La Paracha de Michpatim s'ouvre sur un développement du statut de l'esclave hébreu, de sa situation et de toutes les règles le concernant. L'esclavage existant encore à l'époque, la Torah légifère à son propos.
Il existait deux circonstances où cette situation pouvait exister. La première, c'est le cas d'un voleur qui n'aurait pas assez d'argent pour réparer son vol. Le Tribunal le vendait en esclavage à sa victime. Il travaillait chez lui six ans, de quoi réparer sa faute. Puis, la septième année, il était libéré. La deuxième situation, c'est le cas d'un homme démuni qui décide de son propre chef de se vendre en esclave pour être entretenu par son maître en échange de ses services. Lui aussi sera libéré la septième année. Dans le cas où il voudrait rester encore chez son maître, il fallait alors lui percer l'oreille. Puis, il sera encore asservi jusqu'à l'année du jubilé (dernière année d'un cycle de 50 ans).
Nos Sages enseignent que la Mitsva de libérer les esclaves a été annoncée aux Hébreux au moment de la sortie d'Egypte. Ainsi, il est dit : " J'ai contracté une alliance avec vos ancêtres le jour où je les ai fait sortir d'Egypte, Je leur ai dit : au bout de sept ans, chacun libèrera son frère hébreu ".
On sait qu'avant le don de la Torah, seules les lois nécessaires pour le moment ont été édictées. Or, les règles de l'esclave hébreu n'ont été appliquées qu'après l'entrée en terre d'Israël. De fait, pourquoi les avoir enseignées avant le don de la Torah ? Pourquoi ne pas avoir attendu que la Torah ne soit donnée alors que ces lois ne pouvaient pas encore être réalisées lorsqu'elles furent édictées, lors de la sortie d'Egypte?
A propos des détails concernant l'esclave hébreu, la Torah octroie le droit à son maître de le marier à une servante non juive. Bien plus, il est même recommandé à son Maître de lui faire épouser cette servante. C'est la seule exception. Dans aucun autre cas, un Juif n'a la recommandation d'épouser une non juive.
Plus précisément, Maïmonide explique que cette règle ne s'applique que pour l'esclave vendu pour avoir commis un vol. C'est à lui que le maître pourra donner une servante non juive. Mais, l'esclave qui se vend lui-même compte tenu de sa pauvreté, n'aura pas le droit à cette dérogation.
Pourquoi le voleur devait-il être vendu en esclave ? Ne pouvait-il pas y avoir d'autres solutions ?
Comment comprendre cette différence ? Et surtout, comment se fait-il que la Torah permette à un Juif, même s'il est esclave, d'épouser une non juive ?
Enfin, posons-nous la question de base. Pourquoi finalement le voleur devait-il être vendu en esclave ? Ne pouvait-il pas y avoir d'autres solutions ? D'autant plus que cette sanction est particulièrement originale en son genre puisqu'elle ne concerne que le voleur et aucune autre transgression de la Torah !
Certes, le fait de se retrouver esclave de celui à qui il a volé lui donnera une bonne leçon, mais la raison ne peut se résumer à cela. Car sinon, chaque personne qui porterait n'importe quel type de préjudice à son prochain, physique ou financier, aurait dû devenir son esclave !
En fait, la vente du voleur en esclave n'est pas une sorte de vengeance ou une simple punition, comme l'incarcération d'un criminel selon le code pénal. En réalité, cette punition a une vraie valeur éducative et pédagogique. Il s'agit d'ancrer dans le cœur du voleur l'aspect négatif du vol et de bien lui faire comprendre qu'il est néfaste de voler. De la sorte, il ne récidivera pas.
La Torah ne punit pas gratuitement. Le judaïsme est un système de pensée intelligent, qui tente de remédier à un problème par sa racine. Et la solution la plus optimale pour éduquer un voleur c'est de le vendre en esclavage, comme nous le montrerons.
C'est aussi dans cette optique que le maître devait marier son esclave à une servante non juive. Le Ralbag (Rabbi Lévi ben Guershon ou Gersonide, petit fils du Nahmanide), explique que de cette façon, les enfants qu'il aura d'elle ne lui appartiendront pas vraiment, car l'identité des enfants suit celle de la mère. Ainsi, il ressentira bien la peine que ça fait que d'être dépossédé de ses biens. C'est qu'il lui sera très dur que ses enfants ne soient pas juridiquement, d'après la Torah, à lui.
Ainsi, puisque le voleur a pris quelque chose qui ne lui appartenait pas, la Torah le dépossèdera de ce qui lui appartient. Il ressentira avec ses tripes ce que ça fait que de perdre ses biens. Et cela l'immunisera très probablement contre une récidive de vol.
Une jolie illustration de ce principe se retrouve dans un passage de la Bible. D.ieu dit au prophète Osée que les Juifs ont fauté. Alors, le prophète aurait dû défendre son peuple et invoquer la miséricorde divine. Il aurait dû argumenter que finalement, les Juifs sont les enfants de D.ieu, c'est Son peuple chéri, descendants d'Abraham, Isaac et Jacob. Mais au lieu de cela, il rétorqua : " Tu n'as donc qu'à les échanger avec un autre peuple ! "
Entendant ces propos, l'Eternel enjoint au prophète : " Va prendre une femme de mœurs légères. Tu auras d'elle des enfants ". Cela fait, D.ieu lui demanda de répudier cette femme avec ses enfants. Mais, le prophète expliqua qu'il n'arriverait pas à faire une telle chose. Il ne s'en sentait pas capable. Alors, D.ieu lui dit qu'il en est exactement de même pour Ses enfants, Israël. Il ne peut les abandonner.
Ainsi, pour que le prophète comprenne l'impossibilité de sa requête, il fallait qu'il se retrouve exactement dans la même situation et qu'il la vive de l'intérieur. C'est seulement ainsi qu'il a pu réaliser avec toute son acuité, qu'un père ne peut abandonner ses enfants.
Il en est exactement de même pour l'esclave hébreu. Il fallait l'éduquer à répugner le vol dans son expérience même. Tel était l'objectif de l'expérience de l'esclavage.
La vie spirituelle de l'esclave était suspendue le temps de son esclavage.
Le Rabbin Samson Raphaël Hirsch explique que le vol découle d'une recherche de la matérialité. Le voleur veut s'approprier les biens d'autrui. Il désire par trop les choses matérielles. Une personne indifférente à la matérialité n'aura jamais à l'esprit de commettre un vol. Il fallait donc éduquer le voleur et lui montrer le revers de la médaille de la matérialité. Il s'agit en quelque sorte de le dégoûter du matériel. Ainsi, on pourra espérer qu'il arrête définitivement de voler.
C'est pourquoi, il fallait le rabaisser au rang d'esclave. Un esclave ne se résume qu'en tant que bien matériel. De plus, toutes ses tâches sont des travaux physiques et bestiaux. Il ne se réduit qu'à une identité matérielle sans plus. Sa vie spirituelle était suspendue le temps de son esclavage.
Finalement, l'esclave sera excédé de sa condition réduite exclusivement à la matière et aspirera à se rapprocher de la spiritualité qu'il a quittée et il comprendra qu'il faille prendre une certaine distance avec la matière.
Là encore, on retrouve ce principe selon lequel l'expérience marque plus que tout. C'est en vivant la condition d'esclave, que le voleur s'écartera du vol, de même que c'est en se voyant dépossédé de sa femme et ses enfants, qu'il ressentira la peine qu'a pu connaître la personne qu'il a volé. C'est que la Torah sait que c'est uniquement l'expérience vécue qui imprègne profondément un individu et lui fait prendre conscience des choses.
La Torah exige au maître de libérer son esclave au bout de la septième année.
Mais en y réfléchissant un peu, on s'apercevra que cette instruction est extrêmement difficile à réaliser. L'esclave est véritablement le bien de la personne. C'est comme sa charrue ou son tracteur, si l'on peut ainsi s'exprimer. Un homme n'est pas naturellement prêt à renoncer à tout cela. Certes, l'esclave désire la liberté. Mais le maître n'est pas en mesure de le ressentir.
C'est la raison pour laquelle, cette Mitsva nous a été recommandée au moment de la sortie d'Egypte. Alors, chaque Juif a ressenti au plus profond de lui-même l'intense joie de la liberté. Ils ont vécu réellement le plaisir de l'affranchissement. C'était donc ce moment qu'il fallait saisir pour leur formuler l'ordre pour les générations enjoignant la libération de leurs esclaves, la septième année. Car alors ils étaient dans les dispositions de comprendre le bien fondé de cet ordre.
Grâce à cela, lorsqu'ils devront le mettre en pratique, ça leur sera plus facile. Mais si D.ieu avait attendu le jour du don de la Torah pour leur formuler ce commandement, alors la joie de la liberté serait atténuée. Ils ne l'auraient alors appréhendé qu'intellectuellement et non dans leur expérience vécue et leurs émotions. L'effet aurait alors été considérablement réduit.
Tout ce qui précède converge autour de l'affirmation que rien ne marque plus que l'expérience vécue. Un homme peut avoir toutes les connaissances théoriques d'un sujet et être même un expert. Mais, s'il ne l'a pas ressenti intérieurement, ces théories ne le transformeront pas et n'agiront pas tellement sur lui.
Les connaissances théoriques doivent être profondément intégrées par chaque Juif à travers son vécu. La Torah doit être vécue ! Ceux qui prétendent détenir la foi se passant de toutes les Mitsvot, considérant que tant qu'ils croient en D.ieu cela suffit, font une grossière erreur. Seule la pratique et un judaïsme vécu profondément et pleinement peut être authentique.