Une lectrice écrit :
« J ‘ai beaucoup de mal à surmonter ma tristesse, depuis le décès d’une jeune femme membre de notre communauté. Elle avait quarante ans (exactement mon âge) et elle fut ma première amie lorsque j’arrivai dans ma ville.
Il y a maintenant cinq mois qu’elle n’est plus, et je ne parviens toujours pas à prendre du recul face à mes sentiments de frustration et de tristesse, ainsi que de ma culpabilité de ne pas m’être occupée d’elle davantage que je ne l’ai fait alors qu’elle était souffrante.
Comment dois-je m’y prendre pour surmonter cette tristesse et cette frustration ? Lorsque j’observe ses enfants qui grandissent et qui progressent, je souris, évidemment. Mais la nuit, je n’arrête pas de pleurer; je la regrette tellement.
Je suis déterminée à faire ce qu’il faut pour sortir de cette dépression ; par conséquent, je vous serais très reconnaissante si vous pouviez me guider par vos conseils. »
Voici la réponse de la Rabbanith Faige Twersky :
Je compatis de tout mon cœur à votre peine devant la perte de votre amie.
Vous pouvez adoucir vos sentiments de culpabilité par les moyens suivants :
1) Soyez proche des enfants de votre amie. Un moment pourrait bien se présenter prochainement ou à l’avenir où ils auraient besoin de vous, d’une manière ou d’une autre. Ce serait une forme de gentillesse que leur maman, de là où elle se trouve, apprécierait très certainement.
2) Prenez la décision d’accomplir un acte de charité, ou une bonne action, ou une étude, ou un renoncement à une quelconque erreur, et dédiez cela à la mémoire de votre amie. Offrez-lui le mérite de cet effort. Vous pouvez choisir par exemple des visites régulières à des malades, ou bien un bénévolat dans un cadre scolaire, ou bien de vous retenir de médisance, ou bien de remplacer des expressions négatives par des expressions positives, généreuses. Non seulement ceci enrichirait l’âme de votre amie, mais en plus lui donnerait une certaine place parmi les vivants, et une sorte de présence dans votre existence quotidienne. Ce progrès spirituel serait bénéfique pour vous en ce monde et pour elle dans le monde de l’éternité.
En ce qui concerne votre sentiment de frustration et de dépression, je me propose de partager avec vous l’expérience personnelle qui a été positive pour moi.
La bénédiction que nous récitons lorsque nous parvient la nouvelle d’un décès est Barouh Dayan Haemeth : que soit loué le Juge Véritable. D’autre part, la phrase qui dans le Kaddich est dite par toute l’assemblée est « Yehey Chemey Rabba Mevorah : que le Nom de D.ieu soit loué à jamais. Même lorsque nous sommes sous le choc d’une nouvelle tragique que nous venons d’apprendre, nous faisons un effort pour comprendre, pour intellectualiser nos sentiments. Nous proclamons alors que le Tout-Puissant est le Seul à être éternel; ainsi Lui seul est le Juge Véritable. Lui seul contemple entièrement l’image du passé, du présent et de l’avenir comme un ensemble cohérent.
En effet, notre perspective d’êtres mortels est limitée à une bien fine tranche de temps. Cette perspective peut être comparée à quelqu’un qui voudrait comprendre l’ensemble d’un grand puzzle en n’ayant devant lui que deux ou trois de ses pièces. Réalisons alors que notre vision est très partielle et myope.
La répétition des mots Yehey Chemey Raba Mevorah, que le Nom de D.ieu soit loué à jamais, que ce soit dans la prière des personnes en deuil ou tout au long de nos offices, est comme une sorte de moyen mnémotechnique, qui, sans relâche, nous répète que notre Père au ciel est omniscient, et sait ce qu’Il fait, et que, en vue de l’ultime but du monde, ce qu’Il fait doit être ainsi, même si, sur le moment, c’est très douloureux. Sans notre foi en le Juge Véritable, il n’est pas de consolation.
Chère lectrice, je souhaiterais vous encourager à vous pénétrer des mots « Yehey Chemey Raba Mevorah, que le Nom de D.ieu soit loué à jamais ; en les reprenant à maintes reprises, en insistant particulièrement sur les mots à jamais. C’est cela qui peut vous aider à franchir le cap du grand fossé entre ce que nous savons et ce que nous ne pouvons pas savoir, entre notre vie et d’autres vies, entre ce monde et d’autres mondes. Cela formera un grand ensemble et vous en rapprochera comme d’une tapisserie harmonieuse.
Un deuxième moyen de nous adapter à une circonstance dans l’adversité me parvient d’un sage cousin, qui dirige une yechiva. Il venait de l’enterrement de son troisième enfant. Il avait perdu un premier enfant qui avait été atteint de leucémie ; quelques années plus tard, il avait perdu un bébé par la mort subite du nourrisson. Son troisième enfant, sa fille, était maman de deux enfants ; elle est décédée récemment dans un tragique accident de voiture.
« Aussi longtemps que nous jouissons de la bénédiction de la vie, notre regard doit se porter sur la route devant nous. »
Après les sept jours de deuil, mon cousin est retourné chez ses élèves, et leur a exposé une homélie, se rapportant allusivement à la récente tragédie. Il leur dit que naviguer à travers l’existence ressemble à la conduite d’une voiture. Il faut que vous ayez un but à votre voyage ; il faut que continuellement votre regard se porte sur la route devant vous ; seulement, de temps en temps, vous jetez un regard sur le rétroviseur pour être renseigné sur la route derrière vous. Tandis qu’un conducteur qui regarderait continuellement son rétroviseur, serait bien vite victime d’un accident ; et jamais il n’atteindrait sa destination.
« Dans un deuil tragique, nous prenons mieux conscience de ce que nous ne sommes que des mortels ; nous réalisons plus clairement le caractère fugace et éphémère de notre existence. Nous ressentons alors l’urgence de réaliser ce qu’il faut pour atteindre les buts de notre vie, pour que nous arrivions à « destination. Il faut avancer. Chaque moment est précieux ; nous n’avons pas de temps à perdre. Nous rejoindrons bien assez tôt ceux qui nous sont chers. Mais aussi longtemps que nous sommes bénis du privilège de la vie, nous devons regarder la route devant nous. Le regard de temps à autre sur le rétroviseur n’est qu’un contrôle de la réalité derrière nous. Il nous instruit sur ce qui est vraiment important dans la vie, ce qui importe à la fin, une fois que tout a été dit et fait.
Grâce aux enseignements que nous glanons dans la vie d’un disparu, il nous faut rapidement remplacer notre regard en arrière, par un regard sur la route devant nous, et nous engager résolument sur la vie, cadeau précaire, certes, mais ô combien précieux, ceci, aussi longtemps qu’elle nous appartient.
« Veuille D.ieu vous bénir par des occasions de joie, à compter d’aujourd’hui. »
Traduction et adaptation de Claude Krasetzki