Toute l'année, le peuple juif souffre pour la Torah, voire se bat pour
elle. En ce jour de Simhat Torah, il exprime sa joie a son egard - non seulement
du fait que la Torah soit réalité, mais encore, et surtout, car
il y est profondément attaché, de par une appartenance intime.
Et en ce jour il ressent carément une joie de l'áme, et ce grâce á la
Torah.
Mais à ce moment il se pose une question lancinante au commun des mortels;
en effet il est écrit que chacun, sans exception, se doit de participer á la
joie; mais de quel droit, moi qui ne l'étudie pas jour et nuit, qui
même ne me conduis pas toujours dans son esprit; de quel droit puis-je
participer à cette joie? Ne suis-je pas un intrus dans une fête
qui n'est pas la mienne, comme si j'allais à un mariage auquel je ne
serais pas invité, et dont je connais á peine les partis?
Pour répondre á cette question et expliquer ce paradoxe, Rav
Weinberg nous raconte l'histoire suivante, qu'il a entendue de la bouche même
d'un temoin.
Rabbi Salanter (fondateur
du mouvement de "Moussar") et ses disciples
fêtaient la Simhat Torah avec une joie et un enthousiasme difficile a
décrire, chantant et dansant comme des enfants, tellement ils aimaient
la Torah. Or une année, alors qu'ils étaient en transes, les
disciples du Rabbi s'aperçurent tout d'un coup que le Rabbi était
en train de pleurer. Ne voulant le troubler, ils ne l'interrogèrent
pas. Au bout d'une heure cependant, l'un d'eux se risqua á lui demander
ce qui le chagrinait tant. Et le Rabbi de répondre: "Tandis que
je me réjouissais tellement avec la Torah tout á l'heure, il
s'est associé en moi une peine profonde de ce que je ne tienne la Torah
et ses préceptes comme il se doit." Ce disant, tous ses disciples éclatèrent
en sanglots: "Si le Rabbi n'est pas digne de la joie, qu'en est-il de
nous?" La fête avait tourné en jour de deuil et de repentance.
C'est alors que le Rabbi
se releva et dit avec force á ses disciples: "Maintenant
que nous avons pleuré, nous pouvons comprendre la vraie signifiication
de la joie en ce jour de Simhat Torah: car nos pleurs, nos remords sur nous-mêmes
et notre conduite, témoignent du fait que la Torah fait partie intégrante
de nous-mêmes, et c'est ce fait qui nous donne le droit et le devoir
de nous réjouir".
Et Rav Weinberg de poursuivre:
cela est vrai pour chacun d'entre nous, car tous ceux qui se sentent juifs
et
veulent le rester - envers et contre tout
- contribuent au maintien du peuple juif et de la Torah. Par ailleurs, ce n'est
pas nous qui portons la Torah, c'est elle qui nous porte, et quand nous parlons
de la préserver, ce n'est pas elle que nous préservons, mais
nous-mêmes, notre propre identité, car la Torah n'est pas extérieure à nous,
elle fait partie de notre "moi", elle est notre essence.
Rav Weinberg illustre cette
idée
par un Midrach:
Un des monarques antisémites de l'époque envoya ses ministres à la
recherche du tombeau de Moché Rabénou (Moïse). Arrivés
au pied de la montagne, ils crurent voire le tombeau au sommet de la montagne.
Ils grimpèrent vers le sommet, mais arrivés en haut, voilà qu'ils
le voient en bas. Ils se partagèrent alors en deux groupes, l'un resta
en haut, l'autre descendit, mais lá encore, ceux qui étaient
en bas le virent en haut, et vice versa, ceux qui étaient en haut le
virent en bas. Comme il est écrit: « Personne ne sut jamais où il était
enterré jusqu'au jour d'aujourd'hui » (Deutéronome, 34,
6).
Ce Midrach a une signification symbolique universelle, nous explique Rav Weinberg:
Nos ennemis de par le monde
et l'histoire recherchent la faille chez le peuple juif, l'endroit ou le
noyau au sein
duquel le judaïsme n'a plus siège,
lá où Moïse est bel et bien mort et enterré. Des
fois il leur semble que cela est le cas en haut de l'échelle sociale,
chez les intellectuels qui sont si ouverts aux cultures étrangères,
ou chez les industriels et les cadres si bien assimilés; mais oh erreur,
dès qu'ils regardent de plus près, ils s'aperçoivent que
le judaïsme est encore lá, bien vivant, quoique peut-être
sous-jacent ou caché á l'intérieur de leur cœur.
Et nos ennemis alors de
tourner leur regard vers le bas de l'échelle
sociale, vers la classe pauvre et opprimée. Tiens! Là il leur
semble que Moïse ait été effacé de leur pénible
existence. Et mais non! Là encore tout au contraire, Moïse est
vivant, et c'est sa Torah qui les maintient même, qui leur permet de
survivre, de se rehausser.
Nos ennemis en viennent á s'organiser afin de mettre un terme à cette
lueur juive. Peine perdue. Echec á tous les efforts d'extermination,
tant du corps que de l'esprit. Des Grecs aux Romains, des Nazis aux Soviétiques,
personne ne réussit á trouver le tombeau de Moïse. "Moïse
est mort le sept Adar", mais aussi "Moïse est né le sept
Adar" : s'il est arrivé qu'en un endroit quelconque, ou dans un
cercle quelconque Moïse fût mort, aussitôt, dans un autre
endroit, le voilà bel et bien vivant. Si dans une génération
il y a une grande assimilation, voilà que dans la prochaine génération
la lueur rejaillit.
Aucun effort, tant interne
qu'externe, n'arrive à faire tarir cette
source qu'est la Torah; elle est partout, elle s'infiltre dans tous les cœurs,
et c'est elle que nous fêtons joyeusement en ce jour de Simhat Torah.
La tête haute et avec fierté nous la portons, car c'est elle
qui nous transporte et nous élève.