La Paracha de Yitro, est particulièrement connue par le fait qu'on y lit les Dix Commandements.
Les Hébreux, après avoir quitté l'Egypte, se retrouvent enfin devant le Mont Sinaï. Là, ils doivent procéder à une certaine purification. Alors, D.ieu se dévoile, sur un fond d'éclairs et d'orages. Il transmet les Dix Commandements à Son peuple. En réalité, toute la Torah a été donnée, car toutes les Mitsvot (commandements), ainsi que leurs détails ont été évoqués avec les Dix Paroles. (Voir Exode, chapitres 19 et 20).
Cependant, après cet épisode solennel qu'est le don de la Torah, le texte opère une digression et s'attache à réglementer la confection des Kerouvim (chérubins) qui se trouvaient dans le Michkan (Tabernacle), sur l'arche sainte. Ceux-ci ne devaient pas être faits en argent et ne devaient pas être plus de deux (Rachi sur Exode 20 :20). Puis, la Torah dévie de nouveau pour parler des règles du Mizbéa'h (autel) où on allait offrir des sacrifices. Il ne devait pas être confectionné de fer, ni taillé par le fer (Ex. 20 :21-22)
Enfin, la Paracha se conclut par l'obligation de mettre une rampe devant l'autel, de sorte que lorsque le Cohen y monte, on ne voie pas sa peau. En effet, comme le Cohen revêtait une robe, si des marches menaient à l'autel, lorsqu'il les monterait, la nudité de son pied se découvrirait alors (Ex. 20 :23).
Mais pourquoi, après avoir énoncé les Dix Commandements, la Torah digresse et parle des Kerouvim, de la nature du Mizbéa'h et de l'interdiction de mettre des escaliers pour monter sur le Mizbéa'h ? Surtout qu'apparemment, on ne voit pas trop le rapport entre ces sujets ! D'autant plus que ces règles concernent le Michkan, qui n'était pas encore construit…
En fait, nos Sages enseignent dans le Talmud, au traité Yébamot : " le peuple Juif détient trois signes particuliers : la miséricorde, la discrétion et la charité. Toute personne qui aurait ces qualités pourra s'attacher au peuple Juif ". Ces trois caractéristiques dont il est ici fait question, ne sont pas de simples qualités, mais plutôt des lignes générales desquelles découleront toutes les bonnes qualités. Et à l'inverse, l'absence de ces trois caractéristiques forgerait tous les vices.
Essayons d'analyser chaque point :
La miséricorde, c'est une tendresse du cœur qui s'émeut de la souffrance d'autrui et la prend en considération.
- La miséricorde : Il s'agit en fait de la compassion, du sentiment de proximité avec l'autre. Cela consiste à ne pas se sentir indifférent par rapport à autrui. Ainsi, le miséricordieux s'implique dans la situation de son prochain et compatit à sa souffrance. C'est une tendresse du cœur qui s'émeut de la souffrance d'autrui et la prend en considération. Le contraire de ce caractère, c'est la cruauté ou, en hébreu " Akhzariout ". Le Akhzar (cruel) c'est celui qui, comme son nom l'indique, se sent uniquement étranger (Akh Zar). Il ne ressent aucune approche d'amitié ou de compréhension d'autrui. Il est totalement indifférent aux autres.
- La pudeur : C'est la tendance à se dissimuler, à cacher ses pulsions ses défauts et aussi (et surtout) ses qualités. Il s'agit de rester discret et de ne pas vouloir que ses profondeurs se dévoilent. Selon l'expression, il s'agit de préserver son jardin secret. Il n'est pas question d'ignorer ses défauts et ses vices, mais plutôt de bien les connaître, sans les laisser transparaître. A l'opposé, la Azout, qui se rend généralement en français par " effronterie ", définit l'aspiration à s'extérioriser, à dévoiler ses qualités mais aussi à divulguer ses défauts.
- La charité : C'est la tendance à prodiguer et dispenser le bien. Un homme qui détiendrait ce caractère, donnerait à tout le monde. L'opposé de cela, c'est l'avarice. L'avare aspire au contraire à prendre et à profiter de ce monde uniquement pour lui-même, sans partager.
Ces trois caractères que nous venons d'exposer sont à l'origine de l'essentiel de ce qui est exigé à un Juif.
Il est enseigné dans les Maximes des Pères (Chap. 1 Michna 2) que " le monde repose sur trois piliers : la Torah, le service de D.ieu et la charité ".
Ces trois piliers dépendent justement du développement des trois caractéristiques que nous avons exposées plus haut. De même, l'adoption de leurs tendances opposées, que nous avons également cité (cruauté, effronterie et avarice) conduisent à la quintessence du mal que sont les trois interdits capitaux : l'adultère, l'idolâtrie et le meurtre.
Le pilier de la Torah dépend de l'adoption de la pudeur et de la discrétion. C'est en s'entraînant à se " cacher " et non à s'extérioriser que l'on peut mériter la Torah. En effet, la Torah elle-même correspond à l'aspect profond de toute la création. C'est le " cœur " du monde. Ainsi, comment un homme qui a tendance à se dévoiler par trop pourrait-il mériter la Torah alors que la Torah c'est la quintessence de la profondeur ?
La Torah est appelé Torah de Vérité, car par elle on perçoit la vérité du monde et on ne se contente pas des apparences et du paraître.
D'ailleurs, la Torah est appelé Torah de Vérité, car par elle on perçoit la vérité du monde et on ne se contente pas des apparences et du paraître. Par la Torah, on accède à la Vérité qui est dissimulée dans notre monde, monde de mensonge. C'est d'ailleurs pour cela que c'est par la Torah que l'on parvient au monde futur, qui est le monde de la Vérité.
Mais en revanche, le manque de discrétion qui s'exprimerait par l'effronterie et l'orgueil mène à l'interdiction de l'adultère, ou en hébreu, Guilouy Arayot, qui signifie littéralement " dévoilement de la nudité ", de ce qui doit rester normalement caché. Ainsi, le manque de pudeur mène à la débauche sexuelle. Mais, cela comprend aussi l'interdiction de médisance, qui consiste à dévoiler et révéler les défauts des autres, qui devraient rester cachés…
Le deuxième pilier du monde qui est le service de D.ieu dépend de la miséricorde, même si cela peut paraître curieux. Le service de D.ieu consiste à renforcer son lien et son implication avec D.ieu. Il s'agit de se rapprocher de l'Eternel. Un tel sentiment ne pourra résider que dans le cœur de celui qui l'aura développé vis à vis de son prochain à travers la miséricorde qui consiste justement en un sentiment de rapprochement vers autrui..
Mais le cruel, le Akh-zar, qui se sent étranger et loin des autres et qui se désintéresse totalement d'autrui, ne pourra pas avoir ces aptitudes. Le service de D.ieu lui sera éloigné. Or, l'opposé du service de D.ieu, c'est l'idolâtrie ou plus littéralement : " service étranger " (Avoda Zara). Ainsi, l'idolatrie découle du sentiment d'étrangéité et d'indifférence, qui n'est autre que la cruauté (Akh - zar).
Enfin, le pilier de la charité découle, comme on l'aurait compris, de la troisième caractéristique du peuple Juif, qui consiste en une aptitude à donner. Seul celui qui aura tendance à donner et prodiguer pourra détenir cette authentique bienfaisance. Une personne qui est enracinée dans la tendance du " prendre " ne pourra jamais réaliser des œuvres de charité. Et même s'il lui arrive parfois de donner, ce don n'a rien de véritable. Si une telle personne donne c'est en réalité pour prendre : soit pour qu'on le récompense, soit pour qu'on le remercie…
Cela, parce que tout son être est imprégné de la tendance de prendre et de s'approprier. Si on lui refuse ce qu'il veut prendre, il ne trouvera pas cela normal car pour lui, tout lui est dû. Ainsi, il éliminera tout ce qui pourra s'opposer à son désir de la matérialité. Poussé à l'extrême, il pourra même en venir à tuer pour obtenir ce qu'il recherche. D'ailleurs, la Guemara rapporte l'histoire d'un homme qui en est arrivé à tuer car parfois, il prenait des autres. Ainsi, il avait cultivé ce défaut du " prendre ", qui l'a conduit au meurtre, qui consiste à " prendre " la vie d'autrui.
En résumé, la pudeur conduit à la Torah et son contraire à l'adultère. La miséricorde mène au service de D.ieu et son contraire à l'idolâtrie. Et enfin, le don mène à la charité et son contraire peut conduire au meurtre. Telles sont les trois qualités du peuple Juif, avec leurs implications.
Les fondements généraux que sont la Torah, le service de D.ieu et la charité, définis comme les piliers du monde, dépendent étroitement des trois caractéristiques du peuple Juif. Leur opposé extrême mène aux trois interdits capitaux que sont l'adultère, l'idolâtrie et le meurtre.
La Torah fait allusion à ces trois sujets justement à la fin de la Paracha de Yitro, après que l'on ait reçu la Torah. C'était le moment idéal pour les spécifier, car c'est alors que le peuple Juif s'est vraiment constitué comme peuple. Ces trois caractéristiques qui font d'eux ce peuple unique doivent alors se réaliser.
Le moment du don de la Torah était le moment idéal pour que la Torah écarte les trois interdits capitaux, dans leur application la plus fine.
Alors, la Torah traite du sujet des chérubins, qu'il ne fallait pas concevoir en argent et qu'il fallait limiter à deux. En effet, un écart à cet avertissement transformerait ces chérubins en idolâtrie.
Puis, la Torah interdit de tailler le Mizbéa'h (l'autel) avec du fer. C'est que le fer a été créé pour raccourcir la vie de l'homme, les armes blanches sont faites à base de fer. L'interdiction de mettre du fer sur l'autel constitue un avertissement à l'interdiction du meurtre, dans son application la plus fine.
Enfin, la Torah interdit de placer des marches pour monter sur l'autel " pour ne pas que ta nudité se dévoile sur l'autel ". Cela est l'application la plus fine de l'interdiction de l'adultère, ou dévoilement de la nudité (Guilouy Arayot).
La Torah a tenu à écarter les applications les plus infimes de ces trois interdits capitaux dans le cadre du sanctuaire (l'arche sainte pour les chérubins ainsi que l'autel pour le fer et la rampe). Cela, pour bien spécifier que leur éloignement permet le maintien et l'existence du monde, car il s'agit bien de l'application des trois piliers sur lesquels le monde tient. Et le Michkan (Tabernacle) constitue une sorte de monde miniature.
De même, l'éloignement de ces trois interdits reflète les trois qualités spécifiques du peuple Juif. C'est pourquoi, le texte fait allusion à tout cela justement après le don de la Torah, une fois que le peuple d'Israël s'est vraiment constitué comme peuple.
(Adapté d'un cours du Rabbin Wolbé, dans son ouvrage Alé Chour)