La Paracha de Tetsavé traite essentiellement des vêtements que les prêtres devaient porter lors de leur service. Le grand prêtre devait porter huit vêtements. Les autres n'en portaient que quatre. La Torah précise que ces vêtements sont une " marque de prestige et de magnificence " (Exode 28 :2). Na'hmanide, qui était un Rabbin Cabaliste du Moyen-âge (1194-1270), aussi connu sous le nom de Ramban, explique que ces habits servent à rendre le grand prêtre honorable. Ce sont des vêtements royaux. Les rois de l'époque de la Torah en mettaient des pareils. Ainsi, ces vêtements permettent de grandir et de considérer le Prêtre comme un roi.

L'un des vêtements qu'il devait porter était le Mé'il (espèce de robe). A son propos, il est dit : " Tu adapteras autour du bord, des grenades d'azur… et des clochettes d'or. Aaron doit la porter lors de son service pour que le son s'entende en entrant dans le sanctuaire… " (Ex. 28 : 31-35).

Aaron, et les autres grands prêtres par la suite, devait porter un vêtement orné de clochette, de sorte qu'on puisse l'entendre lorsqu'il entrera pour son service.

Le Rabbin Be'hayé fils de Acher, disciple des disciples de Na'hmanide, lui aussi éminent cabaliste (1255-1340) explique que l'utilité de faire entendre le bruit des clochettes est comparable à un homme qui veut se présenter devant un roi. Avant d'entrer, il devra avertir et taper à la porte.

Ainsi, le Prêtre devra pénétrer le sanctuaire avec soumission et humilité devant le Roi des rois. Ces clochettes servent justement à lui rappeler constamment cette soumission. Seulement, nous avons vu que d'autre part, les vêtements servaient à glorifier le Cohen et à le considérer comme un roi.

Il semble qu'il y ait ici une certaine contradiction. Les vêtements du Prêtre jouaient deux rôles contradictoires. D'un côté, il s'agissait d'honorer considérablement le Prêtre, et d'un autre côté, il s'agissait de réduire sa grandeur pour qu'il entre dans le Temple, soumis. Quel était donc exactement le but de ces vêtements ? S'il fallait que le Cohen soit soumis et effacé, pourquoi ne pas lui faire porter de simples vêtements ? Pourquoi devait-il mettre des vêtements royaux ?

En fait, il est clair que l'essentiel c'est l'humilité. Tout le monde est considéré de façon identique par rapport à D.ieu et même le grand prêtre. Même le grand prêtre est complètement effacé devant D.ieu. De ce point de vue, les vêtements royaux qu'il devait porter sont sans valeur. L'essentiel est de s'annuler devant D.ieu. S'il en est ainsi, pourquoi fallait-il qu'il porte des vêtements royaux ?

A première vue, on peut dire que si par rapport à D.ieu, tout le monde a la même valeur, par rapport aux hommes il existe des différences. C'est pourquoi, le grand prêtre devait porter ces vêtements. Ce serait pour montrer sa grandeur par rapport au peuple. Mais cette explication ne peut suffire. En effet, c'est uniquement en entrant dans le sanctuaire qu'il devait mettre ces vêtements. C'est donc vis à vis de D.ieu qu'il les portait. Mais, lorsqu'il revenait auprès du peuple, il devait retirer ces habits royaux. C'est donc bien par rapport à D.ieu que ces vêtements jouaient un rôle. En revanche, devant D.ieu, tout le monde doit être soumis, et même le grand prêtre. La question revient. Pourquoi devait-il porter un accoutrement prestigieux ? En d'autres termes, comment un homme peut-il ressentir profonde humilité et grandeur en même temps ?

En fait, pour répondre à tous ces paradoxes, il faut essayer de comprendre le moyen par lequel atteindre l'humilité. Comment le Prêtre pouvait-il arriver à s'effacer totalement devant D.ieu ?

Il est écrit dans la Thora (Deut. 7 :7) que " Si D.ieu vous a choisi, c'est parce que vous êtes une petite nation ". Rachi explique le sens de ce verset. Il dit que D.ieu a choisi le peuple Juif parce qu'il reste " petit " même lorsque D.ieu l'élève et le rend important. Le peuple Juif doit rester humble et ne doit pas s'enorgueillir de ses qualités et forces. Il doit avoir pleinement conscience que toute la grandeur vient de D.ieu. Plus D.ieu lui donne du prestige, plus il doit s'annuler devant D.ieu. Ainsi, par exemple, si un homme offre un grand et précieux cadeau à son ami, celui-ci va lui en être très reconnaissant. Il va lui octroyer respect et dévouement en signe de gratitude. Il va même vouloir l'aider pour compenser ce cadeau. Et cette reconnaissance va être proportionnelle à la valeur du cadeau. De même, un homme qui a conscience que tout ce qu'il a ne provient que de D.ieu, Lui en sera très reconnaissant et s'effacera devant Lui. Bien plus, cet effacement devant D.ieu sera fonction de la grandeur que D.ieu lui a octroyée.

Prenons l'exemple de Jacob. Celui-ci affirma : " Je suis petit face à toutes les bontés que Tu m'a faites " (Genèse 32 :10). C'est que plus D.ieu me donne des bontés et des grandeurs et plus " je suis petit " et je m'annule devant Lui. C'est dans cet état d'esprit que le grand prêtre devait porter des vêtements royaux. En effet, cela lui permettait de prendre conscience de la grandeur que D.ieu lui a octroyée et dont il bénéficiait. C'est par ce moyen qu'il arrive à s'annuler devant D.ieu. Mais, s'il portait de simples vêtements, il ne verrait pas tellement la bonté de D.ieu. Cela compromettrait sa reconnaissance et son effacement face à D.ieu.

Ce sont donc justement ces vêtements royaux qui font entendre à travers le bruit des clochettes le son de la profonde humilité et soumission envers D.ieu.

Bien plus, plus l'homme sera reconnaissant par rapport à la grande bonté de D.ieu, plus D.ieu le gratifiera encore de bonté. En effet, D.ieu sait que cela augmentera son humilité, conscient que tout appartient à D.ieu. C'est cela le sens de l'affirmation de nos Sages : " Tout celui qui fuit les honneurs se fera pourchasser par eux ". En effet, celui qui fuit les honneurs, conscient que tout lui vient de D.ieu, sera pourchassé par les honneurs, puisqu'ils lui permettront de mieux s'effacer devant D.ieu et donc de mieux Le servir, dans l'humilité.

Seulement cette tâche qui incombait au grand prêtre de toujours cultiver son humilité, est très difficile. En effet, en finale, il porte des vêtements prestigieux et il risquerait donc rapidement de dévier et de se laisser prendre au jeu, s'enorgueillissant de sa situation. L'objectif devant être atteint par le port de vêtements royaux risquerait donc d'être compromis. Quel est le remède à la corruption de cette humilité si importante ?

Pour le comprendre, le Rabbin Israël de Rougine (1796-1850) propose une illustration symbolique. Le roi d'un grand pays avait élu un gouverneur sur une ville. Tous les habitants lui vouaient un grand respect. Un jour, le roi vint voir comment le gouverneur s'occupait de la ville. Seulement, les habitants, n'ayant jamais vu le roi, ne le connaissaient donc pas. Mais voilà que lorsque le gouverneur traversa la ville, accompagné du roi, tous les habitants l'acclamèrent, comme d'usage. Ils ne remarquèrent même pas le roi. Imaginez un peu combien devait être grande la honte et la confusion du gouverneur face à tous ces honneurs, qui auraient dû en fait revenir au roi.

De même, une personne qui a conscience que D.ieu l'accompagne partout et que " Sa Gloire emplit toute la terre ", aura honte de se faire honorer, sachant que ces honneurs doivent en fait revenir à D.ieu qui l'accompagne. Celui qui s'enorgueillit du prestige a forcément un manque dans sa foi. Il ne croit pas fermement que D.ieu est partout. C'est ainsi que nos Sages affirment, au traité Sotta (4b) que " l'orgueilleux est comparable à l'idolâtre ". C'est qu'il n'a pas vraiment foi en D.ieu. C'est ainsi que le grand prêtre devait porter des vêtements royaux. Face à cet honneur dont il bénéficie en se présentant devant D.ieu, dans le sanctuaire, il sera rempli de honte et d'abnégation. Il s'effacera devant D.ieu Qui est le Seul à mériter les honneurs. C'est alors qu'il prendra conscience que tout vient de D.ieu et que ces honneurs ne sont qu'un cadeau de D.ieu. Il en viendra nécessairement à l'humilité.

Ainsi, le port de vêtements royaux n'est pas un but en soi comme on aurait pu le croire. Ce n'est qu'un moyen d'atteindre l'humilité nécessaire, préconisée par le son des clochettes.

Tout ceci doit servir de leçon à chaque homme. Celui-ci doit fuir les honneurs imaginaires. On doit se mettre dans un état d'esprit selon lequel tout vient de D.ieu, ce qui nous permettra d'être reconnaissant vis à vis de D.ieu. Celui qui ne réagit pas ainsi est un ingrat. Il manque de reconnaissance envers D.ieu. Et si cela ne suffit pas encore, il faut prendre conscience que D.ieu est partout, ce qui se traduira par une gêne face aux honneurs.

Cela nous permet de corriger la définition de l'humilité. Il ne s'agit pas d'ignorer ses qualités et s'en détourner, se considérant comme moins que l'on est. Au contraire, il s'agit d'avoir une vision authentique de la réalité, de ses qualités et de ses défauts.

C'est ainsi qu'on pourra être reconnaissant envers D.ieu dans la vraie mesure, et non moins…