la période pendant laquelle les
Juifs disent une bénédiction spéciale sur la nouvelle
floraison. En voyant des arbres fruitiers en fleur, on récite la bénédiction
suivante :
« Soit béni, D.ieu notre Seigneur, Roi du monde qui ne prive
le monde de rien qui a créé d’excellentes créatures
et des arbres productifs, pour en faire profiter les hommes. »
Le premier jour de Nissan
est aussi le moment où la plupart des associations
d’entraide lancent la collecte de fonds pour kim’ha depis’ha
(littéralement « farine pour Pessa’h »). Aucun Juif
ne peut éprouver la liberté de ces jours s’il est seul.
Ce fut une nation entière qui fut libérée pendant l’Exode
et non pas des individus. Nul n’est libre s’il sait que son frère
juif n’a pas ce dont il a besoin.
Jadis, le rabbin de la
ville avait l’autorité légale de
rendre obligatoire les cotisations. Alors que ce n’est plus le cas, le
principe demeure implicitement inchangé : la liberté authentique
n’est obtenue qu’en donnant et non pas en prenant.
LE CHABBAT HAGADOL
Lorsque D.ieu créa le monde, Son intention était que nous décidions
de Le reconnaître. Quand nous intériorisons Sa présence
en choisissant le bien, en un certain sens nous recevons le plus grand des
présents : D.ieu Lui-même. Les kabbalistes expriment cette idée
sous la forme suivante : « Un réveil [de la miséricorde
divine] d’en-haut doit être précédé par un
réveil [ de l’engagement] d’en-bas. » C’est
pourquoi, D.ieu ne nous a pas délivrés d’Egypte sans nous
donner pour challenge de contracter un engagement envers Lui, afin que nous
partagions le processus de la rédemption.
La manière dont D.ieu nous mit au défi, fut d’exiger que
chaque famille prenne un mouton, un symbole important dans le panthéon
de la croyance païenne qui était l’apanage de l’Egypte
ancienne. Chaque famille attacha un mouton aux colonnes d’un lit pendant
quatre jours puis l’offrit en sacrifice à D.ieu. Le jour où elles
prirent le mouton fut chabbat, le dix de Nissan.
Nous considérons ce jour comme le début de la rédemption
car c’est ce jour que nous suivîmes les instructions de D.ieu puis
nous abattîmes les moutons au risque même de rendre furieux nos
geôliers. Cet acte fut possible grâce à notre confiance
en D.ieu.
Lors du Chabbat Hagadol,
c’est une tradition bien établie de
lire les passages de la Haggadah décrivant les miracles de la délivrance
- c’est-à-dire depuis « Nous étions des esclaves » jusqu’à « Tu
nous a amenés au Temple pour expier nos péchés. » C’est également
une coutume que le rabbin de chaque synagogue prononce ce jour-là un
sermon important.
BEDIKAT ‘HAMETS
C‘est la nuit précédant le Seder qu’il faut avoir éliminé de
chez soi tout aliment fermenté (« gonflé »). Débarrasser
le ‘hamets de nos maisons, c’est un moyen de nous défaire
de son équivalent spirituel, l’égocentrisme. Celui-ci est
la source de tout mal. D.ieu insuffle dans cette période la force spirituelle
de détruire l’étreinte de l’ego sur notre personnalité.
Cette nuit exige quelque
peu de se préparer physiquement et spirituellement.
Pour certains « le nettoyage de Pâque » débute au
moins un mois avant. Ils passent des jours et des jours à éliminer
toute trace de nourriture fermentée dans la maison et quelquefois se
laissent entraîner à faire le ménage général
de printemps et même un peu de remise à neuf ou de peinture. Notons
néanmoins que, du point de vue religieux, il n’est pas nécessaire
d’en faire tant et que quand il n’est pas possible de faire beaucoup
de ménage, il vaut mieux s’en tenir à l’essentiel
: s’appliquer à faire la volonté de D.ieu, c’est-à-dire,
de se débarrasser des aliments fermentés et de supprimer son
ego.
En effet, c’est en se défaisant de son auto-importance et en
se donnant le droit d’être simple, qu’on peut plus facilement être
spontané et rajeuni. Car plus on laisse entrer dans son cœur la
présence et l’amour de D.ieu, plus nos manières pompeuses
nous semblent ridicules.
L’acte effectif par lequel on cherche à éliminer le ‘hamets s’appelle bedikat ‘hamets. Le contrôle commence la nuit.
On doit vérifier chaque recoin et chaque fissure. Il faut utiliser une
lumière directe, c’est-à-dire une bougie ou une lampe de
poche. Il est d’usage de dissimuler dix morceaux de pain (ne pas oublier
où on les a mis), qui symbolisent les dix Sefirot mystiques dans l’ordre
inverse.
Les kabbalistes utilisent
les Sefirot pour décrire les manières
dont D.ieu nous révèle Sa présence, par exemple en répandant
continuellement Sa bonté. Puisque nous vivons dans un monde dans lequel
le libre arbitre est indéniable, nous admettons que, s’il est
possible d’être bons et nous trouvons cela séduisant, faire
le mal nous semblera également comme irrésistible.
A chacune des dix Sefirot correspond sa contrepartie négative. Pâque
est une période où toutes les forces du mal peuvent vaincues,
tout comme cela l’a été en Egypte il y a plus de 3000 ans.
Le minutage est crucial.
Selon ‘Haïm Vital, les treize premiers
jours de Nissan sont similaires aux treize premières années de
notre vie. Lorsque la treizième année est passée et que
la quatorzième est sur le point de commencer, quelque chose de décisif
nous arrive. Dans la bataille livrée pour affirmer sa personnalité,
le yetser tov (le bon penchant) devient tout aussi énergique que le
yetser hara (le mauvais penchant). C’est alors que débute notre
aptitude à nous examiner et à faire notre introspection, de la
même manière que, quand le 13 Nissan se termine, nous sommes en
mesure désormais de chercher, de trouver et finalement de détruire
le ‘hamets véritable qui fait tant partie de notre vie.
BITOUL ‘HAMETS
La déclaration suivante marque le point culminant de notre recherche
du ‘hamets : « Que tout ‘hamets qui se trouve
en ma possession, que je n’ai pas vu et que je n’ai pas débarrassé,
soit annulé et considéré comme la poussière de
la terre. »
Le lendemain, les dix morceaux
de pain et tout reste de ‘hamets doivent être
détruits.
Une fois assis à la table du Seder, on mange la matsa et on boit le
vin afin de revivre l’esclavage et l’Exode. Ce sont les outils
qui nous aident à écrire notre propre histoire personnelle de
rédemption, s’ajoutant aux millions d’histoires qui font
partie de notre histoire non écrite.
Puissions-nous tous mériter de voir les bourgeons de Nissan en fleur
dans une pleine et authentique rédemption. Et puissions-nous passer
le prochain Seder tous ensemble, dans Jérusalem libre et reconstruite.
Traduction et Adaptation de Claude Krasetzki