Nos Sages enseignent que Balaam était, en prophétie, parmi les nations, aussi grand que Moïse pour Israël. D.ieu a fait en sorte de donner un tel prophète aux nations pour couper cours à tout argument de leur part qui tendrait à dire à D.ieu : « Si tu nous avais donné un prophète comme tu l’as fais pour Israël, nous aussi on aurait cru en Toi et nous serions bien comporté ».
Si Balak a choisi Balaam pour anéantir le peuple d’Israël, c’est parce qu’il savait que toute la force d’Israël est concentrée dans leur bouche, comme il est dit : « La voix est la voix de Jacob », à travers les prières et l’étude de la Torah. Pour les anéantir, Balak pensait qu’il fallait faire intervenir une personne dont la force, c’est aussi sa parole. Il a trouvé pour cela Balaam, qui se distinguait par le pouvoir de sa parole. Balak le manda afin d’aller maudire Israël.
Nos Sages révèlent que chaque jour, D.ieu se met en colère pendant un cours instant très bref. Personne ne peut savoir quel est ce moment, et même Moïse n’en avait pas connaissance. Seulement Balaam, lui, le connaissait. Et justement, il voulait maudire Israël à ce moment précis. Cela aurait eu pour conséquence l’anéantissement du peuple, ce qu’à D.ieu ne plaise. Ce temps est assez suffisant pour qu’il puisse prononcer le mot « Kalem », signifiant « Anéantie-les ». C’est ce qu’il voulait faire. Cela aurait été terrible.
Mais l’Eternel, qui veille sur Israël, se révéla à lui en rêve pour lui interdire de se joindre à Balak pour réaliser ce funeste projet.
Le verset formule à ce propos (Nombres 22 :12): « D.ieu dit à Balaam : Ne va pas avec eux, ne maudis pas le peuple, car il est béni ».
Le Midrash, cité par Rachi sur ce verset, explique à ce propos qu’en réalité, il y eut un dialogue entre D.ieu et Balaam. D.ieu lui dit : « Ne va pas avec eux ». Alors, Balaam répondit : « S’il en est ainsi, je les maudirai de l’endroit où je me trouve ». Mais D.ieu répondit : « Ne maudis pas le peuple ». Balaam rétorqua : « Bien, mais si tu ne veux pas que je le maudisse, laisse moi au moins le bénir ». D.ieu répondit : « Il n’a même pas besoin de ta bénédiction, ‘‘car il est béni’’ ». C’est ainsi que l’on dit à l’abeille : « Je ne veux ni de ta piqûre, ni de ton miel ».
Ce Midrash est apparemment incompréhensible. Balaam était prêt à maudire le peuple et à l’anéantir. Et voilà que comme D.ieu lui dit de ne pas le maudire, le voilà prêt à le bénir ! Comment comprendre cette réaction particulièrement étrange et paradoxale ?
S’il n’a pas la permission de maudire le peuple, pourquoi lui donner des bénédictions, ce qui est radicalement opposé à son projet ?
Cela ressemble à un enfant qui s’est fais tabassé. Le père, tout excité, décide de venger son fils. Il se saisit de son fusil et menace de tirer sur l’agresseur. Mais comme il voit que les gens tout autour le dissuadent et l’empêchent de tirer, alors il leur dit : « Si vous ne me laissez pas le tuer, laissez moi au moins l’embrasser » !
Il en est de même ici. Voyant que D.ieu l’empêche de maudire Israël, Balaam décide alors de les bénir !
Pour comprendre cela, rappelons que lorsque Rebecca s’est séparée de sa famille pour suivre Eliezer et se marier avec Isaac, ses frères la bénirent et lui dirent : « Notre sœur ! Puisses-tu devenir des milliers de myriades ! » (Genèse 24 :60) Ils la bénirent donc d’avoir une grande postérité.
Le Midrash explique que si Rebecca était stérile jusqu’à ce que Isaac prie et que D.ieu accepte de lui donner des enfants, c’était justement à cause de cette bénédiction. Car, c’était pour ne pas que les impies, membres de la famille de Rebecca, disent : « C’est notre prière qui a été réalisée ». C’est pourquoi, pour ne pas réaliser leur bénédiction et pour montrer que D.ieu n’accepte pas leur prière, Il fit en sorte que Rebecca soit stérile.
La bénédiction d’un impie est une sorte de malédiction, car D.ieu ne la réalisera pas volontairement.
Car, par rapport aux Justes, il est dit que D.ieu réalise ce qu’ils décrètent. En revanche, D.ieu réalise l’inverse de la demande des impies, pour bien leur montrer qu’Il n’a aucune affinité avec eux. Ainsi, la bénédiction d’un impie est une sorte de malédiction, car D.ieu ne la réalisera pas volontairement.
Seulement, la bénédiction d’un impie ne peut causer des dommages que dans un cas où D.ieu n’a pas béni avant, comme il en était le cas par rapport au frère de Rebecca.
Mais, si D.ieu a déjà formulé une bénédiction, alors la bénédiction de l’impie qui viendrait par la suite ne peut plus rien changer. Car, les gens ne peuvent plus se tromper. On ne pourra plus dire que c’est la bénédiction de l’impie qui s’est réalisée, car étant déjà béni de D.ieu, on comprendra que c’est plutôt la bénédiction divine qui s’est réalisée.
Il en est de même dans notre Paracha. Balaam savait très bien qu’il était impie et imprégné d’impureté. Il savait qu’il n’était pas apprécié de D.ieu. Surtout, si on considère un enseignement de nos Sages qui dit que Balaam c’est Laban, ou encore un de ses descendants. Et Laban, c’était justement l’un des frères de Rebecca qui a ‘‘béni’’ leur sœur pour avoir une grande descendance.
Balaam savait donc bien que s’il bénissait Israël, D.ieu ne réaliserait pas ses bénédictions, pour ne pas que l’on croit que ses paroles se sont réalisées. En voyant qu’il ne pouvait pas maudire Israël, il voulut donc les bénir, pouvant être assuré que ces bénédictions ne seront pas fructueuses.
Mais alors, on peut se demander comment Balaam voulait les maudire et comment se fait-il que ses malédictions se réalisent ! Là aussi, pourquoi ne dirait-on pas que D.ieu fera le contraire de ses malédictions, pour ne pas que l’on dise que ses paroles ont de la valeur ?
En fait, c’est parce que, comme on l’a dit, Balaam connaissait le moment précis où D.ieu se met en colère dans la journée. Et à ce moment, la malédiction se réalise de toutes les façons, car c’est un moment qui n’est pas du tout propice. Ses malédictions, prononcées à ce moment là, ont donc quand même leur effet. Mais en tout cas, ne pouvant pas les maudire, car D.ieu le lui a empêché, il voulait au moins les bénir. Car là, il était sûr que ses bénédictions ne se réaliseraient pas.
D.ieu lui répondit alors : « Idiot ! Tu ne feras rien avec tes bénédictions, car le peuple ‘‘est béni’’. Et comme Je l’ai déjà béni avant toi, la nuisance de tes bénédictions est neutralisée. Ainsi, tes bénédictions resteront valables. Mais de toutes les façons, ils n’ont pas besoin de tes bénédictions, car on dit à l’abeille : je ne veux ni de ta piqûre, ni de ton miel ».
Comme malgré tout, Balaam a désobéi et est allé quand même maudire le peuple, D.ieu transforma ses malédictions en bénédictions. Mais ces bénédictions ne sont pas nocives car « le peuple est déjà béni ».